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EAN : 9782070551866
93 pages
Gallimard Jeunesse (27/01/2003)
4.67/5   3 notes
Résumé :
Ils sont nos contemporains. Ils nous parlent du ciel, des arbres, de l'enfance, de l'amour, de la mort. Soudain, capables d'émerveillement, d'étonnement, nous voyons et éprouvons différemment. Un florilège de poèmes du temps présent par des poètes d'aujourd'hui.
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LIONEL MARCHETTI

L’artiste est confronté très tôt (et quelle que soit la qualité visible ou audible de ses premiers pas) à une force d’évidence. Un geste simple, une esquisse première occupe une place de plus en plus grande, souvent depuis l’enfance, et voici le déploiement de cette relation intime avec cet air libre au-dehors (et autour) de lui-même qui se propage et germe dans un terreau de clarté et de confiance.
Évidence, clarté et confiance.
Daniel Odier parle de spatialité du Soi 5 : cette spatialité est-elle déjà là pour l’artiste ?
Confiance en un petit détail.
Le château de sable en bord de mer pour lequel on a travaillé, à mains nues, pendant des heures et des heures entières. Confiance, tout autant, en cette manifestation minuscule à laquelle d’autres, peut-être, seraient restés sourds — ou aveugles.
Confiance en cette écharde qui luit, peut-être même gêne et que l’artiste élève - c’est un choix - jusqu’à la source vive de ce qui, tel un ruisseau et passées les roches, les goulets, la forêt ou les combes prendra une allure neuve et deviendra, il faut en être sûr, un grand fleuve : le fleuve vivant de sa propre nature essentielle.
L’artiste sait cela.
Le sait-il ?

Éliane Radigue le sait, soyons-en sûr, elle qui nous offre depuis le début des œuvres majeures où la facture (souvent à contre-courant, il faut le dire, des nombreux styles déployés dans le si riche répertoire de la musique concrète) plutôt que de sombrer dans un délire cinétique nous approche d’un certain silence.

Encore faut-il mener à bien et accomplir, en tant qu’artiste, un authentique cheminement pour rejoindre ne serait-ce que l’orée de telles régions.

Le silence : je ne songe pas, cependant, en ce qui concerne les compositions musicales d’Éliane Radigue, à un silence sans manifestation.
Il existe dans l’art sonore de la musique concrète un silence actif qui naît lorsque l’œuvre est à sa plénitude.
Et comment imaginer un tel rapport équilibré de la forme et des forces mises en œuvre si ce n’est lorsqu’il apparaît que l’exigence d’un face à face a été accomplie ?

Le compositeur concret est l’artisan de ses propres sons — compositeur et interprète tout à la fois. Interpréter suppose que l’on sache respirer : avec l’espace ; avec en main un corps sonore et toute la panoplie de ses complexités ; avec ce que lui réserve (parfois lui offre) le naturel d’un lieu.
Or le lieu de l’interprétation concrète, au moment de la composition, est celui de l’œuvre elle-même — en son support. Michel Chion parlera de l’espace interne d’une musique concrète.6 Voici l’une des spécificités de cet art permis par la captation des sons. Et cet espace interne, lorsqu’il se charge d’une véritable poétique se mue, pour notre écoute, en un volume.
Ce volume n’est pas un masque ou une fiction de plus (bien qu’ici les images commencent à frayer) : être au plus proche (au contact) de ce volume, en tant que compositeur puis en tant qu’auditeur, c’est éprouver intensément cette spatialité en dehors de nous-même qui pourrait bien être l’étendue incandescente et ouverte de notre nature primordiale.

Une musique naturelle ?

L’artiste ne doit pas se mentir à lui-même.
Seule sa sincérité compte.
Voici ce que nous dit l’œuvre d’Éliane Radigue : il existe un silence qui innerve.
Il existe un silence qui déploie des forces.
Il existe un silence qui déferle.
N’est-il pas cette substance ontologique - un monde à lui tout seul - qui nous laisse vivre et respirer jusqu’à nous ouvrir, en tant qu’auditeurs désormais éveillés, à cette énergétique indispensable qui pourra nous permettre d’entretenir une relation fructueuse avec l’innomé, le non-né, ce qu’il est impossible de nommer ; lorsque celui ou celle qui habite sur cette Terre accepte de vivre les yeux et les oreilles grands ouverts, imprégné de la complexité du monde et ses mystères — monde qui nous a forgés et forgera d’autres êtres après nous ?

Han Shan, poète chinois du sixième siècle :

« de lui-même l’esprit
capte la lumière

dans la saillie du silence
le savoir naît

contemple le vide
il est plus tranquille encore »7

L’évidence, lorsqu’elle se manifeste - pour celle ou celui qui décide de la prendre en charge et de la mener toute une vie durant - s’accroche et s’insinue jusqu’à la racine de son enthousiasme.
L’évidence, pour nous tous, êtres Vivants, affleure à la surface du flux qui irrigue le monde : notre monde.
Et seuls ceux qui, en pleine santé, ont confiance en leur sang peuvent le voir — ou l’entendre.
Mais n’est-il pas risqué de pénétrer en de tels territoires ?
Le chemin sera long, épineux, piégé peut-être avec cependant, de temps à autre, à la croisée des cols ou des vallons, l’apparition de quelques pierres brillantes polies par le temps comme autant de forces et de joyaux que sait nous délivrer la nature.

Cette prétendue clarté n’est-elle pas plutôt un attelage ?

Henri Michaux : « si tu traces une route, attention, tu auras du mal à revenir à l’étendue. »8

Un attelage, certainement.
Mais un attelage à l’intention de ce qui est.9
Attelage dont les rênes, au final, et passée la grande épreuve du souffle (certains parleront d’un second souffle voire d’une tierce respiration) devront se dissoudre au contact de la réalité.

N’existe-t-il pas une sagesse artiste qui sait que le grand chemin est ce détour qui le ramène enfin aux choses et à la simplicité d’être parmi tous ?

La vie est un cercle.

Notre existence, guidée par l’œuvre d’Éliane Radigue, en a conscience — à l’instant.

« L’univers est très beau
Mais il ne parle pas.
Les quatre saisons se succèdent
Selon leurs lois
Mais elles n’en discutent pas.
La création entière se base
Sur des principes absolus
Qui demeurent informulés. »10



---
1 Tchouang-tseu.
2 Jean Louis Schefer.
3 Zéami.
4 Tantra Yoga – Le Vijnänabhaïrava tantra – le « tantra de la connaissance suprême », traduit et commenté par Daniel Odier, éd. Albin Michel, 2009, p. 18.
5 Ibid. p.9.
6 Michel Chion, in La musique concrète, art des sons fixés, Entre-deux, Momeludies éditions/CFMI de Lyon, 2009.
7 Han Shan, in Montagne froide, texte français de Martin Melkonian, éd. Fourbis, 1996, p. 22.
8 Henri Michaux, cité par Zéno Bianu in Le désespoir n’existe pas, éd. NRF Gallimard, 2010, p. 169.
9 Daniel Odier, op. cit.
10 Tchouang-tseu (et ainsi que pour l’exergue de ce texte) - traduction de Marc de Smedt.
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LIONEL MARCHETTI

Une
musique
naturelle
(à propos de l’œuvre concrète
d’Éliane Radigue)

« L’étranger dit :
— La vérité se trouve dans la sincérité
Quiconque n’est pas sincère
Ne peut agir sur autrui…
Seule la vérité intérieure
Permet à l’esprit d’agir à l’extérieur ;
C’est là ce qui fait le prix de la vérité.
Son utilité consiste à mettre
Chaque chose à sa place. »
Tchouang-tseu


L’artiste se penche-t-il sur une chose ou est-ce la chose qui se penche sur l’artiste ? Dans tous les cas, l’artiste éprouve la chose : il la serre sur son cœur, contre son corps, dans un rapport de forces absolument égales (et il est nécessaire de comprendre ici la complexité et l’ambiguïté d’une telle épreuve). Se pencher. Regarder. Écouter. Non pas pour étouffer mais pour étoffer le monde. Prendre tel quel ce qui est là et en affiner, magistralement - et inutilement - la subtilité des combinaisons et ce, jusqu’à ce qu’une étincelle émerge.

Le sage dit quelque part : choser les choses et ne pas se faire choséifier par les choses.1

Nous voici en prise avec le réel. Aux commencements, toujours, un geste simple. Deux pierres frottées l’une contre l’autre. Utilité de l’Inutile. Dans la construction en aventure d’une architecture artiste ce sont de tels gestes qui grandiront. Et c’est ainsi que se bâtit une œuvre.
Par petites touches.
Lorsque chaque touche concentre un instant de réalité (j’aurais envie de dire : lui donne sa chance) et déclenche un réseau de relations - un filet d’intrigues lancé au sein d’une fiction ? - qui toutes, selon leur principe intime, bientôt porteront leurs fruits.

C’est un tel réseau de forces mêlées, au sein d’une verdeur, que j’ai ressenti à la première écoute de Kyema, Intermediate States d’Éliane Radigue. Œuvre musicale qui m’a tout de suite fasciné, quand bien même, à l’époque, je n’en possédais qu’une K7 audio plus ou moins bien copiée et régulièrement altérée de pleurages et autres scintillements. Car Éliane Radigue, depuis ses toutes premières compositions (je pense à E = A = B = A + B ; Psi 847 ; Geelriandre ou encore Biogenesis) nous propose une Œuvre.
L’œuvre, quand elle se manifeste à l’évidence de son autonomie dégage d’elle-même un éclat (une flagrance) qui dépasse très vite la problématique, par exemple, de la déficience technique citée plus haut.
En effet, que peut-il rester d’une œuvre musicale concrète (permise uniquement par l’enregistrement et la diffusion haut-parlante, il est important de le rappeler ici) passé le filtre des copies diverses et autres réductions ou mutations technologiques, si ce n’est l’identité d’un grand geste manifeste : le souffle de présence qui toujours sera là, lui seul étant à même d’engager durablement une relation poétique authentique - voire plus que réelle - avec l’auditeur ?

Le sage dit également : le réel de l’image est l’effet qu’il nous fait.2

L’œuvre (au moment où elle s’affirme comme œuvre) respire : déjà solitaire. Elle dessine une ligne efficace, au sens de ce qui possède une énergétique exacte. Énergétique qui trouvera toujours le chemin d’une correspondance avec un dehors (le grand dehors) alors même qu’elle aura été en quelque sorte abandonnée, depuis longtemps, par son créateur, puisque le voici déjà à frayer en d’autres contrées qui l’abreuvent.
L’œuvre, lorsqu’elle mérite cette dénomination, déploie une ligne qui la rattache aux inscriptions premières des premiers hommes. Le microphone face à un haut-parleur : l’effet miroir du haut-parleur. Une main dessinant sur les parois d’une caverne. Le microphone à l’équilibre d’une amplification instable au moment où l’effet larsen - au plus proche d’une faille acoustique tout autant foudroyante que sidérante - déploie, curieusement, un écho nouveau.
Pouvons-nous imaginer cette tête pensante, la bouche pleine de pigments, souffler sur sa main apposée contre la roche et laisser cette forme essentielle (l’image de sa main) comme un appel aux générations présentes, passées et futures ?
Quels sont ces signes qui depuis si longtemps nous convoquent et ouvrent, depuis leur sombre inquiétude enfouie sous une matrice de terre et de roche, un espace sans limites — une immensité ?
Et nous voici aujourd’hui, écoutants solitaires, contemporains des arts permis par l’électricité à peine apprivoisée, nous appuyant, à notre tour, sur l’œuvre d’Éliane Radigue.
Que pouvons-nous bien en faire ?

Un peu de neige s’amoncelle sur un plateau d’argent.3

Éliane Radigue, depuis le début des années soixante jusqu’à aujourd’hui, a manipulé un instrumentarium électrique tout d’abord essentiellement relié à l’air par voie microphonique : le retour sur soi du son haut-parlant comme un miroir face à un autre miroir.
Petit à petit elle a, de surcroît, fabriqué ses sons, en regard, avec des synthétiseurs (tout particulièrement le synthétiseur modulaire ARP 2500) non sans recopier, au final, l’ensemble de son jeu instrumental (inventions subtiles de filtres manipulés et autres réglages fins, au potentiomètre, le tout accumulé en strates) sur des magnétophones analogiques à bande magnétique - parfois eux-mêmes mis en boucle - qui auront donné, de leur côté, cette coloration si chaude et si humaine au rendu de l’entièreté de sa palette.
Récemment, par ailleurs, la compositrice est retournée à son attitude première plus aérienne et travaille à une transmission de vive voix avec des instrumentistes (comme par exemple Charles Curtis au violoncelle pour Naldjorlak) et ce, pour leur transmettre une musique nouvelle.

L’artiste est-il quelqu’un qui cherche ?
Je ne le crois pas.
Quand il cherche le voici déjà fourvoyé.
Le souffle simple de l’évidence n’est plus là.
Inspirer et expirer — expirer et inspirer.
Considérons la vie (la vraie) à la verticale d’une telle simplicité mère.

En suivant ce que nous inspire l’œuvre d’Éliane Radigue, passée et à venir, j’ouvre le Vijnänabhaïrava tantra (texte shivaïte ancien traduit par Daniel Odier) :

« Entre dans le centre du son spontané qui vibre de lui-même comme dans le son continu d’une cascade ou, mettant les doigts dans les oreilles, entends le son des sons et atteins […/…] l’immensité. »
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