Velasquez a vingt-neuf ans, il cherche encore sa voie, un grand artiste va la lui indiquer.
Rubens, chargé d'une mission politique, arrive à Madrid dans tout l'éclat de sa maturité triomphante. Les conférences avec les ministres ne le prennent pas tout entier et, son portefeuille de diplomate sous le bras, il heurte à la porte de l'atelier du jeune artiste. On peut supposer qu'après en avoir fait le tour, il lui frappe sur l'épaule et l'embrasse cordialement, à la flamande. Il le sacre grand peintre, comme il a sacré Van Dyck et Jordaens.
Pendant un an, Velasquez va voir Rubens à l'oeuvre, copiant avec une verve débridée les Titien des collections royales. Forte leçon. Rubens donne en partant un conseil à Velasquez: qu'il fasse le voyage d'Italie.
Après un premier voyage à Madrid en 1623, où il ne trouve pas le duc d'Olivarès, auquel il est recommandé, il en fait un second, recontre enfin son redoutable protecteur. On montre au roi un portrait de Fonseca, qui plaît au monarque. Velasquez entre au palais avec le titre envié de valet de chambre et une pension de 200 ducats. Il est pris.
Il va désormais, jusqu'à la mort, tourner, comme Samson, dans le cercle étroit qu'on lui a tracé dans un coin du palais. Il recevra vers la fin de sa carrière la clef d'or des chambellans qui donne accès à toute heure dans les appartements royaux, mais dès son entrée au Palais, il a fallu qu'il livre la sienne à Philippe IV pour que cet homme puisse, à toute heure, venir poser ou bâiller dans l'atelier, quand il ne rôde pas autour des chenils. A certains jours, il prendra même des mains de son serviteur la palette et la brosse, il daignera faire semblant de peindre.
L'oeuvre de Goya se complète, au Prado, des peintures dont il avait orné sa maison bâtie au bord du Manzanarès. Le peintre, ici, rejoint l'aquafortiste. C'est la même fantaisie noire, la même force de cauchemar. J'ai revu là ces œuvres que j'avais entrevues au Trocadéro, lors de l'exposition de 1878.
Velasquez fait patiemment son apprentissage de maître-ouvrier. Il veut connaître à fond les secrets du métier, les posséder au point de n'y plus penser. Il peint des natures mortes, des bodegones, dès figures qu'il traite comme des natures-mortes, des choses à peindre. Plus fard, il traitera les natures-mortes comme des figures, verra partout la vie. Il cherche, pour le moment, la précision, le signe juste et bref, le rendu littéral qu'il ne confond pas avec le trompe-l'œil. On trouve des vestiges de ces premières études à Munich, à Saint-Pétersbourg, à Vienne, à Londres.
Un événement, une date dans l'histoire de l'art et de l'humanité! La sombre Espagne s'éclaire d'une lumière lointaine. Les artistes espagnols, immobilisés sur leur sol, voient surgir une étoile. Elle monte à l'horizon, elle vient à eux. C'est la Renaissance qui passe l'eau, s'avance frémissante, triomphante, impatiente, portant, la bonne nouvelle dans les plis de sa robe, comme la Victoire de Samothrace. Paolo de Arezzo et Francisco Niapoli, élèves de Léonard de Vinci, débarquent en Espagne,
"L'enfermé" de Gustave Geffroy.