Ici ce qui cloche, c'est l'incapacité de l'ouvrage à mieux mettre en valeur les quelques courts documents qui nous sont proposés. le commentaire ne va jamais plus loin que l'analyse politique commune, serinée depuis - hélas - des décennies. C'est dommage, mais cela n'en reste pas moins un ouvrage intéressant, regroupant quelques textes d'un des précurseurs de l'écologie politique.
Commenter  J’apprécie         40
Bookchin imagine la création d’un mouvement partant de la base, de l’échelon local, et qui s’organiserait pour diffuser ces idées et les réaliser concrètement. Une fois les assemblées mises en place, celles-ci devraient se fédérer entre elles et chercher à étendre de plus en plus leur champ de compétence politique, c’est-à-dire leur pouvoir de décision. Cette lutte passerait autant par une participation aux élections municipales – comme outil de propagande et comme soutien institutionnel aux assemblées populaires – que par la contestation du pouvoir existant que représente la mairie. La difficulté serait de garder cette ligne radicale de transformation de la société et d’ancrage local face au désir d’efficacité et à la volonté d’obtenir rapidement des résultats. À ce titre, Bookchin n’a pas manqué de dénoncer en politique la «déradicalisation» des «partis verts», leurs incohérences et leurs compromis (exaltant par exemple l’horizontalité, la démocratie de la base et même la décroissance, tout en affichant des ambitions aux élections nationales). Ainsi, par leur stratégie électoraliste représentative, ces politiciens «?alternatifs?» ne font que déposséder les citoyens de tout élan et de toute initiative pour agir.
Pour Bookchin, il est clair que le champ du politique doit plutôt devenir l’émanation du champ social, son expression directe. Il l’englobe et, en même temps, s’y enchâsse, et s’en nourrit. Ainsi, doter les activités sociales alternatives – mais aussi les luttes – d’une traduction politique immédiate et cohérente permettrait non seulement à celles-ci d’exister mais aussi, peu à peu, de s’institutionnaliser, de dépasser la marge pour rivaliser avec le modèle dominant, tout en leur conférant un sens, une force et une portée significatives. En rupture profonde vis-à-vis de toutes les formes de domination – que ce soit celles de la marchandise, de la valeur, de l’argent, du marché, de la concurrence, de l’État-nation, mais aussi celles du patriarcat et des fétichismes multiples –, elles deviendraient difficilement récupérables.
Tout aussi important est le rôle dévolu à la culture. Riche en éléments positifs, liée à des pratiques d’échange, de création, d’entraide au sein des sociétés et avec la nature, celle-ci peut contribuer au renversement de la vision pessimiste et au ré-enchantement du monde. Elle permet de renouer avec la confiance dans un destin collectif en faisant entrevoir un monde nouveau, plus vrai, en syntonie avec la nature. La conjonction de ces éléments devrait ouvrir à la création d’un authentique mouvement de contre-pouvoir (ou «?contre société?») s’érigeant face au pouvoir dominant. Cet agir collectif, ce nouveau pouvoir, à la fois partagé et conçu pour le partage, fort de sa raison, de son éthique, apparenté à la démocratie directe, fonctionnant au plus près des aspirations réelles de chacun et permettant à chacun de les réaliser, phagocyterait progressivement le pouvoir représentatif, en le privant peu à peu de toute légitimité. La propriété collective née des réalisations autogérées se transformerait en propriété communale socialisée.
Cela, bien sûr, ne se fera pas sans susciter l’opposition des tenants du capitalisme et de l’État. Il faudrait alors, nous dit Bookchin, beaucoup d’imagination, de force de conviction, de perspicacité et de persuasion pour garder le cap de la société nouvelle sans tomber dans le piège de l’affrontement violent, domaine dans lequel le projet naissant ne pourrait rivaliser. Mais cette opposition constructive est somme toute préférable à la certitude de devoir continuer à subir passivement l’extrémisme destructeur du capitalisme et de son économie de croissance.
Ce processus de simplification de l'environnement, qui le ramène de plus en plus vers l'élémentaire et le grossier, n'a pas qu'une dimension matérielle mais aussi culturelle. La nécessité de manier d'énormes populations urbaines, de transporter, de nourrir, de faire travailler, d'instruire et de divertir de quelque façon quotidiennement des millions de gens rassemblés sur un espace très restreint, conduit à un très grave déclin des valeurs civiques et sociales. Une conception de masse des relations entre les hommes, avec une tendance au totalitarisme, à la centralisation et à l'embrigadement, relègue dans le passé les valeurs individuelles. Les techniques bureaucratiques de gestion de la société tendent à remplacer les méthodes humanistes. Tout ce qui est spontanéité, créativité et individualité est cerné par le standardisé, le conditionné, le massifié. L'espace alloué à l’individu est sans cesse grignoté par les restrictions qu'impose un appareil social impersonnel et sans visage. Tout ce qui fait la qualité unique de la personne se trouve de plus en plus étroitement assujetti, pour être reconnu, au contrôle du plus petit commun dénominateur de la masse. C'est sur le mode quantitatif, statistique, comme dans une fourmilière, que l'on traite l'homme au détriment de toute approche mettant l'accent sur la singularité individuelle, la libre expression et la richesse culturelle.
Le "citoyen" actuel se limite au rôle de contribuable et de sélection d'un "élu" sur lequel il n'a d'ailleurs plus aucune prise une fois son bulletin glissé dans l'urne. D'où, de plus en plus, un contexte de désillusion face à la politique et une abstention croissante.
Pour Bookchin, il est fondamental aujourd'hui de revigorer la politique, de revenir à son fondement : l'ancrage local par la démocratie directe, soit une démocratie municipale, à travers des assemblées citoyennes directes, en face-à-face, un véritable phénomène organique où l'activité d'un corps public, d'une communauté, implique directement chacun de ses membres.
On ne peut pas plus "persuader" le capitalisme de limiter sa croissance qu'un être humain de cesser de respirer. Les tentatives de rendre le capitalisme "vert" ou "écologique" sont condamnées d'avance par la nature même du système, qui est de croître indéfiniment.
L'obligation faite à l'humain de dominer la nature découle directement de la domination de l'humain sur l'humain.
Lecture : Murray Bookchin et la révolution en Aragon, par Floréal Romero
Lecture du livre Agir Ici et Maintenant de Floréal M. Romero -
Partie 1, Chapitre 2, Section 5 :
La révolution en Aragon, le confédéralisme en action.