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4,19

sur 980 notes
Il n'y a pas vraiment de sens à faire une critique du ‘Rivage des Syrtes', dans le sens où il ne s'agit pas d'un livre qu'on puisse critiquer. On critique une histoire ; or ce n'est pas un récit à proprement parler. C'est une attente. Dans ces conditions, rien n'est plus facile que de passer à côté : il suffit d'attendre qu'il se passe quelque chose. Car ce qui est important dans ce livre n'est pas ‘qu'il se passe quelque chose' mais de l'attendre.

Dis comme ça je suis d'accord, ce n'est pas très vendeur. Pas franchement en accord avec les goûts modernes. Mais l'on n'attaque pas ‘Le rivage des Syrtes' comme on attaque un livre ordinaire. On n'arrive pas sur le rivage des Syrtes, mais sur le front des Syrtes. On prend place à côté d'un homme aussi plein de feu et de vie qu'on peut l'être à vingt ans, qui arrive en un lieu supposément en guerre, mais où il ne s'est rien passé depuis… Trois siècles !

C'est une ambiance construite avec minutie, qui peut s'avérer étonnamment prenante. C'est une succession de tableaux, tous aussi magnifiques les uns que les autres. Et c'est un désir secret, un désir permanent, que dans cette magnifique et vénérable citée, il se passe enfin quelque chose, un tout petit quelque chose, quand bien même cela devrait la détruire. Quand bien même on devrait regretter pour toujours ce moment…

Il est révélateur que ce livre concentre un certain nombre des meilleurs critiques de Babelio. Qu'on l'ai aimé ou non, il pousse chacun à se dépasser. Et pourtant, il m'a toujours semblait qu'il y manquait quelque chose… Mais quoi ?
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Il en est de certains livres comme de certaines îles inabordables. On les découvre, on en fait le pourtour, en louvoyant prudemment de peur de s'échouer sur un récif invisible, on les approche au plus près pour que l'oeil, qui a englobé de loin la ligne maîtresse du lieu, décèle les nouveaux trésors qui ne peuvent être appréciés qu'à distance d'homme. Et si l'on finit par trouver une anse secrète permettant de jeter l'ancre, on n'ose toutefois franchir le dernier écueil pour aller poser le pied sur le sol meuble, comme si laisser sa trace dans un lieu empreint d'une telle majesté constituait déjà un crime céleste.

Il en est ainsi de la lecture du rivage des Syrtes. On a conscience, page après page -et dès la première, qu'il s'agit d'une lecture au caractère unique, de celles qui vont indubitablement laisser une empreinte. On est subjugué par ce grand récit, par le maniement superbe de la langue, la pleine maîtrise et la force du style d'un grand auteur, qui fait danser les mots en une sarabande grandiose. Lorsque la lecture s'achève, l'histoire continue de cheminer en nous. Comme la vague arrivant à terre pour se retirer inlassablement, notre imagination poursuit sa route, en doux allers-retours, comme une divagation rêveuse qu'on ne souhaite pas achever.
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j'appartiens à l'une des plus vieilles familles d'Orsenna. Je chevauchais sans peine des milliers de kilomètres. Je me sentais plein de volupté, de calme et de souvenirs. j'étais tranquille faisant des études sans encombre et sans misère. J'étais incrédule et sans mystère. A l'université ou j'ai étudié était plus ouverte à la réforme. j'aimais les poètes comme Boccace. J'avais le plaisir de la chevauchée avec l'ennui supérieur au plaisir de la générosité anciennement assise.
J'accordais a Aldo beaucoup de mon temps. Je roulais à tombeau ouvert. Orsenna ou Venise ou Maremma ? Délivres à foison, des bastions préservés et hostiles luttaient contre la peste. Belsenza me tançait. le vent qui venait de la montagne m'a rendu fou. Longhone passait pour avoir mis une touche de jubilation. Aldobrandi d'Orsenna était plus attentif aux suggestions que je lui faisais. Les guipures les plus excitantes et démentes avaient jetées au travers des façades.
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Livre d'un presque rien qui dévaste un empire, où le rien qui se passe se fait tout, le rivage des Syrtes fascine. Quelque chose d'antique, ce vieux bouquin jauni, cette guerre larvée qui, mine de rien, se délarve, ces paysages vides, cette atmosphère floue d'une vieille de combat, ce non-dit qui se confesse, ces désirs qui tournent autour d'un pot qui se dévoile presque, quelque chose qui donne un je-ne-sais-quoi. Ce livre ne ressemble à aucun autre. On se dit donc que l'auteur est grand, que du vrai se cache sous ce style pas tout à fait précieux, un style noble et vaguement dérisoire (quelque chose de Proust, mais ailleurs). Quelque chose (le mot quelque chose se répète parce qu'il est le seul qui convient) a lieu, dans cette ville sclérosée d'Orsenna, sur ces rivages flous des Syrtes, dans les populations qui se moyenâgent à Maremna. Un homme (un héros ?) provoque une guerre qui existe déjà, un rouage déborde le vase d'attente, le pouvoir secret se dévoile vaguement, les hordes du Farghestan menacent. Un empire va tomber, on s'en doute, mais le génie de Gracq, c'est de ne pas dire la chute mais ce qui la précède. Quelque chose d'antique, de déjà mort et l'appel de plus en plus net d'une renaissance, alors qu'étrangement, le royaume d'Orsenna, qu'on imagine peut-être italien, fait très Renaissance, on pense à la Venise des Doges, à une Florence empaillée. L'appel de l'inconnu, la frontière dont on sait très vite, dès la scène de la salle des cartes, qu'elle devra, malgré les siècles, être transgressée, la frontière que l'on désire ardemment, avec Aldo, franchir, ce monde inconnu, ennemi qui fascine comme fascine, et c'est sans doute là qu'aboutira ce roman qui se termine au moment où tout va commencer, la mort, tout, dans le rivage des Syrtes est tendu vers demain, un demain d'autre vie qui changera tout, Marino est mort, les temps anciens seront balayés, Orsenna court heureuse à sa perte, comme la vieille Europe, du temps de Gracq s'était jeté dans la gueule-aimant de la baleine guerre. On s'y jettera encore souvent.
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Avant de lire Julien Gracq, je pensais qu'il était français, comme moi.
En fait, il l'est peut-être, mais il écrit dans une langue dont je n'arrive pas à définir ce qu'elle est.
Trop différente, « trop de mots », trop riche.
A vous dégoûter d'aller au cinéma par ce qu'elle déclenche en images et en sensations qui surchargent vos sens, engorgent vos synapses. Ce n'est pas du 3D c'est du 259D, une sorte d'IRM littéraire.
Le problème, ou l'avantage, d'une telle écriture, c'est que peu de choses vous donnent une somme phénoménale d'informations. Cela suffit à créer une atmosphère dans les limbes du Monde, avec peu de personnages dont on ne connait pas les tourments profonds, une situation géopolitique fictionnelle vague mais pesante et un amour quelque peu clinique.
Bref on est dans une autre dimension entre la 4 eme et la 259eme, mais on fait le chemin jusqu'à son terme, avec plaisir, on en sort un peu « chose », limite LSD, persuadé d'avoir vécu une expérience ésotérique.
Je me suis réadapté à la vie en lisant l'Equipe.
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LE RIVAGE DES SYRTES de JULIEN GRACQ
Aldo, avec l'appui de son père, est nommé observateur auprès des Forces Légères que la Seigneurie entretenait dans la mer des Syrtes aux confins du Sud d' Orsenna, un endroit perdu et perçu comme un purgatoire où l'on expie une faute quelconque. Il rejoignait donc la frontière du Farghestan avec lequel Orsenna était en guerre depuis 300 ans, une guerre étrange comme si on avait oublié de signer l'armistice. de fait il ne se passait absolument rien dans le secteur. Il fut accueilli par le Capitaine Marino qui lui présenta les trois lieutenants, Fabrizio, Giovanni et Roberto. L'activité principale du lieu est l'élevage de moutons semi sauvages. En tant qu'observateur Aldo envoie des compte rendus d'activité à sa Seigneurie et il a peu à raconter. En montant au sommet de la forteresse,un soir, il va distinguer les manoeuvres suspectes d‘un navire. A partir de ce moment il va questionner Marino, s'intéresser à cette drôle de guerre et rencontrer Vanessa, une jeune femme qu'il a connu à Orsenna, et qui va le pousser à l'action. Dans cet endroit immobile depuis trois siècles va donc s'engager une lutte d'influence entre un Capitaine Marino épris du statu quo, Vanessa qui pousse Aldo à l'action et Aldo lui même, observateur espion qui se sent l'âme d'un héros.
Roman passionnant, histoire d'une attente que personne n'ose interrompre mais qu'inconsciemment on rêverait de briser. Orsenna, principauté figée dans son immobilisme, gérée par de vieilles familles dont Aldo est issu, incapables de se projeter dans l'avenir et vivant sur son passé.
Un livre magnifique, prix Goncourt 1951( refusé par Julien Gracq)
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Qualifié de roman d'attente par la critique, le Rivage des Syrtes reçoit le prix Goncourt que son auteur repousse avec mépris, provoquant un scandale médiatique. Il règle ses comptes avec ce système de prix dans son essai La littérature à l'estomac. Autour de ce scandale, on retrouve bien l'esprit artiste impossible à domestiquer qui animait le Surréalisme. C'est bien par le roman – genre rejeté par André Breton dans ses manifestes – que Julien Gracq redonne du sang littéraire au mouvement.
Inspiré par la période de la « drôle de guerre », cette guerre en suspens qui précède l'invasion de la France par l'Allemagne, le Rivage des Syrtes n'est pas pour autant un roman à clefs, ni allégorique, critiquant la réalité. Julien Gracq se sert de cette situation historique pour élaborer une esthétique et des personnages, un monde même. le roman n'est pas la métaphore d'une situation particulière mais de l'Histoire en général, avec ce moment de latence entre paix et guerre, ce moment où les esprits qui allaient tranquillement de jour en jour, attachés à leur vie paisible, deviennent pris et possédés par ce besoin de mouvement, de changement violent, brutal, quitte à mettre en danger leur vie. Ainsi vue, l'Histoire n'est pas faite d'une succession d'événements et de conséquences, mais le balancement d'une sorte d'humeur humaine. En cela, le Rivage des Syrtes rejoint les tragédies grecques, le personnage d'Aldo est le jouet du destin : ce qui devait arriver arrive, par ou malgré lui.
L'attente dont parle la critique, on peut la trouver stylisée dans les longues phrases qui retardent au possible le point d'attrait de leur énoncé. Toutefois, c'est peut-être l'esthétique du vague, de l'indécis, qui caractérise le style de Gracq. La brume de cet air marin, le vieux gris des pierres de la forteresse, les choses qui restent dans l'ombre… on voit mal dans ce récit pourtant saturé de descriptions. Cette hésitation des choses participe à l'attente de ce balancement inévitable de l'humeur humaine, comme arrivée à un palier, hésitant à retomber dans la paix avant de se jeter tête en avant, convaincu de son action.
Les phrases très longues qui n'ont rien à envier à celles de Proust n'ont cependant pas le même objectif : là où Proust cherchait à détailler les méandres et imbrications des ressorts de la pensée et de la psychologie, Gracq image le refus d'imager précisément son récit, cultivant le flou, la contradiction. Les dialogues également ne sont jamais clairs : tout concourt à l'impression que les choses, l'histoire, avancent sans que l'homme puisse vraiment les comprendre ; tout est évident et rien n'est explicable, logique. Les choses arrivent. de même donc dans les descriptions : les choses sont, sans pour autant que leur réalité soit logique.
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Il faut, pour apprécier les Syrtes de Gracq, avoir atteint une certaine maturité de goût et d'esprit. Il faut avoir appris la patience de démêler l'écheveau baroque du style. Il faut avoir traversé des situations de crise sociale et d'avant-guerre et avoir essayé de pénétrer les mobiles psychologiques des acteurs. Il faut avoir observé les mouvements de masse et leurs retournements spectaculaires, avoir vu avec stupéfaction des individus qu'on croyait connaître dévoiler soudain leur vraie nature, leurs idées profondes et jusque là dissimulées. Avoir vu à l'oeuvre, et avoir senti réellement peser sur soi la menace et l'incertitude des impasses et des révolutions. Avoir assisté au spectacle de l'opportunisme des politiciens qui va plus loin que tout ce qu'on peut imaginer, aux ivresses de pouvoir qui explosent chez les médiocres et les minables ordinairement serviles et si corrects... Avoir senti le désespoir de ceux qu'on arrache à l'inertie heureuse et qui cherchent à se venger et à tuer le bouc émissaire qui passera à portée... Et là, de roman chiant qu'on l'accusait d'être, les Syrtes se métamorphosent en un rivage de mort criant de vérité.
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Un état imaginaire et endormi, un ennemi qui sommeille aussi de l'autre coté du rivage. Un jeune officier plein de vie et de rêves qui va réveiller tout cela. Mais résumer le rivages de Syrtes me semble absurde tant l'intérêt du livre est ailleurs que dans une intrigue assez légère.
Si l'on dit que la lecture du roman m'a évoqué tour à tour -et pour des raisons très diverses - Camus, Joyce, Breton, Bernanos et bien sûr Buzzati, vous aurez peut-être une idée du public auquel Julien Gracq s'adresse. le rivage des Syrtes est une lecture exigeante, difficile et lente, qui demande une vraie disponibilité d'esprit, que je n'avais pas vraiment. Je referme le livre en ayant le sentiment de n'avoir pas tout compris et d'être passé à coté de quelque chose qui me dépasse.
Je refuse pourtant de verser dans l'agacement. Bien sûr le style précieux de l'auteur est celui d'un khâgneux qui se plait à rechercher les adjectifs précis, à cerner les sensations étranges, et cela peut lasser. Mais l'on sent bien autre chose de beaucoup plus profond, source de réflexion existentielle sur l'homme, le pouvoir et l'histoire. Julien Gracq n'est pas coupable de mon incapacité à le saisir. J'envie donc ceux qui ont pu apprécier le Rivages des Syrtes à sa juste valeur, le déconseille aux lecteurs les moins littéraires et me contente de ressentis multiples et marquants qui n'ont pas fini de m'interroger.
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De tous les livres que j'ai lus, c'est à n'en pas douter l'un de ceux qui m'ont fait la plus grosse impression quant à la qualité de l'écriture. Il faut remonter à Chateaubriand ou Victor Hugo pour trouver pareille virtuosité dans le maniement de la langue. L'histoire raconte comment Aldo, riche héritier d'une illustre famille d'un pays fictif (Orsenna), va mettre à mal la paix séculaire et tacite que son pays entretien avec son voisin le Farghestan. Une bonne partie du livre rappelle l'atmosphère pesante et passive du Désert des Tartares, au cours de laquelle il ne se passe quasiment rien, un peu comme dans les Syrtes, où le moindre évènement, aussi insignifiant soit-il, prend des proportions démesurées. Sur le plan du style, l'auteur use et abuse des comparaisons et emploie à longueur de récit le mot "comme", pour appuyer ce qu'il veut signifier. J'en ai relevé quelques exemples : " ... avant tout indice, comme l'étourdissement commençant d'un malaise, au milieu d'une route où on s'est égaré" (p.18) ou "l'oeil enfiévré revenait s'agacer sur leur silhouette coupante comme la langue sur le tranchant d'une dent frâchement cassée" (p.126) ou encore "...comme la respiration empanachée d'un geyser" (p.145). Il utilise beaucoup également l'expression "on eût dit". Son souci de précision est constant, et c'est véritablement un régal.
Un chef d'oeuvre.
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