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"Paris est tout petit pour ceux qui, comme nous, s'aiment d'un aussi grand amour" disait, gouailleuse, la belle Garance au ténébreux Frédéric...

C'est d'une balade dans Paris qu'il s'agit, ce qui n'est pas pour me déplaire, moi qui aime tant me perdre dans ses rues, ses passages, ses deux rives et ses ponts qui jouent à saute-mouton.  Une balade au hasard-Balthazar, pour dénicher des Maigres bien faméliques et, qui sait,  retrouver le grand amour...

Celle qui cherche tout ça, dans le labyrinthe des rues parisiennes,  c'est Damya, une ex-danseuse éclopée à vie par la fusillade des terrasses, un soir de novembre. Une Galatéa au genou étoilé qui ne sera jamais danseuse étoile, qui ne fera plus le moindre jeté-plié, le plus petit saut,  et dont le Pygmalion, un chorégraphe,  russe comme il se doit, a déjà jeté son dévolu sur une autre...

Alors, comme il faut bien manger, Damya bosse pour le cinéma.

On tourne La Douleur de Duras et le casting officiel n'est pas arrivé à trouver de vrais Maigres pour figurer les déportés de retour des camps..Damya est donc chargée d'un Casting Sauvage, dans les rues de Paris, parmi les angoissés, les anorexiques, les camés,  les sidéens,  les misérables qui hantent notre belle capitale...ce faisant,  elle espère secrètement  retrouver celui avec qui elle avait rendez-vous, ce triste  soir du 13 novembre, dont elle ne connait pas le nom, juste l'étreinte,  et c'est un souvenir qui la maintient en alerte et en vie!

Le récit,  poétique et précieux,  tisse sa trame brillante  dans ce parcours hasardé, parfois hasardeux, et  très littéraire..

On pense au Ventre de Paris, avec  ces Maigres, (dont un  ancien bagnard, communard échappé de Cayenne) , souvent recherchés par la police, qui se cachent maladroitement dans le gargantuesque quartier des Halles, tellement  visibles dans ce pays dévolu aux Gras!

On pense à  Nadja de Breton,  à sa main de fatma, son culte du hasard dans la rencontre amoureuse.

On pense aux premières pages d'Aurélien, avec la noyée de la Seine, immortalisée par un moulage célèbre.

Et puis on pense au cinéma, aux Enfants du Paradis, pour la réplique de Garance, déjà citée,   mais aussi pour le clown triste en costume blanc, ce Paillasse du Boulevard du Crime,  incarné par le fiévreux J.L. Barrault,  qui cherche son amoureuse avec une obstination et une conviction que rien ne décourage..

On pense à  Jean Vigo et à son Atalante, pour la péniche du sculpteur salvateur..et avec lui on revient au mythe de Pygmalion et de sa Galatée...

La boucle est bouclée. 

Plein comme un oeuf, très écrit. ..trop plein, trop écrit!

Plus de place pour respirer, pas de marge pour imaginer, pas d'espace pour rêver.

Casting sauvage vibre trop de la griserie d'écrire pour laisser au récit le temps de s'installer, de nous charmer, de subrepticement nous ferrer.

Ou alors c'est moi qui n'ai pas trouvé l'hameçon après cette longue vacance fraternelle passée chez Fregni...il y a des lectures qui ont du mal à nous quitter...

Le livre de Hubert Haddad est un beau et bon livre, le sujet est bien trouvé,  élégamment  troussé, semant signes et discrètes références avec doigté.  Mais l'émotion m'a manqué ou m'a manquée!   Elle a dû passer à côté de moi, tout près, à contre-courant.. .Je l'ai laissée filer...

Peut-être que lire Casting sauvage après les livres de Fregni était une erreur de casting...
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Difficile de parler d'un roman tel que celui-ci, tout en subtilité et en suggestion. Il est évidemment possible de le résumer en deux ou trois lignes qui enlèveraient une grande partie de la magie de la lecture… disons donc qu'il raconte quelques mois de la vie de Damya, une jeune femme qui s'apprêtait à jouer le premier rôle d'un spectacle de danse, mais qui dorénavant travaille à chercher des figurants pour le film adaptant La douleur de Marguerite Duras. le casting sauvage consiste à aborder des gens dans la rue selon qu'ils correspondent au profil recherché, ici pour jouer des rescapés des camps. Damya engage alors la conversation avec les plus émaciés, les sans-abris, les malades, les drogués… d'autres personnages apparaissent, un sculpteur, un chorégraphe, d'autres restent invisibles comme le jeune homme que Damya recherche depuis un rendez-vous manqué…

Il faut s'imaginer que le personnage principal est une ville (enfin, c'est mon sentiment), Paris qui, à des moments féeriques, ne semble plus habitée que par des espèces animales, oiseaux, chats, rats et souris, insectes, et même un cerf crépusculaire… et à d'autres heures, ses trottoirs sont engorgés de nuées de réfugiés, maigres et harassés. L'auteur se laisse porter par les mots, ose le parallèle entre les victimes des attentats de novembre et les déportés de retour des camps, s'intéresse à la collusion des arts, danse, sculpture, cinéma, écriture, s'interroge sur la place du corps… La fin très touchante clôt cette longue rêverie poétique.
Je n'aurais peut-être pas lu ce roman si je ne l'avais gagné, j'ai pourtant lu et aimé le peintre d'éventail et Corps désirables, quoique avec quelques petites réserves, mais pas du tout aimé Théorie de la vilaine petite fille qui m'a ennuyée. Finalement, mon préféré est peut-être, le temps qui passe le dira, ce dernier roman, qui a su me toucher avec un sujet moins facile que le peintre d'éventails, mais surtout une belle ambiance portée par une écriture des plus délicates.
Je le conseille à ceux qui aiment la plume de l'auteur comme à ceux qui voudraient la découvrir
Lien : https://lettresexpres.wordpr..
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Damya, jeune danseuse sur le point d'évoluer dans « Galatéïa », ballet d'Egor est victime de l'un des attentats survenus à Paris en Novembre 2015. Une longue et douloureuse rééducation ne parviendra pas à la réparer complètement, fini la danse ! Elle est alors embauchée pour procéder au casting sauvage d'une centaine de figurants qui seront des rescapés des camps de concentration rapatriés à Paris en 1945 dans un film. Son errance dans les rues de la capitale pour trouver des candidats ayant le physique requis est l'occasion de descriptions et de rencontres magnifiées par l'écriture brillante de l'auteur. Des moments de délire poétique font apparaître différentes espèces animales peuplant la ville et d'autres plus réalistes des réfugiés harassés occupant quelques endroits où ils ont pu déposer leur malheur.
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En refermant "Casting sauvage" d'Hubert Haddad, deux réflexions m'effleurent. Je pense d'abord à la chance que j'ai eue de recevoir cet ouvrage, merci aux Editions Zulma. Je pense aussi que, décidément, non, la valeur d'un récit ne s'évalue pas au nombre de pages. Cent quarante-six pages de mots seulement… mais quels mots ! J'ai eu l'impression, même s'il s'agit là d'un roman, de ressortir d'un bain de poésie.

Damya, une ancienne danseuse blessée dans les attentats du mois de novembre 2015 parcourt Paris de sa démarche mal assurée, à la recherche de potentiels figurants pour le film adapté de "La douleur" de Marguerite Duras. Elle nous entraîne à sa suite dans une traversée de la ville absolument fantastique, teintée de merveilleux, de lumière, de musique. Je me suis souvent demandé qui en était le personnage principal : Damya, ses rencontres, êtres faméliques, indigents, souvent invisibles, Egor, son ancien professeur de danse, Lyle, l'amie qui lui a proposé ce travail de casteuse, ou encore Mathéo qui vit seul sur une péniche ? A moins que ça ne soit tout simplement les rues de la capitale ?

En fait, c'est tout cela à la fois. Mais ce qui, pour moi, domine l'ensemble, c'est l'écriture. Si l'histoire m'a permis de voler, de danser, de claudiquer au fil des rues, des ponts, de traverser les places et de m'arrêter aux terrasses des cafés, si elle m'a permis d'entendre les musiques, de m'apitoyer sur le sort de malingres silhouettes, si j'ai pu suivre Damya dans ses tribulations sans jamais me décourager, sans me lasser du spectacle, sans détourner le regard c'est bien parce que les mots, eux aussi, dansaient, volaient, claudiquaient. L'écriture est sublime qui tient tout autant de la musique que de la poésie et sert la déambulation à merveille. Ciselée telle une dentelle, travaillée, légère et d'une précision sans nom, elle apporte à la fiction une aura digne des plus grands poèmes.

Je n'aime pas les comparaisons et pourtant, pourtant, j'ai cru reconnaître à travers la plume d'Hubert Haddad l'Arthur adoré de ma jeunesse, ses tilleuls verts de la promenade. Si on n'est pas sérieux quand on a dix-sept ans, on l'est encore moins à septante.

Un bijou, un coup de foudre, un livre que je relirai.

Lien : https://memo-emoi.fr
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Damya arpente Paris d'est en ouest et du nord au sud pour recruter des figurants très particuliers : ils devront camper les rescapés des camps de concentration dans l'adaptation du livre de Marguerite Duras, la Douleur.
Au cours de cette quête improbable, Damya, elle-même rescapée de l'attentat du 13 novembre, rencontre des ombres, s'approche de fantômes et fait de vraies rencontres dans un Paris bien éloigné de la ville lumière.
Et il y a ce garçon qu'elle recherche et espère au cours de ses déambulations... Hubert Haddad est un auteur enchanteur, déroutant et toujours poétique, il nous fait cette fois découvrir Paris et ses habitants sous un angle inhabituel et attachant, au cours d'un jeu de piste énigmatique.
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Pour son "Casting sauvage" Hubert Haddad a choisi Paris comme espace narratif et ça m'a bien plu.
Il nous raconte l'histoire de Damya. Elle se promène dans les rues de Paris. Mais cette promenade est insolite car elle s'occupe d'un casting et doit recruter une centaine de figurants décharnés pour jouer les colonnes de déportés de retour des camps de concentration pour le film réalisé par Emmanuel Finkiel, adapté de « La douleur » de Marguerite Duras. J'ai vu ce film et je l'ai beaucoup aimé, ce qui n'était pas évident a priori étant donné que Marguerite Duras est assez difficile à adapter fidèlement. Je tenais donc absolument à lire ce livre.
Cela aurait pu être sordide d'autant plus que la jeune femme est une rescapée des attentats de novembre 2015. Mais j'ai apprécié ses déambulations d'oiseau blessée. La jeune femme est une ancienne danseuse qui ne peut plus monter sur les planches après avoir reçu une balle dans le genou à la terrasse d'un café.
Elle mène sa traque, son rabattage mortifère, dans tout Paris, particulièrement dans les quartiers les plus pauvres. Elle va y rencontrer des chapardeurs affamés, des trafiquants à la petite semaine, des filles des rues aux yeux hantés, des migrants épuisés que les Parisiens fuient.
Je trouve émouvante l'idée de rassembler des douleurs différentes pour offrir des figurants au film « La douleur ». Mais Hubert Haddad en fait trop et c'est dommage. L'histoire va se compliquer quand vont s'y ajouter toutes les misères du monde : on apprend que Damya avait une relation avec Amir, terroriste qui a participé aux attentats. Mathéo, qui la sauve d'une tentative de suicide a également vu la mort de prêt et le parallèle entre les déportés et les SDF d'aujourd'hui ne m'a pas entièrement convaincue.
Il ne reste pas moins que l'écriture d'Hubert Haddad est très poétique.


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La Feuille Volante n° 1284
Casting sauvage - Hubert Haddad - Zulma.

Le personnage principal de ce roman est bien sûr une ville, et pas n'importe laquelle puisque Paris s'impose d'emblée, non comme le simple décor d'une fiction mais comme un acteur majeur, une sorte de metteur en scène qui imposerait aux comédiens d'un jour sa volonté, sa vision de cette comédie du quotidien avec ses coïncidences, ses rencontres, ses revirements de situations, ses joies secrètes. Ce n'est pas non plus cette « ville lumière » comme on se plaît encore à l'appeler puisque, hors mis les scènes filmées pour un improbable long métrage dont on ne sait finalement pas grand-chose à part qu'il est l'adaptation de «La douleur » de Marguerite Duras, ce roman nous donne à voir des scènes et des situations où le gris et la solitude dominent,.
Damya, une danseuse ratée, fragile, écorchée vive, mais pleine d'une beauté intérieure, parcourt cette ville à pied, un peu claudicante quand même à cause de son genou éclaté par la balle d'un terroriste qui a mitraillé la terrasse d'un café où elle se trouvait. Puis ce fut l'opération, la rééducation et l'envol de son avenir de ballerine incapable de danser comme une professionnelle. Elle traînera avec elle, comme une mauvaise ombre, ses rêves de réussite et de célébrité. On lui propose par hasard de recruter les figurants pour un film. Ils devront incarner les revenants des camps de concentration, c'est à dire être maigres, décharnés, perdus dans cette société dans laquelle ils reviennent... et avoir la tête rasée. Au cours de, ce « casting sauvage », elle n'a aucun mal à recruter des SDF qui tendent la main, des migrants sans papier, des étudiants pauvres, des chapardeurs, des drogués, des paumés, c'est à dire des gens comme elle, abandonnés.désabusés qui vivent comme ils le peuvent leur douleur intime et que les citoyens ordinaires fuient.. Elle porte comme un fardeau son passé, détricote ses souvenirs pas forcément beaux, son enfance étriquée, ses rêves brisés...Elle assistera même à la général du ballet dans lequel elle devait danser, condamnée à regarder les autres tenir un rôle qu'elle n'aura plus. Avec son grand coeur et son appareil photo elle parcourt les quartiers interlopes, croise des gens abandonnés de la société qui s'accrochent à la vie ou en décrochent Ils devront, sans maquillage, incarner toute la détresse humaine. le cadastre parisien ne cache même plus leur existence. C'est une gageure mais elle va au devant de chacun d'eux et réussit à réunir une centaine de ces pauvres gens qui ne seront jamais de vrais acteurs mais rien d'autre qu'un décor humain misérable mais d'autant plus facile à diriger que leur désarroi est semblable à celui des survivants des camps. Elle prendra sa mission à coeur, mais le film terminé, elle retournera dans l'anonymat.

Elle croisera Amir, le terroriste qui a participé à l'attentat qui lui a brisé le genou. Ce rendez-vous manqué est pour elle l'occasion d'une quête impossible dans la capitale, sa silhouette se dérobant toujours devant elle. Par un paradoxe improbable dû à ce rendez-vous manqué et de la surveillance ou le hasard, elle devient aussi pour la police une éventuelle complice de cette agression et fait l'objet de tracasseries inutiles. Elle fera quand même de belles rencontres, celle du peinte de la pleine lune et quand elle décide de danser au dessus du vide de la Seine, sur le parapet d'un pont, comme sur une scène soudain bien étroite, c'est Matheo, un artiste désespéré et alcoolique, batelier immobile accroché au quai, aussi paumé et idéaliste qu'elle, qui la sauve du suicide,et c'est un jongleur de rue qui la ramène à la vie , réussit à la convaincre d'accepter sa condition....

J'ai été séduit par la qualité de l'écriture d'Hubert Haddad, poétique, dramatique et émouvante. Ce roman est écrit par petites touches, comme un tableau impressionniste mais qui cependant donnerait à voir avec beaucoup de précisions ce qu'il veut montrer, la pauvreté, le désenchantement, l'échec, l'abandon. On parle toujours beaucoup, ventant leur esprit d'entreprise, leur culot, leur talent, de ceux qui réussissent mais jamais de ceux qui ayant travaillé aussi dur que les autres n'ont pas vu leurs efforts couronnés de succès, à cause du hasard, de la malchance, de la malveillance des autres.. Damya est de ces malchanceux même si, l'épilogue peut donner à penser que les choses pour elle peuvent changer, que cet inconnu dont nous parle Baudelaire quelque part dans son oeuvre peut être quelque chose de nouveau et peut-être de beau face à la fragilité de cette jeune femme .

© Hervé Gautier – Octobre 2018. [http://hervegautier.e-monsite.com]
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Un roman d'Hubert Haddad est toujours une promesse d'un voyage poétique. Si cette fois, il ne nous entraîne pas plus loin que Paris, c'est sous une toute autre lumière que vous découvrirez la capitale.
« Paris où l'on se consume de famine et de solitude. »

Damya, une ancienne danseuse blessée lors de l'attentat du 13 novembre, arpente de son pas incertain les rues de Paris à la recherche de figurants, très maigres, décharnés pour une grosse production qui parle de guerre et de déportation.
Barbès, les hauteurs de Montmartre, Porte de la Chapelle, rue de la goutte d'or, tous les quartiers de solitude sans nombre. Jussieu car parfois les étudiants souffrent aussi de privations, de stress et d'isolement. Chez chaque délaissé rencontré, il y a toujours la grandeur d'âme des gens de la rue.
« Paris foisonne de ces hordes de gosses délaissés, orphelins et bannis plus ou moins drogués au Valium et aux vapeurs de colle; du matin au soir, du soir au matin, ils survivent de mendicité ou de rapines, tout colle dans Los Olvidados, ce film en noir et blanc de Luis Buñuel. »

Ce sont des figures croisées rapidement comme Amalia à « l'expression désemparée », le fantassin ou le jongleur des rues, l'assassin libéré de prison au service des réfugiés, des exilés que personne n'attendait nulle part.

Et puis, il y a l'histoire de Damya, d'Egor, son ancien professeur de danse, de Lyle, son amie et employeuse. Celle de Mathéo qui broie son chagrin dans l'alcool, seul sur sa péniche amarré près du pont de la Tournelle, là où son amour s'est jeté dans la Seine.
Des rencontres fugaces et puis celle tant espérée du jeune inconnu de la rue de l'Equerre. Il lui avait donné rendez-vous à la terrasse de ce café le jour où sa vie a basculé. Elle croit encore voir sa silhouette à chaque coin de rue. « Damya n'a pas oublié sa voix rieuse un peu grave ni la couleur cendrée de ses yeux. »

Ce roman peut sembler fantomatique, sombre mais il a la grâce de son personnage principal. Malgré sa blessure, Damya a cette légèreté d'un oiseau à l'aile cassée que le vent emporte. Elle connaît la chute mais elle garde l'espoir d'une rencontre. Parfois « l'invraisemblable et l'espéré se rencontrent », il faut croire aux coïncidences.

Et puis, il y a l'écriture d'Hubert Haddad. Parfois, elle nous perd. Souvent, elle nous emporte. Dans Casting sauvage, elle est superbe, parfaitement dosée entre la richesse et la poésie.
Lien : https://surlaroutedejostein...
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« le casting sauvage, c'est quand les agences coincent. » On leur demande tout ce qu'on veut pour faire de la figuration dans un film : des nains, des colonies d'enfants, des tribus bantoues : elles trouvent. Si elles ne dénichent pas exactement ce que le réalisateur souhaite, elles se débrouillent en maquillant, en travestissant des silhouettes proches. Mais cette fois, on leur a demandé cent rescapés des camps de concentration. Et le réalisateur veut du naturel, il refuse tout trucage, même cosmétique : « Il lui fallait des gens de la rue raflés dans leur misère physique ». Alors, on fait appel à une stagiaire, chargée de parcourir Paris en quête de cent oiseaux rares, d'une maigreur de revenant, prêts à exposer celle-ci aux yeux de tous, et à se faire raser pour le tournage.
Damya n'a « aucun truc » non plus pour aborder les candidats potentiels, « simplement une attention un peu vive pour le visage de tous ces gens qui vont et viennent à découvert, sans but avoué, le regard rentré au secret de leur nuit ». Et c'est pour cela qu'elle réussit là où les agences ont échoué. Elle est sensible à la fêlure de chacun, qui explique leur étisie, une rupture intérieure qui fait écho à la déchéance physique. « Quelque chose est brisé à jamais en eux, ils avancent avec précaution, les yeux blanchis par l'innommable, comme s'ils rêvaient, comme s'ils croyaient rêver dans un délai de grâce… »
En fin de compte, les gens de la rue, rejetés de la société, ne sont-ils pas tous un peu des déportés ? Lorsque les ultimes promeneurs sont rentrés chez eux, lorsque le dernier métro a emporté les derniers sédentaires, des ombres muettes sortent des portails obscurs, se détachent des murs, rôdent autour de Damya, qui déambule au hasard. Clochards, suicidaires, réfugiés, fugueuses anorexiques, ils composent une horde fantasmagorique qui, dans ses rêves, prend une dimension épique. « Des revenants partout l'accompagnent, ils surgissent de nulle part dans la quiétude flambante du jour. Elle les reconnaît tous à leur regard effaré, leur silhouette de branches sèches et cette pâleur d'outre-tombe. »
Et puis, il y a des ombres plus poétiques qu'inquiétantes, des familiers de la nuit, comme elle, qui appartiennent presque au paysage. le peintre de la pleine lune, qui ne sort son chevalet que tous les vingt-huit jours, le jongleur aux apparitions fantasques, l'homme qui marche pour créer l'espace, dont il doute. « Depuis vingt ans, je marche pour voir surgir quelque chose de nouveau, d'inhabituel. » C'est alors sa perception de la ville qui change en Damya. La voilà « focalisée par l'envers des grands décors indifférents derrière lesquels la mort informe godaille ». Les ponts, les gares, lieux de passage rendus aux exclus du jour, les grands boulevards ou les cours au fond d'une impasse, c'est un Paris différent qui se reconstitue au fil des pages, introduisant le plus souvent les chapitres, une errance nocturne en contrepoint au thème du retour des déportés.
Si Damya a cette sensibilité particulière aux destins brisés, c'est que le sien lui-même s'est arrêté un soir de novembre 2015. Elle est elle-même brisée dans sa vie, dans son corps, dans son rêve, par les attentats de la rue de Charonne. « Elle avance désormais en exclue, débusquée d'un songe intrépide, par-delà la clôture du corps. » Il ne faut pas dévoiler le secret qui a brisé sa vie, le tragique concours de circonstances qui l'a menée au mauvais endroit, au mauvais moment. C'est lui qui assure la tension dramatique du récit. Ni l'étrange cérémonie nocturne qui, à la fin, exorcisera son échec. C'est la magie du roman qui rassemble soudain les éléments épars, comme le tournage du film rassemblera en une image les cent destins brisés des figurants.
Dans une langue aux images flamboyantes, d'une poésie grave et somptueuse, cette traversée de Paris est une lente descente aux sentines de la misère humaine, l'inexorable ressassement d'un passé douloureux, mais avec cet espoir tenace d'en « rejaillir vivant », dans une lumineuse remontée vers l'avenir.
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J'aime beaucoup Hubert Haddad, mais à chaque fois que j'ouvre l'un de ses livres, j'ai une petite appréhension. En effet, parfois, je n'y arrive pas, ce fut le cas avec quelques rares -heureusement- titres que je n'ai pas pu lire. Mais quand ça colle entre l'ouvrage et moi, je peux être d'un enthousiasme à peine limité. Ce fut le cas avec moult romans de l'auteur. Cette fois-ci, le suspense ne sera pas long ni haletant, j'ai beaucoup aimé Casting sauvage. J'y retrouve l'élégance de l'écriture, la poésie, l'usage de certains mots rares ou désuets, mais jamais trop, Hubert Haddad ne fait pas dans le recyclage des mots anciens pour épater la galerie, il en place de temps en temps et la page prend une autre dimension. Au-delà de ça, c'est aussi le ton employé, calme et lenteur, une vraie pause dans notre société ultra rapide ou tout doit trouver réponse immédiatement.

Hubert Haddad, par petites touches, décrit Dalmya et, tout au long du court roman, elle se révélera à nous lecteurs, mais aussi à elle-même. Cette jeune femme fragile ose aller au-devant d'inconnus dans la rue ; elle garde à leurs yeux son mystère mais pas aux nôtres qui apprenons à la connaître. Roman fin et sensible, d'une beauté enivrante dans lequel le romancier parle de sujets lourds et profonds : les réfugiés, les attentats, les pauvres de Paris, ceux qui vivent dans les rues ou dans des habitats insalubres, ... Paris en est le contexte géographique, Dalmya arpente ses rues, places et boulevards, c'est un walking movie comme le précise l'éditrice, un roman pour ceux qui aiment marcher à Paris et pour les autres qui découvriront les quartiers et leurs habitants.

Hubert Haddad parle des gens, de tous les habitants de Paris quelles que soient leurs origines qui peuvent vivre ensemble en apprenant les uns des autres. Tout son talent est dans le fait qu'il fait tenir tout cela en 160 pages, que si beaucoup est dit, le lecteur lit entre les lignes et prolonge la réflexion de l'écrivain. J'aime les écrivains qui font le pari de l'intelligence de leurs lecteurs. J'aime Hubert Haddad.

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