Dix longues secondes...
Entre le début du virage du lieu-dit de la Providence et le champ où la vieille MG finit sa course, il ne s'est pas écoulé plus de dix secondes. Dix longues secondes de presque cent pages, pendant lesquelles Pierre a largement le temps de penser à ce qui lui arrive.
Le temps de se voir mourir...
"Lorsque j'ai vu la bétaillère arrêtée au milieu du virage, je n'ai pensé qu'au problème posé: soit un véhicule roulant à X km/h... à la rencontre d'un obstacle placé à X mètres. Calculez le temps T, etc. Je gaspillais ainsi les secondes pendant lesquelles je pouvais regarder les choses en sachant que c'était pour la dernière fois."
Le temps de penser à des choses futiles...
"Qui saura fermer la porte-fenêtre du jardin dont les paumelles insuffisantes font travailler les gonds à faux? Si l'on pousse sottement le panneau sans accompagner le mouvement d'une légère traction vers l'intérieur, les ferrures augmenteront leur jeu et l'ensemble se désarticulera en moins d'un mois."
Le temps des regrets...
"Si je m'étais tué, Hélène aurait trouvé dans ma poche cette lettre ridicule. C'est une sottise sans nom de ne pas l'avoir détruite puisqu'elle ne représente plus la réalité de mes sentiments présents, mais un mouvement sans profondeur, une humeur plutôt que j'exprimais de façon cruelle. On devrait brûler toutes les lettres de ce genre. Elles mentent toutes par anachronisme."
Le temps de penser à l'essentiel...
"A deux ou trois secondes près, je passais, je n'aurais même jamais imaginé que je frôlais une catastrophe. Je roulerais tranquillement vers Rennes. Mon costume et la MG seraient intacts. J'aurais mangé du faisan chez Mortreux. Ces trois secondes, je les ai perdues quelque part." "[...] une idée volette, bourdonne comme une mouche verte, se pose, je la chasse, elle revient, s'entête, hideuse, et je ne peux l'écraser. Une idée et une image: je suis dans ma voiture, quai
Voltaire, je vais partir pour Rennes, le moteur tourne, je viens de passer ma première, je commence à manoeuvrer pour déboîter, Hélène est debout sur le trottoir, elle me dit quelque chose, je baisse ma glace pour entendre, elle dit:
- Sois prudent, ne roule pas trop vite...
Je souris, je démarre, je viens de perdre quelques secondes. A deux cent cinquante kilomètres de moi le marchand de cochons se tape un verre de calva. Je viens de perdre."
Un livre vraiment poignant, entre espoir et désespoir, futilité et priorités, fatalité et humour.
Bref,
les choses de la vie...
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