Je n'arrive pas à comprendre le but de ce catalogue, et certainement encore moins celui de l'exposition qu'il accompagne. Le musée Condé de Chantilly, réputé pour sa collection prestigieuse de peintures, a décidé en 2018 d'exposer une partie des mille et quelques photographies anciennes ayant appartenu au duc d'Aumale, donateur du domaine. Très bien. C'est devenu une thématique récurrente pour les expositions que de montrer une collection particulière, et on se souvient, par exemple, du Cercle de l'Art moderne, grande réussite du musée du Luxembourg à Paris en 2012. Encore faut-il que les œuvres soient à la hauteur et que la collection propose au minimum un parcours cohérent, pour ne pas dire intéressant. Je n'ai pas vu l'exposition elle-même, mais j'en sais assez aujourd'hui avec ce catalogue pour comprendre que ce n'est pas le cas ici.
Alors oui, on nous fait miroiter le nom de le Gray, grand photographe de marines. Il fait la couverture du catalogue, et il le clôt. Et donc, on s'attend à trouver d'autres noms à la hauteur de le Gray, mais aussi, pourquoi pas, des photographes oubliés mais talentueux, ou encore des photographies d'anonymes qui seraient des pépites. Rien de tout ça. le catalogue, scindé en deux parties, une partie consacré à un essai, et l'autre à la présentation des photographies exposées, se révèle malheureusement assez pauvre. Pourquoi le duc d'Aumale a-t-il collectionné autant de photographies ? Je serais incapable de le dire. Tout ce que j'ai pu lire dans l'essai de Nadine Garnier-Pelle, ce sont des anecdotes qui concernent ses petits voyages ici ou là et, surtout, ses histoires de liens familiaux avec les têtes couronnées et les aristocrates du moment. Je cite une exemple au hasard, concernant les photographies dont a héritées Aumale : "Il est très surprenant qu'en 1866, à la mort de sa mère, la reine Marie-Amélie, le duc d'Aumale hérite d'une partie de ses photographies, au nombre de trente et un, soit plus qu'il n'en possède lui-même ! Dix-neuf d'entre elles sont des portraits de famille, parmi lesquels les enfants et les petits-enfants de la reine, comme le défunt duc d'Orléans (1810 - 1842), le fils aîné de la reine, la duchesse d'Orléans, le duc de Montpensier, le duc de Guise, le duc et la duchesse de Barbant, la princesse Charlotte des Belges, l'infant don Sébastien." J'arrête là, mais on retrouve ce type de texte, évidemment extrêmement passionnant pour tout un chacun, tout du long.
À côté de ça, la collection de photographies du duc d'Aumale n'est que très peu mise en regard avec l'histoire de la photographie, dont on se contente de nous donner quelques repères chronologiques en début d'ouvrage. Rien sur la technique, rien - ou si peu - sur l'évolution du medium. On notera d'ailleurs que pas un daguerréotype n'est présenté, ce qui paraît curieux pour un collectionneur, pas une photographie format carte de visite, pas de photographie de Nadar, une photo de Fenton, mais loin d'être la plus intéressante, pas de paysages en dehors des prise de vue des Alpes de Braun. On pourrait étendre la liste des lacunes de cette collection à l'infini, tellement elle semble avoir été réunie en dépit du bon sens. Et je trouve Nadine Garnier-Pelle assez gonflée de conclure à l'intérêt d'Aumale pour la photographie en tant qu'art. Alors qu'en fait, rien ne le dit, puisqu'il ne s'est visiblement pas exprimé sur la question : seul le fait qu'il ait acheté quelques photographies de le Gray irait dans ce sens. Il se trouve que j'ai une hypothèse complètement inverse : Nadine Garnier-Pelle note bien que tous les courants sont représentés dans la collection d'Aumale (ce qui est franchement discutable), sauf le pictorialisme... Or, quel est le mouvement auquel tous les partisans de la photographie comme art à part entière se sont particulièrement intéressés et qu'ils n'ont pas pu manquer ? Je vous le donne en mille : le pictorialisme.
Certes, les photographies concernant l'architecture parisienne ont leur intérêt, historique, puisque qu'elles sont le témoin d'un patrimoine qui a plus ou moins disparu (les Tuileries avant les incendies de la Commune, par exemple). Et j'aime assez les photographie de ruines, mais c'est une thématique beaucoup trop sporadique pour qu'on puisse y déceler une inclination spécifique du collectionneur.
Le pire, dans tout ça, c'est qu'une partie des photographies sont de mauvaise qualité. Nadine Garnier-Pelle précise qu'Aumale les a beaucoup exposées, soit. Mais du coup, merci de l'attention du musée Condé envers les spectateurs et les lecteurs, qui se retrouvent nez à nez avec un certain nombre de tirages pâlis à l'extrême, beaucoup trop abîmés. C'est tout de même la moindre des choses que de présenter des tirages de qualité dans une exposition de photographies.
Donc tout ce que je vois ici, c'est la collection d'un type qui a réuni quelques photos de voyages, de paysages, et beaucoup de photos de famille. C'est encore plus ennuyeux que de regarder les albums d'amis ou de sa propre famille, corvée dont on se passerait déjà bien, en général. Parce qu'il faut quand même se taper toutes les anecdotes sur les relations du duc d'Aumale avec telle ou telle tête couronnée... Quant à savoir pour qui a été montée cette exposition et pour qui a été édité ce catalogue, les spéculations sont ouvertes. Pour Stéphane Bern, éventuellement ???
Masse critique Graphique
Commenter  J’apprécie         304
C'est l'une des premières photographies de marines où l'on voit simultanément le mouvement de la mer et les nuages dans le ciel. Rendre le ciel était alors très difficile ; il apparaissait brouillé et les photographes avaient recours à un subterfuge : ils peignaient le négatif verre à la gouache noire, ce qui donnait un ciel vide, complètement blanc, ou bien peignaient des nuages sur l'épreuve ou sur le négatif. Ici, l'originalité de Le Gray est la technique des ciels rapportés : il juxtapose au tirage des paysages tirés de négatifs papier et des ciels tirés de négatifs verre. Opposé à la retouche des tirages, il "triche" en utilisant deux plaques pour une même marine, certaines vues existant avec ciel ou sans ciel.
Brick au clair de lune, 1856 - Gustave Le Gray
Alpiniste chevronné, Charles Braun travaille dans des conditions difficiles : la réverbération de la neige et de la glace risque de surexposer les négatifs ; les appareils photographiques sont alors très lourds, et Braun utilise jusqu'à quinze hommes - porteurs et guides - pour l'aider à transporter le matériel, recouvrir les plaques de verre de collodion, puis les développer dans des températures glaciales. Ces clichés, destinés aux spécialistes de sciences naturelles, connaissent aussi un grand succès comme souvenirs de voyages.
Adolphe Braun, Vues des Alpes, vers 1863-1865