Subordonnée d'
Isabelle Gaumont. Un roman. Un roman québécois: fait rare, le personnage n'est ni un enfant ni un écrivain, le style n'est pas poétique, il n'y a pas de réécriture, de pastiche ou d'intertextualité. Pas de formalisme, de roman dans le roman, de mise en abyme.
Chez Gaumont, le roman se donne comme nécessité pour les femmes d'un travail intellectuel de réappropriation de la culture. C'est précisément l'échec de cette nécessité que manifeste le roman: le personnage, Simone, ne se souvient plus qui a dit le fameux « je sais que je ne sais rien ». Elle a oubliée l'impulsion initiale de la philosophie occidentale, elle ne retrouve plus le sens de cette quête d'un Occident marqué au coin de l'amnésie. Socrate ne signifie plus rien dans une culture en creux, il ne peut plus incarner le questionnement individuel. Femme ou homme, il est désormais devenu impossible de se réapproprier une culture.
La question politique, comme Socrate dans sa Cité, est au coeur de ce roman. À partir d'un constat sur le fait que les Québécois ne travaillent pas assez (selon
Lucien Bouchard), Gaumont échafaude son roman sur une réalité nulle part ailleurs entrevue dans notre littérature. La question politique dans les démocraties modernes est celle de la réalité des affaires publiques. Mais les affaires publiques, dans une société capitaliste, se limitent trop souvent à la production et à l'échange marchand. La libération des masses par la production avait créé une vie privée, mais sans rien pour la remplir: le personnage s'efforcera donc de remplir cette vie privée par l'amour, les revues, la télévision, mais en vain. Cette Bovary qui cherche les expériences vécues dans les livres, les rapports de laboratoire, les expéditions scientifiques, elle ne dispose plus d'une expérience privée; le personnage n'est alors plus qu'un témoin, témoin de son corps, témoin de la politique.
La conséquence directe de cette invitation à travailler plus est justement cela : déréguler, démanteler les relations humaines, de mutiler cette génération montante, de lui intimer de se soumettre: de la scène du métro qui interrompt son service jusqu'à la constatation du travail comme sweat-shop pour diplômés, le roman de Gaumont, empreint de nuances, s'articule particulièrement autour de cette société capitaliste dans laquelle les membres ont un minimum de choses à faire en commun. L'obsession financière agit comme une police pour l'individu. Elle le surveille, l'oblige à des gestes impersonnels.
Lucien Bouchard, à travers ce roman, affirme que désormais la nostalgie et l'utopie sont interdites : étant donné que la structure de la société ne peut plus être l'objet d'une volonté politique, reste le contrôle policier de son fonctionnement, avec ses superviseurs, ses évaluations annuelles, ses performances et sa rentabilité. Au Québec, depuis Ducharme, le roman nous dit ceci : le petit prince est devenu Napoléon, l'enfant attardé a grandi et est devenu un nabot autoritaire. La société, le peuple, l'État, ça n'existe pas, seulement l'individu, ses actions, ses décisions.