Oblomov. Grand classique de la littérature russe, quoique un peu moins connu que les oeuvres de
Dostoïevski, Tolstoï ou
Tourgueniev auprès des Occidentaux. Pourtant, son personnage éponyme, Ilya Illitch
Oblomov a donné lieu à un archétype : celui du jeune aristocrate soumis à une seule force : l'inertie. « Sais-tu, Andreï, que jamais dans ma vie aucun feu ne s'est allumé, ni bienfaisant ni destructeur, aucun. […] ma vie, à moi, a commencé par cette extinction, bizarre mais vraie ! Dès les premiers instants où j'ai pris conscience de moi-même, j'ai senti déjà que je m'éteignais. » (p. 247) C'est cet homme apathique dont nous suivrons le parcours (j'ose difficilement utiliser le terme ‘'aventures'') curieux et assez comique, un parcours que j'ai bien apprécié.
Oblomov a un grand défaut, il est paresseux. Désinvolture, toute activité intellectuelle l'effraie. Lire un livre ? Vous n'y pensez pas, et ce mal de tête qui suivra ? de la visite ? Est-ce vraiment nécessaire ? Il est préférable de rester au chaud dans son lit moelleux. Incapable de prendre une décision, d'entreprendre une action, il reporte tout à plus tard. Heureusement qu'il n'est pas méchant. En fait, c'est plutôt le contraire, certains profitent de sa médiocrité… C'est que ce jeune aristocrate est en quelque sorte un raté (il ne s'est jamais démarqué dans ses études, qu'il a abandonnées dès qu'il eut atteint les exigences minimales pour occuper un poste dans l'administration, poste qu'il a quitté dès que la charge de travail et le stress qui l'accompagnait sont devenus trop lourds à supporter). Bon à rien, il ne remarque pas qu'il se fait rouler par tous, son métayer, le propriétaire de son appartement de St-Petersbourg, etc. Je pense que c'est pour cela que ce jeune homme reste sympathique, voire attachant, malgré tous ses revers.
Ce portrait est complété par celui du serviteur, le vieux Zakhor, mais la fainéantise du maitre déteint un peu sur celle du serviteur. Il se traine les pieds, dort pendant son service, époussette et balaie de façon sporadique… et, à l'occasion, il met la main sur une ou deux pièces de cuivre d'
Oblomov, jamais suffisamment afin que ce dernier ne s'en rende pas compte. Il n'est pas trop gourmand ni imprudent. La maison pourrait tomber en ruine et c'est à peine si ce duo improbable s'en rendrait compte.
Avec ce roman, Ivan Gontcharev a réalisé avec beaucoup de finesse une critique sociale, enfin, surtout une caricature de cette aristocratie oisive qui dilapide son héritage au lieu d'essayer de faire fructifier ses propriétés. Cela m'a fait beaucoup rire. Il faut croire que c'était un réel problème et le personnage est devenu tellement populaire que le terme
Oblomov a fini par coller à tous ceux qui correspondaient à ce nouvel archétype. Un genre de Tanguy, version 1859. Évidemment, c'est un roman de son temps : bienvenue les longs passages descriptifs, les longueurs. Après deux cents pages (un peu moins de la moitié du livre), on se dit qu'on a lu l'essentiel. Que peut-il rester ? Qu'est-ce qui pourrait peut-être transformer cette inertie d'
Oblomov, le faire sortir de sa léthargie ? Un voyage ? Peut-être, si on l'y force. Et c'est ce que tente son fidèle ami Stolz mais, les préparatifs terminés, une enflure à la lèvre constitue un danger grave nécessitant qu'on reporte le départ à une date ultérieure… le jeune homme ne quittera pas St-Pétersbourg. Pas même des problèmes dans ses propriétés de l'Oural ? Que pourrait-il faire, lui qui n'a pas terminé ses études et ne s'est jamais occupé d'agriculture ? Non, mieux vaut qu'il reste là où il est…
Bref, le lecteur aura compris le principe. Jusqu'à l'entrée en scène de la jeune et belle Olga. Est-ce que l'amour d'une femme sera plus forte que l'apathie qui menace
Oblomov ? Saura-t-il le tirer de son divan ? Ou bien cela sera-t-il une complication de plus dans sa vie si douillette ? À vous de le découvrir. Certains se réjouiront de la finale, moi, bah… Mais rendu là, c'est une question de gouts.