Quand je vous tiens dans mes bras, ma très belle. C'est seulement alors que je ne sais plus ce que je fais. Et c'est une erreur que j'ai payée bien cher. C'est parce que j'avais la faiblesse de vouloir demeurer près de vous, ma petite épouse trop séduisante, qu'il y a quinze ans, je n'ai pas fui à temps les argousins du Roi chargés de m'arrêter et que, l'autre nuit, ma vigilance s'est relâchée, laissant à vos Huguenots le temps de préparer leur traquenard et de m'y faire tomber...
Vous connaissez donc les lois de la mer. Quel sort réserve-t-on à ceux qui, en cours de navigation, s'opposent à la discipline du capitaine et cherchent à attenter à sa vie ?... On les pend... Haut et court, et sans jugement.
Qui peut se vanter de l'origine intègre de l'or qu'il y a dans sa bourse ? Vous-même, monsieur Manigault, la fortune que vous ont léguée vos pieux ancêtres, corsaires ou commerçants de La Rochelle, n'a-t-elle pas été arrosée des larmes et des sueurs des milliers d'esclaves noirs que vous avez achetés sur les côtes de Guinée pour les revendre en Amérique ?
Seuls le calme et la dignité pouvaient tenir en respect ces hommes exaspérés. Elle sentait leur besoin de tuer et d'assurer leur domination encore précaire. Un geste, une parole, et l'irréparable pourrait s'accomplir.
– Piraterie ! Vous inversez les rôles, il me semble.
– Hé ! Comment alors nommer l'acte qui consiste à s'emparer par la force du bien d'autrui, en l'occurrence mon navire ?
Anne Golon - La victoire d'Angélique (1985)