Faire une liste de lectures pour des vacances, c'est pour moi très compliqué.
Il faut que le livre réponde à certains critères :
1) Je dois être assurée que je ne vais pas m'emmerder le burnous.
2) Il faut qu'il ne soit pas assez précieux pour supporter les grains de sables et les éventuels oublis dans la rosée matinale, sur la table du jardin.
3) Et que son sujet évoque, de près ou de loin, soit le soleil, soit l'été, bref, la chaleur.
Le troisième critère, c'est notamment en prévision des journées pluvieuses à jouer au Scrabble avec Bonne-Maman, en prenant le thé pendant qu'elle m'inflige 108 points avec un « SPERMATOZOÏDE », mot compte triple.
Ma grand'mère est fourbe, à ce jeu-là.
Cette année, j'ai donc emporté un certain
Modiano et ses
Dimanches d'Août, un certain Ernest avec son vieillard qui pêche de la poiscaille – que j'ai critiqué, donc tu peux aller courir étancher ta soif de prose galette-saucissienne – et bien sûr, l'ami Gaby et ses
Cent ans de solitude.
Ça faisait longtemps que Gabriel glandouillait dans ma bibliothèque, entre Roman Gary et
Maurice Genevoix, et j'ai trouvé que les vacances en Bretagne étaient le meilleur moment pour lire un roman pareil. Que le Times qualifie de « chef-d'oeuvre du XXe siècle ». Eh ouais, rien que ça.
Toi, là-bas au fond, tu me demandes de quoi traite l'histoire ?
Bonne question. Je vais te faire un rapide résumé.
Ça commence dans un petit village, Macondo, perdu dans la sierra sud-américaine, complètement isolé de la civilisation. Une famille illustre, les Buendia – illustre parce que c'est un peu eux qui ont posé leurs balloches et construit le village, si tu veux –, les Buendia, dis-je, sont frappés par une malédiction prédite par un gitan qui passait par-là.
Malédiction qui promet guerres civiles, révolutions, fléaux et destruction. Tu noteras le pluriel. Je l'ai pas mis pour faire joli.
Et pourquoi ça, me demandes-tu, toi qui es pragmatique et n'aimes pas les injustices ?
Pour une raison simple : la descendance est issue de la consanguinité.
Oui, je sais, tu vas me faire une blague sur les Ch'ti ou sur
Christine Boutin. Je te comprends, je l'ai faite aussi. Donc fais-toi zizir.
La malédiction, comme de bien entendu, et comme le présage le titre, elle se fait sur cent ans. Pas sûr 42, sinon le livre s'appellerait « Quarante-deux ans de solitude », ça sonnerait moins bien et ça ferait plus film d'auteur sur un homme dépressif qui a perdu sa mère, son père et son chien et qui va sauter du Pont-Mirabeau en citant la tirade du panache de Cyrano.
Bon. Alors, que dire ?
Je vais tâcher de te donner mon avis comme je l'ai fait à mon grand-père, qui n'a jamais lu ce livre. C'est parti.
C'est un beau roman, une belle histoire, avec beaucoup d'amour dedans. Bon, de l'amour en majeure partie de type consanguin, le frère couchant avec sa soeur, le neveu voulant forniquer avec sa tante, qui s'avère en fait être sa soeur, ou encore le fils qui veut conter fleurette à sa mère mais il sait pas que c'est sa mère, et j'en passe.
Il y a un peu de cul, mais toujours dit de manière classe. A base de « soupirs », de « miaulements », de « caresses ». Bon, pas aussi franc que
Hardellet et
Lourdes, Lentes... mais pas non plus du niveau de la métaphore à base d'huîtres que tu retrouves dans Bel-Ami, si ma mémoire est bonne. Si ton objectif est de te palucher sur
Garcia Marquez, passe ton chemin. Va regarder la filmographie de Harry Reems et fais pas chier.
Sinon, il y a aussi quelques passages sur la guerre et les désirs de libéralisme et d'anarchisme, parce qu'il y a un colonel.
Dois-je préciser que le colonel, non content d'être doté de jolies moustaches « cosmétiquées », est aussi pris de passion pour une gamine de neuf ans, quand lui en a environ trente ?
Ouais, ouais, l'amour n'a pas d'âge. C'est ce que n'arrête pas de me répéter à l'envi l'ouvrier qui bosse en ce moment dans mon avenue, et qui a trente ans de plus que moi. Ah, j'vous jure, tous les mêmes, les moustachus...
du coup, pour déconner avec mon copain Caillou – j'adore la rigolade, tu me connais – on s'est amusé à faire un arbre généalogique de la famille Buendia. En rouge, les liens du sang et en bleu, les liens-sacrés-du-mariage.
Autant te dire qu'il y avait beaucoup de violet.
Cela dit, l'avantage avec les familles consanguines, c'est qu'au moins, l'arbre généalogique ne prend pas trop de place sur une feuille A4, donc c'est très #YannArthusBertrandFriendly. Et ça j'aime bien.
- Bon, m'a dit mon grand-père une fois mon résumé achevé, je lirai ce livre en tâchant d'oublier que c'est ma petite-fille qui me l'a conseillé.
Il a tort d'y aller en traînant des pieds. Parce que c'est bien écrit. Très bien écrit. Magistralement bien écrit.
Le livre est fait qu'à aucun moment tu as envie d'abandonner ta lecture. Ce qui est un bon point.
Alors, bien sûr, ma cousine un peu zadiste et ultra-féministe – on en a tous une, hein -, s'est indignée quand je lui ai dit ce que je lisais :
- Ça ne te gêne pas de lire un livre d'un homme qui était ami avec
Fidel Castro ? Tu glorifies le totalitarisme ?
Si tu vas dans ce sens, tu n'écoutes plus
Michael Jackson parce que sinon ça glorifie la pédophilie. C'est pas parce que Hitler avait un chien que je vais abandonner Philippe.
En plus, Gabriel aimait beaucoup Brassens. Donc il n'était pas si mauvais n'est-ce pas ?
- Brassens, l'autre monstre misogyne ?
Tss, c'est pas le débat, Rozenn. Finis de manger tes graines et ton pain sans gluten, et retourne écouter Tryo. Et à l'occase, tu liras
Cent ans de solitude.
Ça devrait calmer tes ardeurs.
P.-S. : C'est après la rédaction de cette critique que je viens d'apprendre que Netflix va finalement faire une série basée sur
Cent ans de solitude, plus de cinquante ans après sa parution. Les descendants ayant flairé qu'il y avait de la grosse thunasse à se faire, on va avoir le plaisir de mater un Game of Thrones façon latino. J'ai hâte.