Vingt-six prisonniers, crasseux et en mauvaise santé, sont enfermés dans une cave. Ils doivent tous les jours produire des craquelins. le seul rayon de soleil de leur journée est la venue de Tania, une jeune fille qui leur prend les petits gâteaux : « — Bons petits prisonniers ! donnez des craquelins ! » C'est à peu près tout ce qu'ils recevaient d'elle, éventuellement un sourire mais guère plus. Malgré tout, le cerveau des prisonniers est obnubilé par cette jeune femme, sa vie, ses envies. Ils en viennent à la placer sur un piédestal, elle devient leur totem, leur déesse vivante.
« L'homme veut toujours porter son amour sur quelqu'un ; quoique parfois cet amour est tyrannique ou parfois avilissant, et peut empoisonner la vie du prochain, parce que, tout en aimant, l'homme n'estime pas l'être aimé. »
Aussi l'arrivée d'un arrogant personnage « Probablement il n'avait aucune raison de s'estimer, sinon pour son habileté à détourner les femmes ; peut-être, sauf cet aptitude, il n'y avait rien de vivant en lui, et seule cette aptitude lui permettait de se sentir un homme vivant », libre, vient bousculer leur routine et l'un des vingt-six lui lance un défi : Tania, persuadé de gagner. « Nous allions savoir enfin à quel point était pure et inaccessible à la boue cette coupe, où nous avions déposé ce qu'il y avait de meilleur en nous. »
L'homme est ainsi fait, il lui faut toujours prouver quelque chose et faire bouger les limites. Une nouvelle violente.
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Cette nouvelle extraite de « Esquisses et récits » est paru en 1899, Gorki avait trente ans. Ancien boulanger forçat il se pose en défenseurs des pauvres et miséreux dans ce court récit est profondément humaniste.
Cette nouvelle se déroule comme une scène de théâtre, le décor est planté : une cave, insalubre, mal éclairé et sur cette scène s'agitent une équipe de prisonniers loqueteux, crasseux, ces misérables triment dans une boulangerie. Nul ne les regarde, ils n'ont que brimades et rudes exhortations au travail.
« Nous nous sentions à l'étroit et nous étouffions à vivre dans une boîte en pierre, sous un plafond bas et lourd, chargé de suie et de toiles d'araignée. Nous nous sentions oppressés et angoissés, entre les murs épais, tout ornés de taches de boue et de moisissure… » Tous les jours une jeune fille comme un rayon de lumière et une bouffée d'air frais fait une brève apparition, nos prisonniers éblouis lui offrent de délicieux et chauds craquelins. Leur imagination fait le reste, elle devient l'objet de leur tendresse et de leur amour et tous l'admirent : « Nous devions aimer Tania, car nous n'avions personne autre à aimer. » Cette nouvelle qui se veut dramatique est aussi romantique et sentimentale, ces hommes regardant cette jeune « beauté pure » du bas de leur condition et s'accrochant à leurs rêves pour s'extirper de leur misère à quelque chose de bon mais aussi de pathétique. le rêve ne va-t-il pas se briser ?
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Une nouvelle humaniste ( 1899)
Le narrateur fait partie des vingt-six " machines vivantes" enfermées dans une cave humide et insalubre qui du matin jusqu'au soir pétrissent petits pains et craquelins. Les fenêtres ont été condamnées pour ne pas qu'ils nourrissent mendiants et chômeurs. Ils vivent dans la saleté et étouffent à côté de l'énorme four monstrueux. Ils se parlent peu, se disputent souvent et chantent parfois. Et puis, outre le chant, il y a quelque chose d'autre que tous aiment beaucoup c'est Tania, la petite bonne de l'atelier de broderie du deuxième étage, si gaie, si charmante. Tous les matins elle vient appuyer sa jolie figure contre le carreau de la petite ouverture de la porte, les salue et leur réclame des craquelins...
Gorki a lui-même travaillé dans une boulangerie souterraine pour ne pas crever de faim. La description des conditions de vie de ces vingt-six gars est d'une tristesse accablante. Aussi la jeune Tania apparaît comme un rêve aérien , un ange consolateur. le lecteur aussi a envie d'y croire...
Lu sur le site de la bibliothèque russe et slave.
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C’est très pénible et douloureux quand un homme vit, et que rien ne change autour de lui, et si cela ne tue pas son âme à mort, plus il vit, plus l’immobilité de ce qui l’entoure lui devient douloureuse...
L’homme veut toujours porter son amour sur quelqu’un ; quoique parfois cet amour est tyrannique ou parfois avilissant, et peut empoisonner la vie du prochain, parce que, tout en aimant, l’homme n’estime pas l’être aimé. Nous devions aimer Tania, car nous n’avions personne autre à aimer.
Nous l’aimions, — cela dit tout. L’homme veut toujours porter son amour sur quelqu’un ; quoique parfois cet amour est tyrannique ou parfois avilissant, et peut empoisonner la vie du prochain, parce que, tout en aimant, l’homme n’estime pas l’être aimé.
C’est très pénible et douloureux quand un homme vit, et que rien ne change autour de lui, et si cela ne tue pas son âme à mort, plus il vit, plus l’immobilité de ce qui l’entoure lui devient douloureuse...
Tous les vingt-six chantent ; les fortes voix, depuis longtemps accoutumées à l’ensemble, remplissent l’atelier ; la chanson y est à l’étroit ; elle se débat contre la pierre des murs, elle gémit, pleure et ranime le cœur par une douleur douce, chatouillante, elle ravive en lui les vieilles blessures et éveille l’angoisse...
Gorki et ses fils, correspondance (1901-1934) , traduit du russe et préfacé par Jean-Baptiste Godon, est paru aux éditions des Syrtes.
Près de dix mille lettres de la main de Maxime Gorki sont conservées par les archives de l'Institut de la littérature mondiale de Moscou. La présente correspondance inédite entre l'écrivain et ses fils représente 216 lettres échangées entre 1901 et 1934.
Plus d'info sur https://editions-syrtes.com/produit/gorkietsesfils/
Nos remerciements à la Bibliothèque russe Tourguenev à Paris pour avoir gracieusement accueilli le tournage.