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EAN : 9782356877932
210 pages
Editions Le Bord de l'Eau (02/07/2021)
4/5   1 notes
Résumé :
L'ouvrage traite d'un mouvement d'opposition aux réformes néolibérales conduit par des jeunes étudiants Japonais qui acquiert les connaissances sur la démocratie à travers leurs pratiques de mobilisation.
Que lire après Occupy Tôkyô : SEALDs, le mouvement oubliéVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Depuis une dizaine d'années, dans le monde entier, des manifestations pour réclamer des changements démocratiques ont eu lieu. L'Asie et le Japon notamment n'ont pas été silencieux. le Japon redécouvre même des mobilisations occupant la rue comme il ne l'avait pas vu depuis…longtemps ; mobilisation particulière, de la jeunesse ou comme l'écrivent Anne Gonon et Christian Galan « un réveil de sa jeunesse dans la rue, au travers d'un mouvement aussi inattendu que déroutant appelé SEALDs [acronyme pour Students Emergency Action for Liberal Democraty] et dont le slogan était Qu'est-ce que la démocratie ? ».
Ce mouvement se crée en mai 2015, prenant la suite d'une précédente mobilisation (décembre 2013) contre des projets du deuxième gouvernement de Shinzo Abe. le groupe (± 400 membres) s'auto-dissout en août 2016.

S'il y a quelques inspirations communes avec les mouvements Occupy, des places ou des Indignés, les deux auteurs nous rappellent le contexte pleinement japonais de leur existence : crises économiques que connaît le pays depuis le début des années 90, avec leurs conséquences sociales, et la triple catastrophe de Fukushima.
Si les SEALDs sont un mouvement de jeunesse, il est quasi exclusivement composé d'étudiants (mais pas représentatif de l'ensemble des étudiants). Autre caractéristique, leur revendication démocratique a pour origine des lois contestées, lois liées à la sécurité, mises en place par le très droitier Parti Libéral Démocratique (parti au pouvoir depuis les années 50 quasi sans interruption. Parti symbole d'une forme d'immobilisme : âge élevé des politiciens, caractère quasi héréditaire, peu ou pas de diversité. Avec pour conséquence une chute depuis 20 ans de la participation électorale) dans un contexte de remise en cause indirecte de l'article 9 de la Constitution japonaise dans lequel le pays renonce à la guerre.

Dans la première partie de l'ouvrage les deux chercheurs exposent les conditions structurelles qui expliquent l'apparition des SEALDs.
Depuis le début des années 90, le Japon n'est plus le pays triomphant qu'il a été : rentrés dans une certaine forme de normalité, les japonais et les jeunes ont découvert la pauvreté et « en même temps que le mythe d'une société égalitaire et harmonieuse s'effondrait ». S'y ajoute une structure démographique bouleversée : le pays vieillit radicalement. le système s'étiole, avec des changements dans l'enseignement supérieur et les difficultés de l'entrée dans la vie adulte. le fossé grandit entre les adultes et les politiciens qui se plaignent de cette jeunesse, faisant surtout « un mauvais diagnostic de la situation ». Les jeunes ont compris qu'il n'y aurait pas de solidarité intergénérationnelle et que les crises qui ont changé leur pays, ce sont eux qui allaient devoir les assumer.
A. Gonon et C. Galan s'appuient sur de nombreuses références tant japonaises qu'occidentales (J. dewey, M. Fossel, J. Rancière, H. Jonas) et notamment pour ce dernier point évoqué, Pierre Bourdieu et ses concepts de désillusion collective et de déclassement.
Toutefois chez certains jeunes, cette crise débouche sur un intérêt pour l'engagement politique dans un pays où la population est très dépolitisée :  « s'ils s'accommodent de la crise économique et des conséquences sévères de la baisse démographique que connaît leur pays, la crise morale et la dérive nationaliste de leurs dirigeants les inquiètent et leur action se déplace et se développe de fait sur le plan des valeurs ».

La crise économique et politique ainsi que la catastrophe nucléaire - comme facteurs déclencheurs d'un engagement individuel et collectif - ont agi de manière souterraine sur la société japonaise et sont à la source de l'engagement d'une petite minorité.

C'est dans la deuxième partie du livre que les auteurs analysent ce mouvement : ses origines ; le retour sur la place publique des intellectuels japonais et le soutien qu'ils ont apporté aux SEALDs ; le choc Fukushima qui marqua le retour d'une mobilisation.
L'activisme des SEALDs est envisagé comme une formation à la vie, comme un cheminement tant individuel que collectif : ce sont des sujets agissants qui par leur action introduisent «  des changements dans le coeur de la vie ». La démocratie devient une forme de vie. Les travaux du philosophe John Dewey sont ici abondamment utilisés, particulièrement deux notions : la formation du jugement et la question des moyens-fins.
Il est à noter que les SEALDs ne se rattachent pas aux luttes antérieures qu'a connu le Japon, ni à un cadre théorique, mais la participation à la manifestation est un apprentissage, et permet d'articuler action et réflexion, soit acquérir une opinion et la mettre en application (utilisation des réseaux sociaux, des outils numériques, séances de travail, réflexion collective…) Dans le paysage politique japonais, les idéaux mis en avant par les SEALDs peuvent les rattacher aux partis de gauche, toutefois ils ne se positionnement pas sur les thèmes habituels de luttes sociales. Leur activité les rapproche plus d'un think tank (rien en empêche de penser qu'aujourd'hui, les anciens SEALDs ne sont pas aussi sur le terrain dans des alternatives concrètes).
Le mouvement a bien sur essuyé des critiques (rattaché à la gauche et donc comme un mouvement repoussoir ; réformiste et pas révolutionnaire ; populiste ; élitiste) visant plus à les disqualifier qu'à les interroger avec objectivité.

L'importance de cette mobilisation est aussi d'avoir interrogé la notion de collectif et d'égalité. Les auteurs rappellent que la « communauté fait partie de ces notions complexes qui, au Japon, sont chargés d'un fort poids idéologique… ce terme de communauté fondé sur des relations égalitaires entre individus pose problème du fait de son caractère étranger à la tradition sociale et politique japonaise ». En faisant la promotion de l'égalité, les SEALDs allaient à l'opposé des pratiques traditionnelles du monde politique très hiérarchisé, mais aussi de la société en général traversée qu'elle est par des « relations inégalitaires fondées sur l'âge, relations conscientes et inconscientes, acceptées et structurantes ».
Si les SEALDs ont été une école de formation à la citoyenneté pour ses participants, le résultat pourtant n'est guère enthousiasmant : ils n'ont pas fait école ; le mouvement s'est rapidement dissous. « Ce qui semble dominer aujourd'hui chez les anciens SEALDs, c'est un sentiment de désenchantement, non pas face à l'échec politique, mais face à l'incompréhension » des commentateurs et des adultes : ils n'ont pas été pris au sérieux.
Désobéissance. le mouvement s'inscrit bien dans les cas de désobéissance qui traversent – on le sait peu – la société japonaise : sans transgresser la loi à proprement parler, les SEALDs et leur slogan « Qu'est-ce que la démocratie ? » ont bel et bien remis en cause le fonctionnement des institutions, s'opposant au légalisme. « Ils n'ont certes pas « désobéi » dans le sens que H. D. Thoreau donne à ce verbe, mais ont toutefois désobéi au regard du fonctionnement « normal/normé » de la société japonaise ».
Si reproche on peut leur faire, c'est celui d'avoir voulu continuer et faire évoluer leur mouvement par des voix institutionnelles, notamment croire au pouvoir – sic ! - des urnes. « Il est évident toutefois que, en refusant de pratiquer une véritable désobéissance, les SEALDs se sont privés de certains moyens d'action qui auraient davantage révélé les apories de la démocratie japonaise ».

Bien que ne pouvant dans ce billet tout évoqué ce qu'il développe, Occupy Tokyo est un livre fort instructif et accessible pour qui veut en apprendre sur le Japon – un Japon bien réel et pas fantasmé - et le fonctionnement de sa démocratie, pour qui veut savoir qu'au Japon des mobilisations politiques existent – toujours -, pour qui veut apprendre que comme partout dans le monde des jeunes - companeras et companeros - ne se satisfont pas que certain-es fassent à leur place : qu'est-ce que la démocratie ? La démocratie c'est çà (ce que nous faisons là maintenant).
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Citations et extraits (4) Ajouter une citation
... à l'époque du virtuel, le terme public ne va pas de soi. Certains soulignent que les réseaux sociaux créent un espace public virtuel, mais les exemples de mobilisations ont montré que ce n'est qu'un moment dans l'histoire de celles-ci. Le terme espace public implique en effet une dimension spatiale, géographique concrète. Le public a besoin d'un lieu où se manifeste son caractère ouvert, public. Dans son ouvrage Quand la place devient publique, Joëlle Zask propose ainsi une étude des caractéristiques architecturales de ces espaces appelés places publiques. Étudier le cas de SEALDs oblige à se pencher sur la notion d'espace public en tant qu'espace géographique dans la mesure où les villes japonaises ont des centres mais pas de places publiques à proprement parler, à la différence des villes occidentales. Les rassemblements lancés par SEALDs ont donc eu lieu dans des endroits dont le symbole démocratique était clair mais "moins" démocratique que des places, comme par exemple devant la résidence du Premier ministre ou aux abords de la Diète.
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Le dysfonctionnement de la démocratie accaparée par une oligarchie fut dénoncé avec d'autant de force que les SEALDs, qui se voulaient non-violents, associaient le passage en force de ces lois [sur le secret d'état et sur la sécurité nationale] avec la question de la guerre. Ces lois n'étaient pas en effet de "simples" lois, elles ouvraient la voie à une participation possible du Japon à des actions militaires. La sécurité humaine n'était donc de facto plus assurée par l’État, dont c'est pourtant la fonction - celui-ci apparaissant au contraire comme étant lui-même potentiellement générateur de violence.
Aussi, si l'on reprend la distinction opérée par Manuel Cerevra-Marzal [Les nouveaux désobéissants, éd. Le bord de l'eau, 2016] entre action extra-légale et action illégale, on peut dire que les SEALDs ne sont pas opposés aux lois mais au légalisme, estimant qu'il y avait des lois injustes auxquelles il fallait s'opposer au nom d'une certaine conception de la justice démocratique.
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Les formes de vie qu'il leur faut inventer, la manière d'être au monde et d'agir en société - et donc à terme d'être Japonais - qu'ils doivent se construire, confèrent plus d'autonomie et, de fait, de liberté à la jeune génération. Les jeunes n'ont plus trop d'espoir sur le devenir de leur pays, mais ils ont (re ?) gagné leur agentivité. La nécessité de (ré ?) inventer la forme de leur vie leur a redonné la main sur celle-ci. Et c'est en ce sens qu'il faut analyser et comprendre la démarche des jeunes SEALDs : s'ils s'accommodent de la crise économique et des conséquences sévères de la baisse démographique que connaît leur pays, la crise morale et la dérive nationaliste de leurs dirigeants les inquiètent et leur action se déplace et se développe de fait sur le plan des valeurs.
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Le dysfonctionnement de la démocratie accaparée par une oligarchie fut dénoncé avec d'autant de force que les SEALDs, qui se voulaient non-violents, associaient le passage en force de ces lois [sur le secret d'état et sur la sécurité nationale] avec la question de la guerre. Ces lois n'étaient pas en effet de "simples" lois, elles ouvraient la voie à une participation possible du Japon à des actions militaires. La sécurité humaine n'était donc de facto plus assurée par l’État, dont c'est pourtant la fonction - celui-ci apparaissant au contraire comme étant lui-même potentiellement générateur de violence.
Aussi, si l'on reprend la distinction opérée par Manuel Cerevra-Marzal entre action extra-légale et action illégale, on peut dire que les SEALDs ne sont p
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