RaboliotMaurice Genevoix (1890-1980)
Prix Goncourt 1925
Académie Française
« Les hommes, si raisonnables qu'ils se croient être, se plaisent aux faiblesses qu'ils s'accordent. »
On l'appelle
Raboliot parce qu'il ressemble à un lapin de rabouillère (nid de garennes). Son prénom est Pierre et son nom Fouques. Mais il les a oubliés. Il est marié à Sandrine, une fille douce et sentimentale, il a trois enfants. Il habite une ferme aux limites du village.
Braconnier passionné, hardi et sûr de lui et de son adresse, rien ne peut l'empêcher d'obéir à ce besoin de chasse nocturne qui le saisit chaque soir. de pineraies parcourues par la houlée de la brise en jonchères humides et embrumées, il court la campagne solognote nuitamment pour son seul plaisir. L'oreille aux aguets au cri rouillé d'une chevêche en chasse, il goûte la grande paix vigilante des nuits du bocage et des rives du Beuvron.
Accompagné de sa fidèle Aïcha qui lui obéit au doigt et à l'oeil et aime musser sa tête au creux de ses bras lors d'une pause, il est comme tous ces hommes que pousse un instinct vers la chasse, lui fils d'une terre giboyeuse où craillent le soir les faisans qui se branchent pour la nuit et s'appellent les perdrix dans les chaumes tandis que les lapins sortent par bandes des bois à l'assaut des récoltes dès la pique du jour et que se fait entendre un écureuil grignotant une faîne.
S'il tend la nuit des collets dans les pineraies, les genêtières et les boulassières après avoir repéré le meilleur baliveau et choisi la touffe ou la passée dans les breumailles pour dissimuler son piège, c'est surtout pour le plaisir et le sentiment de liberté, même si cela en outre améliore l'ordinaire pour nourrir sa femme et sa nichée de drôles.
Dans un style somptueux,
Maurice Genevoix nous emmène à travers la Sologne pour un moment de pur plaisir bucolique dans un premier temps, et on s'imagine bien nuitamment débusquer
Raboliot au détour d'une plaisse tandis qu'il inspecte ses collets à la lueur du soleil des loups :
« La lune haute laissait ruisseler aux pentes du ciel d'amples ondes de clarté huileuse. Les champs moissonnés, les labours ondulaient avec une souplesse retenue, et qui semblait aux yeux une sorte de toucher velouteux…
Raboliot était content pourvu qu'il pût offrir son visage à l'air vif, qu'il marchât en silence avec Aïcha près de lui, qu'il exerçât ensemble la finesse de ses sens aux aguets, son instinct de chasse et de ruse…La joie naissait, jaillissait d'elle-même, il était sûr que de cette nuit, de tout ce qu'il ferait cette nuit, ne pourrait naître qu'une joie toujours plus riche et plus grisante…Chasser dans la nuit avec pour compagnon le halètement chaud d'Aïcha, sa forme ardente et sombre et ses bonds meurtriers…Une soûlerie capiteuse, un vertige de bonheur lui enflait la poitrine… »
Jusqu'au jour où une dénonciation lui met les gendarmes aux trousses, et notamment un certain Bourrel, gendarme vertueux, cruel et sans concession qui va se servir de Trochut l'aubergiste pour confondre
Raboliot qui va fuir et se cacher d'abord chez son beau-père taxidermiste et ménétrier, un homme gentil et serviable, puis un peu partout où il peut échapper à Bourrel, ne manquant pas à l'occasion de le narguer en se montrant dans le village à la nuit tombante.
Entre temps, on fait connaissance du comte de Remilleret, de Tancogne son fermier général et de Volat dit Malcourtois, un braco de première, ombrageux et jaloux, au passé sulfureux, qui tient aussi le rôle de garde des terres du comte. Quand Volat découvre qu'un autre braco est passé sur les terres du comte, il est fou de rage et de révolte : il sera sans pitié avec qui le brave ! Il a compris que
Raboliot est passé par là. Fiévreux de rancune il va frapper et va utiliser la petite Delphine, fille de Flora sa femme, pour pister
Raboliot qui a, c'est certain, colleté sur les terres du comte. Mais rien ne va se passer comme il l'escomptait du moins dans un premier temps. La petite Delphine, habile et sauvageonne va zigzaguer entre les lignes s'alliant au gré du temps avec
Raboliot ou avec ses poursuivants.
Traqué sans relâche,
Raboliot avoue à la dérobée son désarroi à Sandrine qui lui conseille de se confier à son père qui l'avait déjà hébergé, lequel conseille à
Raboliot de se rendre aux gendarmes. La famille est sans ressource, la maie est vide, le fourneau est froid et les drôles vont rentrer de l'école affamés : se rendre est la meilleure solution.
Une ultime équipée braconnière avec ses amis Sarcelotte et Berlaisier se termine mal : ils ont été trahis et les deux amis sont emprisonnés.
Raboliot parvient à fuir au fond des bois, chasser pour se nourrir et fusiller les capucins qui boultinent parmi les éteules ou les judelles qui rament dans les jonchères. C'était son seul plaisir. Maintenant c'est sa survie. Les mois passent, il vit dans les bois comme un loup solitaire, avec comme seul et bref plaisir, lorsque la nuit engrisaille la lande et enténèbre les halliers, après avoir couru dans les près parmi les flouves et les phléoles tremblantes, quelques échappées chez Flora au charme de qui il succombe.
Il erre se répétant le nom de Sandrine et celui de ses enfants Edmond, Léonard, Sylvie dans une sorte de délire… et il les rejoint. La maison est là dans l'ombre et son destin l'attend…
Ce magnifique roman que j'avais lu à l'âge de quinze ans , connut dès sa publication un immense succès populaire. Ceux qui connaissent la Sologne y retrouveront distillés au fil des pages son charme et son secret. Ils découvriront le personnage de
Raboliot, braconnier hors la loi partagé entre son amour de la liberté et de la forêt, et ses amours humaines, inconciliables parfois hélas.