J'avais environ 45 ans quand j'ai lu ce livre pour la première fois. Je viens de le relire… beaucoup plus tard ! Mais mon impression n'a pas beaucoup varié. Elle est très mitigée ! Certes, j'approuve sans réserves l'idée de faire dialoguer une petite fille et un philosophe, pour rendre plus vivante l'approche (simplifiée) d'une matière parfois considérée comme ingrate: la philosophie. Toutefois, l'histoire dans l'histoire - celle de Hilde et de son papa casque bleu - me parait superflue et peu intéressante. Si on choisit de lire "
Le monde de Sophie", c'est seulement pour mieux comprendre la pensée des philosophes - en tout cas, si on est un adulte rassis.
Mais mon problème personnel est bien plus grave que ça. En ce qui concerne la philosophie, je crois qu'il me manque une "case" dans le cerveau. En fait, je ne me sens pas rebuté par les considérations et les raisonnements des philosophes, ça me parait être une gymnastique intellectuelle comme une autre, plutôt utile pour la santé de l'esprit. Mais je suis consterné par le caractère arbitraire et spéculatif des réponses apportées aux grands questionnements philosophiques. Je m'explique. Dès l'Antiquité, une polémique philosophique a divisé les penseurs: la matière est-elle continue (infiniment divisible) ou discontinue (faite d'atomes "crochus") ? Faute d'éléments rationnels à l'appui, choisir entre l'une ou l'autre de ces possibilités est aussi illusoire que de prétendre qu'il fera beau temps ou mauvais temps le 23 Juillet 2016. Ergoter (même intelligemment) là-dessus me semble parfaitement inutile. La vraie réponse n'est venue qu'à travers les grandes avancées scientifiques du XXème siècle - mais la physique atomique et nucléaire s'est révélée d'une grande difficulté conceptuelle, bien plus subtile que les raisonnements des philosophes antiques ou modernes… Il en est de même pour toutes les grandes questions soulevées par la philosophie. Par exemple,
Descartes a-t-il raison contre les "empiristes" comme Hume ou Locke, personne ne peut répondre utilement à ce dilemme.
J. P. Sartre, lui, prétend que l'homme est par essence libre, alors que K. Marx et
S. Freud (qui, à proprement parler, ne sont pas de "purs" philosophes) suggèrent le contraire, chacun dans des contextes différents: qui a raison, qui a tort ? Sans doute tout le monde a raison, selon son point de vue particulier.
Une autre difficulté pour moi: en quoi les hommes sont ils concernés, personnellement, par les réponses aux questions de la philosophie ? Sincèrement, je pense que 99,9 % des humains ne se sentent absolument pas concernés par des problématiques comme, par exemple, la liberté humaine. Beaucoup sont même très satisfaits qu'on leur fournisse dès la naissance un "prêt-à-porter" politique, sociétal et/ou religieux; ils vivent machinalement une vie toute simple, sans lire "
Le monde de Sophie". En ce qui me concerne, l'unique chose qui m'interroge, au moment où je lis un philosophe, est la suivante: ces considérations peuvent-elles influer sur ma vie quotidienne ? Concrètement, m'aident-elles à mieux vivre, oui ou non ? En d'autres termes, je ne m'intéresse vraiment qu'à
l'éthique. En ce sens, les Stoïciens ou les Epicuriens, voire Bouddha, sont à mes yeux bien plus essentiels que
Spinoza,
Kant ou
Nietzsche.
Je ne doute pas que, en prenant cette position, je ferai hurler les tenants de la philosophie et je m'en excuse par avance…