Un témoignage clé sur les événements de
Mai 68: celui de
Maurice Grimaud, préfet de police malgré lui, un homme admirable qui est parvenu à gérer les violences en respectant les manifestants et ses agents tout en restant loyal envers ses supérieurs.
« Je n'avais pas souhaité être préfet de police, mais puisque j'étais à ce poste, il n'était pas question que j'abandonne les affaires de l'État à la rue, c'est-à-dire à l'émeute. » Voilà
Maurice Grimaud, haut fonctionnaire qui s'est vu confier la préfecture de police de Paris en janvier 1967 alors qu'il ne le souhaitait pas. Un fonctionnaire loyal. On lui confie une mission, il l'exécute, consciencieusement.
Neuf ans après les événements, il raconte ici ses souvenirs des événements de
Mai 68. Certains lecteurs seront intéressés par les événements eux-mêmes et plus particulièrement par la manière avec laquelle le préfet de police les a gérés. Ceux-là seront comblés :
Maurice Grimaud en donne un compte-rendu détaillé au jour le jour.
Personnellement, je cherchais plutôt, d'une part, à mieux connaître l'homme
Maurice Grimaud, dont j'avais beaucoup entendu parler et, d'autre part, je cherchais à compléter mon image du niveau de violence qu'avait connu Paris à cette époque. Sur ces deux aspects, le livre a répondu à mes attentes.
Le livre de
Maurice Grimaud respire la sincérité, confirmant tout le bien que j'avais entendu dire de lui. Sans doute faudrait-il également entendre ses détracteurs pour modérer cette belle image, mais en attendant, l'homme force mon respect. Son humanité est remarquable. D'un côté, il doit maintenir l'ordre. Il a divers corps à sa disposition: la Police municipale, la Gendarmerie, les CRS. Il doit répartir les forces, organiser les mouvements avec agilité, coordonner les actions. On le voit développer des tactiques avec la rigueur militaire d'un général. Sauf qu'ici, il n'a pas face à lui un ennemi dont, pour paraphraser un terroriste islamique, le sang impur devrait abreuver les sillons nationaux. Non, face à lui, ce sont des jeunes, qui auraient pu être ses proches. Des jeunes avec lesquels il aurait peut-être même manifesté, s'il avait eu 20 ans. « Je percevais dans les rumeurs qui montaient de leur troupe juvénile plus d'un écho à mes pensées, mais je n'étais pas chargé de changer la société, seulement de défendre l'ordre dans la rue. Il fallait pourtant empêcher, dans leur intérêt et dans le nôtre, que ces jeunes hommes ne périssent sous les ruines du temple dont ils ébranlaient frénétiquement les colonnes. » Pendant tout le temps des événements de Mai, on le verra s'efforcer de canaliser les manifestants, en leur laissant un espace d'expression, en infléchissant les ordres, souvent plus durs, de ses supérieurs.
Maurice Grimaud n'hésitait pas à sortir de son bureau et à marcher pour prendre le pouls de la rue, que ce soit du côté des manifestants ou du côté de ses hommes. Car il se montrait également fort soucieux de ses hommes, de leur fatigue, de leur difficulté à rester maîtres d'eux-mêmes sous les coups et les insultes.
À ce propos,
Maurice Grimaud se félicite d'avoir pu éviter les affrontements mortels et je crois qu'on peut effectivement louer son attitude modératrice. Il ne nie cependant pas la violence dont ont fait preuve les forces de l'ordre, malgré ses exhortations. En quelque sorte, il « excuse » cette violence d'une manière qui pourrait paraître naïve ou simpliste, mais que je trouve (malheureusement) très pragmatique: les agents ont été très fort malmenés par les manifestants, c'est indéniable, et poussés à bout, ils auraient pu craquer et se laisser aller à une violence mortelle. « Les coups qu'ils vont porter seront le substitut de la mort qu'ils n'ont pas le droit de donner. »
Ce livre est le témoignage d'un point de vue. Certes, il faut le compléter par d'autres points de vue. Mais si vous vous intéressez aux événements de
Mai 68 à Paris, vous ne pouvez faire l'économie de ce témoignage-là. Et puis, me semble-t-il,
Maurice Grimaud est un personnage dont l'exemple est à suivre. Je vous recommande donc de faire sa connaissance. Son style lyrique suranné vous énervera peut-être. Moi, il m'a touché, renforçant l'image d'homme simple et profondément humain que je me suis faite de
Maurice Grimaud.