Qualifié de roman d'attente par la critique,
le Rivage des Syrtes reçoit le prix Goncourt que son auteur repousse avec mépris, provoquant un scandale médiatique. Il règle ses comptes avec ce système de prix dans son essai
La littérature à l'estomac. Autour de ce scandale, on retrouve bien l'esprit artiste impossible à domestiquer qui animait le Surréalisme. C'est bien par le roman – genre rejeté par
André Breton dans ses manifestes – que
Julien Gracq redonne du sang littéraire au mouvement.
Inspiré par la période de la « drôle de guerre », cette guerre en suspens qui précède l'invasion de la France par l'Allemagne,
le Rivage des Syrtes n'est pas pour autant un roman à clefs, ni allégorique, critiquant la réalité.
Julien Gracq se sert de cette situation historique pour élaborer une esthétique et des personnages, un monde même. le roman n'est pas la métaphore d'une situation particulière mais de l'Histoire en général, avec ce moment de latence entre paix et guerre, ce moment où les esprits qui allaient tranquillement de jour en jour, attachés à leur vie paisible, deviennent pris et possédés par ce besoin de mouvement, de changement violent, brutal, quitte à mettre en danger leur vie. Ainsi vue, l'Histoire n'est pas faite d'une succession d'événements et de conséquences, mais le balancement d'une sorte d'humeur humaine. En cela,
le Rivage des Syrtes rejoint les tragédies grecques, le personnage d'Aldo est le jouet du destin : ce qui devait arriver arrive, par ou malgré lui.
L'attente dont parle la critique, on peut la trouver stylisée dans les longues phrases qui retardent au possible le point d'attrait de leur énoncé. Toutefois, c'est peut-être l'esthétique du vague, de l'indécis, qui caractérise le style de Gracq. La brume de cet air marin, le vieux gris des pierres de la forteresse, les choses qui restent dans l'ombre… on voit mal dans ce récit pourtant saturé de descriptions. Cette hésitation des choses participe à l'attente de ce balancement inévitable de l'humeur humaine, comme arrivée à un palier, hésitant à retomber dans la paix avant de se jeter tête en avant, convaincu de son action.
Les phrases très longues qui n'ont rien à envier à celles de
Proust n'ont cependant pas le même objectif : là où
Proust cherchait à détailler les méandres et imbrications des ressorts de la pensée et de la psychologie, Gracq image le refus d'imager précisément son récit, cultivant le flou, la contradiction. Les dialogues également ne sont jamais clairs : tout concourt à l'impression que les choses, l'histoire, avancent sans que l'homme puisse vraiment les comprendre ; tout est évident et rien n'est explicable, logique. Les choses arrivent. de même donc dans les descriptions : les choses sont, sans pour autant que leur réalité soit logique.
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