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Je me suis lancé avec appétit dans la lecture de cet essai qui m'avait été offert à Noël, un beau livre magnifiquement illustré par de nombreux tableaux et dessins.
L'auteur a dû ressentir une profonde délectation en écrivant cet essai, étude croisée entre la peinture de Watteau et la poésie de
Verlaine. Son érudition atteint des sommets. Presque trop, avais-je pensé… Je redoute souvent que ce genre de livre passe à côté de l'essentiel : expliquer clairement les liens unissant les deux artistes et montrer la beauté de leur art.
Sans toujours comprendre les figures de style de certains mots utilisés par l'auteur, j'ai dépassé cette difficulté de lecture apparente et, finalement, je me suis laissé embarquer par la qualité de l'analyse et la beauté des textes et reproductions de tableaux.
Après la mort de Louis XIV, une folie de plaisir s'installe au moment de la Régence. le peintre
Antoine Watteau montre des personnages de la haute société s'adonnant au badinage dans la pénombre de bois ou parcs, au son de mandolines, au milieu de statues suggestives. le théâtre et la danse sont présents. Il s'agit d'une sorte de chronique du temps : robes à panier, perruques poudrées, attitudes outrancières, visages pâles agrémentés de touches rouges. En 1712, le peintre est reçu à l'Académie royale de peinture avec le tableau « Pèlerinage à l'île de Cythère ». Ce genre pictural est appelé par les académiciens « peintre en festes galantes ».
Un siècle et demi plus tard, en 1869, le jeune
Paul Verlaine fait paraître son recueil de poèmes « Fêtes galantes » directement inspiré de l'oeuvre de Watteau.
« Qui d'autre mieux que
Verlaine a compris qu'un poème est de la musique avant toute chose. » Elle est constante dans ses vers : sonorité, répétitions, pas de danse, sensations.
Watteau se fait lui-même musicien dans ses tableaux : « Fêtes vénitiennes » ; ou montre des musiciens qui apparaissent dans la plupart de ses toiles : « Les charmes de la vie, « La gamme d'
amour ». La peinture elle-même est musique et rythme la composition : les personnages de « Pèlerinage à l'île de Cythère » s'invitent, se lèvent, discutent, s'enlacent au rythme d'un menuet.
Verlaine nous étourdit par la danse dans le poème « Mandoline » : « Leurs courtes vestes de soie / Leurs longues robes à queues / Leur élégance, leur joie / Et leurs molles ombres bleues / Tourbillonnent dans l'extase ».
« Les « Fêtes galantes » sont un éternel bijou », écrit Mallarmé. Watteau a introduit la grâce musicale en peinture ;
Verlaine est le poète qui a musicalisé la langue française. Il nous invite au songe dans « L'allée » : « Fardée et peinte comme au temps des bergeries / Frêle parmi les noeuds énormes de rubans / Elle passe, sous les ramures assombries / Dans l'allée où verdit la mousse des vieux bancs ».
Un poète grec Simonide de Céos et le peintre
Léonard de Vinci comparèrent la peinture à la poésie. Un chapitre du livre s'interroge : « des « Fêtes galantes » préimpressionnistes ? » On peut se poser cette question, car
Verlaine est contemporain de la plupart des peintres avant-gardistes. Lorsque paraît le recueil en 1869, Monet et Renoir créent l'impressionnisme en allant peindre ensemble la guinguette La Grenouillère sur l'île de Croissy. La peinture de Watteau et la poésie de
Verlaine cherchent, eux aussi, à rendre la sensation, la fugacité des choses. D'ailleurs, Monet affectionnait « L'embarquement pour Cythère » et Renoir a été influencé par des scènes de Watteau dans ses toiles « La Promenade » ou « Les
amoureux ».
On pourrait alors parler de signes avant-coureurs de l'impressionnisme… Pourtant l'auteur ne retient pas l'image impressionniste : pour lui, Watteau et
Verlaine proposent une perception de la réalité alors que les impressionnistes créent un univers onirique. J'ai un avis différent de l'auteur sur la poésie de
Verlaine dans laquelle je retrouve tout ce que j'aime chez mes amis peintres : spontanéité, atmosphère trouble, vivacité de la touche …
Rubens… Watteau s'inspira de ses toiles en visitant le Palais du Luxembourg à Paris. Nous retrouvons les tonalités colorées du peintre flamand dans son oeuvre où la couleur prime : un jeu des contrastes s'intègre dans l'ensemble et les touches de couleur vibrent et fusionnent. Deux vers de
Verlaine « Car nous voulons la Nuance encore / Pas la couleur, rien que la nuance ! » peuvent s'appliquer à la façon dont Watteau travaille la couleur : non pour elle-même, mais comme nuance, par touches légères, dans un jeu global où tout est lié.
« le
Verlaine des Fêtes galantes peut nous aider à mieux saisir Watteau : à côté du chantre des plaisirs et de la nonchalance, il y a le Watteau peintre de la mélancolie. » Les deux artistes ont en commun une même vision de l'homme où le libertinage n'est finalement qu'une illusion visant à refuser d'affronter la réalité.
Derrière l'évocation des plaisirs chers à Watteau, certains paysages reflètent l'âme du poète, sa propre sensibilité, laissant entrevoir un spleen baudelairien qui va en s'amplifiant au fil des poèmes. « En sourdine » :
« Et quand, solennel, le soir
Des chênes noirs tombera,
Voix de notre désespoir,
Le rossignol chantera. »
Le ton devient sombre dans « Colloque sentimental » :
« Dans le vieux parc solitaire et glacé
Deux spectres ont évoqué le passé. »
Les 22 poèmes des Fêtes galantes illustrés des toiles de Watteau terminent ce très beau livre.
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