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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Le récit nous "déporte" en Pologne entre 1930 et 1945 dans le quotidien du peuple juif à Lodz, ville qui se transformera en ghetto puis, de fait en immense camp de travail.
Dans ce chaos survit pourtant la culture : bibliothèques, concerts et surtout théâtres permettent d'éviter d'être totalement déshumanisé, de devenir fou.
La plume ô combien poétique de l'auteur illustre parfaitement l'évasion que procurent les livres, la musique la poésie, le jeu d'acteurs, les marionnettes.

Ce livre m'a fait réaliser que dans nos mémoires, nos cours d'histoire, les oeuvres romanesques concernant cette triste période de notre histoire les juifs sont souvent objet et non sujet : on (article defini, pas synonyme de nous ) les a persécutés, mis au banc, parqués, marqués d'infamie, déportés, on a voulu les exterminer; ou bien on les a aidés, cachés, on leur a fait franchir des frontières, on leur a fourni de faux papiers...
Quand l'existence même d'un groupe d'individus devient illégale, ils doivent pour survivre s'invisibliser, se fondre, s'aculturer.

On découvre ici un peu de leur coutumes et culture sur laquelle avec ce livre et mes recherches annexes j'ai appris beaucoup de choses. A lire absolument !
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Nous sommes en Pologne à la fin des années trente. Nous découvrons la vie ordinaire d'un shtetl semblable à tant d'autres et sa communauté juive. Deux jumeaux y grandissent, Alter et Ariel, alors que grondent déjà au loin les rumeurs de guerre.
En septembre 1939, la Wehrmacht envahit la Pologne et commence à massacrer tout ce qui ressemble à la différence, celle qui ne convient pas à l'idéologie du IIIème Reich, c'est-à-dire les Tziganes, les Juifs... La famille des jumeaux est ainsi décimée, sous les yeux du seul survivant Alter.
Alter a perdu son alter ego, son double, son frère...
Alter s'enfuit car il est traqué, fuyant les rafales de mitraillettes qui le chassent comme un lapin qu'on cherche à abattre. Il court dans les bois, c'est l'errance parmi des paysages d'horreur, fuyant les tueurs, au milieu des cadavres qui jonchent les routes, au milieu de la forêt où il se réfugie pour dormir parmi les bêtes...
Il va s'identifier définitivement à son frère mort parce qu'il aura vu ce massacre sous ses yeux, c'est le grand traumatise dans lequel il chavire dès les premières pages et qui en même temps le fait tenir debout, lui donne des jambes, des ailes, lui donne le coeur de tenir dans cette barbarie qui déferle comme une vague.
Condamné à l'errance, sa course le mène aux portes du ghetto de Lodz, - l'un des plus grands ghettos de Pologne après celui de Varsovie. Il s'y engouffre, il s'y perd, il se retrouve dans une vie grouillante.
Lodz, c'est cette immense communauté juive, cernée de murs, une sorte de prison à ciel ouvert d'où il n'est pas possible de s'échapper. le doyen du Conseil juif qui y règne en maître, - Chaïm Rumkowski un personnage qui a réellement existé, va faire de ce territoire une vaste cité industrielle, démultipliant les ateliers, les boutiques, les manufactures, d'où sortent des draps, des vêtements, des chaussures, de la bonneterie pour les dames berlinoises...
Chaïm Rumkowski c'est cet étrange personnage mégalomane, très controversé, pantin à la solde des nazies pour les uns, grand protecteur de sa communauté pour les autres, pour que les siens ne soient pas livrés à destination des camps, - enfin pas tout de suite, il veut en sauver quelques-uns, c'est ce dessein qui l'anime.
On pourrait croire que c'est l'attente du désastre et de la mort, - même si nous savons après coup que c'est une antichambre de l'horreur, avant l'anéantissement, avant « la solution finale », mais non pour l'instant ici cela grouille de vie, d'espoir, de solidarité, de fraternité...
Dans le ghetto de Lodz, il y a la vie industrielle avec ses activités qui fourmillent dans tous les sens, mais il y a aussi une vie artistique intense et étourdissante dans laquelle Alter se fond, trouvant l'univers qui saura résonner avec son âme blessée à jamais.
C'est un monde empli de musique, de théâtre, de comédiens, de bateleurs, de chansonniers, de chants yiddishs.
Et dans ce monde artistique qui tient peut-être à bout de bras l'autre monde déjà désespéré, Alter trouve dans un théâtre de marionnettes le moyen de combattre son traumatisme, de réaliser son rêve le plus cher, créer une marionnette à sa taille, à son image et qui ressemble comme deux gouttes d'eau à son autre frère qui n'est plus là, du moins qui s'était absenté durant quelques temps car voici de nouveau Ariel sous les traits de cette marionnette , mais qui lui ressemble aussi...
Alter, Ariel... Ariel, Alter... À partir de ce moment-là, le texte bascule comme une pièce de théâtre, comme une scène avec ses planches, ses rideaux, ses cordages, ses coulisses, ses doubles cloisons, ses secrets...
Dans cette gémellité extraordinaire perdue, retrouvée, Hubert Haddad crée un récit picaresque à l'écriture onirique foisonnante, où le sentiment d'humanité apporte sans cesse sa lumière.
Un monstre et un chaos, c'est un peu le monde des toiles de Chagall qui s'enroule dans le tourbillon des mots d'Hubert Haddad.
Un monstre et un chaos, c'est la barbarie vue à travers les yeux d'un enfant de douze ans, orphelin rebelle, refusant de porter l'étoile jaune, s'esquivant sans cesse comme un chat, derrière les coulisses d'un paysage. La barbarie à visage humain, oui vous savez celle pour laquelle on avait dit au lendemain de la seconde guerre mondiale, plus jamais ça...
J'ai été emporté par le regard de cet enfant qui traverse ce récit, le transcende et nous transperce le coeur par l'humanité qui sous-tend ce texte comme les fondations d'une scène de théâtre...
Il y a ici une puissance romanesque qui m'a séduit, bouleversé, par son écriture, par l'imaginaire de l'histoire d'un jumeau en quête de son double, et qui s'empare de la grande Histoire, du destin peuple juif massacré, dire cela, comprendre cela, dans le contexte d'aujourd'hui où les voix de la bête brune continuent comme jamais de hurler à nos portes...
Essayer de dire sans pathos non pas seulement ce qui fut, - l'horreur absolue que fut la Shoah , mais conjurer la tragédie pour qu'elle ne revienne plus, pour ne pas oublier, pour transmettre...
Comment rendre le rêve plus grand que la nuit ? Comment rendre la vie plus grande que l'horreur ? Comment rendre les mots plus forts que le silence et l'indifférence ?

« C'est arrivé, cela peut donc arriver de nouveau. » Primo Levi.
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Dans la courte postface de son roman Un monstre et un chaos, édité chez Zulma, Hubert Haddad cite Blaise Pascal : "Quelle chimère est-ce donc que l'homme ? … quel monstre, quel chaos, quel sujet de contradiction, quel prodige ! Juge de toutes choses, imbécile ver de terre, dépositaire du vrai, cloaque d'incertitude et d'erreur : gloire et rebut de l'univers." L'interrogation de Pascal concernant l'être humain fournit son titre à l'oeuvre et prend en effet toute sa force quand on évoque la Shoah. Dans son roman, l'auteur mêle réalité et fiction : il s'appuie sur une réalité historique et culturelle juive extrêmement bien documentée pour y introduire une fiction à la fois terrible et poétique. L'histoire débute en 1941 en Pologne et se déroule en grande partie dans le ghetto juif de Lodz, le deuxième plus grand du pays. Environ 200 000 personnes entassées dans les immeubles et tout ce qui pouvait servir d'abri. La situation de Lodz a ceci de tristement particulier que sa population juive y fut utilisée sur place comme esclave, oeuvrant sans relâche, dans le dénuement le plus total, dans les ateliers de confection, les tanneries, dans les usines de textile de la ville au service de l'économie de guerre du Reich allemand. Et c'est le doyen du conseil juif qui conçut ce projet et s'en fit l'intermédiaire auprès du chef nazi du ghetto qui l'accepta au prix d'ignobles tractations. Chaïm Rumkowski, dans sa folie mégalomane, se considérait comme le sauveur de sa communauté qu'il haranguait tel un messie afin de faire régner l'ordre et de mieux la convaincre de coopérer avec ses bourreaux. L'homme lui promettait la vie sauve. le dernier discours du « roi Chaïm », triste pantin aux mains des nazis, Hubert Haddad l'a d'ailleurs retranscrit tel qu'il fut prononcé en 1942 par son auteur : ses paroles laissent le lecteur abasourdi par tant d'égarement criminel.Aucun des sacrifices demandés à la population ne la sauva d'ailleurs des camps d'extermination voisins où elle périt – et Chaïm avec elle – peu de temps avant l'arrivée de l'Armée rouge. Dans ce décor cauchemardesque se joue la vie d'un gamin de douze ans, Alter, (on pense bien sûr à altérité !) qui a pu s'échapper de son shtetl dévasté par la folie génocidaire de l'occupant. "Une chose inconcevable", la mise à mort brutale de son frère jumeau dont il a été témoin, « a brûlé sa mémoire. » Mû par la volonté inébranlable de vivre, il échoue dans le ghetto de Lodz. Il nous entraîne dans ce qu'il en reste, se faufile entre les habitations et les synagogues détruites, les caveaux du cimetière, dans un dédale de ruelles et de recoins où les nazis et la police juive acquise à Chaïm peuvent surgir à tout moment.
L'enfant trouve refuge chez un vieux marionnettiste. A sa suite, nous découvrons un monde souterrain où se manifeste l'autre versant de l'être humain : celui de la résistance à la terreur par le biais d'ateliers d'imprimerie clandestins, de chaînes de solidarité pour cacher les plus faibles. La vie s'exprime surtout à travers l'art et la création artistique, la culture, la spiritualité et la dérision. Des lieux de culture subsistent encore même si, tôt ou tard, ils sont condamnés à disparaître.
Des hommes presque morts d'épuisement et de faim, réduits à l'état de larves, viennent se ressourcer dans les chants, les spectacles et la musique yiddish. Dans un brouillard onirique d'où remontent régulièrement les premiers mots d'une comptine yiddish, Alter s'est consacré d'emblée à l'art du marionnettiste ventriloque. Il a fabriqué un pantin à son image.
Il le nomme Alter qui en fait est son vrai nom. Comme dans un songe, il a adopté pour lui-même celui de son frère assassiné, Ariel (l'Ange de la lumière). Il recherche à tâtons le chemin de la gémellité. Dans ce chaos inconcevable, il retrouve ainsi, au gré des tragiques péripéties de sa vie et par tâtonnements successifs, une présence, une altérité qui fait émerger la partie absente de lui-même et lui redonne une identité.
Un monstre et un chaos est un livre brillant. Ce qui fascine le lecteur, c'est avant tout l'expression dense et brillante de son auteur. le chatoiement d'un univers onirique et poétique profondément vivant, traversé par les mots, les prières et les chants yiddish de la vieille tradition hassidique ne fait que renforcer un réalisme des plus sordides et insupportables, celui de la barbarie.
Cette force évocatrice qui ne verse jamais dans le pathos et la haine pure, mais qui interroge sur la complexité de l'âme humaine nous rappelle avec justesse la nécessité d'user de notre devoir de mémoire, seul capable de préserver la résistance de l'esprit humain et donc notre humanité.
Lien : https://liseusesdebordeaux.o..
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" Qui d'autre que les poètes et les raconteurs d'histoires saura transmettre la mémoire de notre terre perdue ? Eux seuls pourront restituer à nos enfants la haute mélancolie du shtetl ."

Hubert Haddad est exactement le chantre de ces paroles. Grâce à une qualité d'écriture poétique mais aussi fantasmagorée, il nous emmène, nous transporte dans cet univers qui permet à la mémoire de subsister.
Le roman relate l'histoire du ghetto de Lodz, l'une des premières grandes villes polonaises à connaître l'enferment du ghetto. Fait ironique ou désolant, ce ghetto survivra presque jusqu'à la fin de la guerre grâce à Chaïm Rumkowski qui pour "sauver son peuple" les fera travailler sans répit pour fournir aux Allemands tout ce qui leur était nécessaire.
Polémique ou pas, ce qui m'a touché dans ce roman, c'est ce grand souffle d'espoir que portent les " condamnés" du ghetto. En s'accrochant à faire vivre toute la culture yiddish de leurs shetls envers et contre tout.
La littérature sauve les âmes, la culture peut être une carapace qui protège des horreurs et bassesses d'un monde en folie.
Les personnages de papier créés par Hubert Haddad sont très attachants comme ce jumeau qui survit seul dans cet univers broyé. Il apprend l'art d'être marionnettiste et cela lui permet de faire revivre son frère.
Certaines phrases culminent dans l'horreur toutes réelles de ce cauchemar des ghettos.
"Le Reich en déroute devait gagner coûte que coûte la seule bataille qui lui importait encore : l'anéantissement du peuple juif."
Hubert Haddad malgré tout sait nous parler de la résistance qui s'organise dans ce ghetto de Lodz, des lueurs d'espoir qui nous ont penser que rien n'est jamais complètement mort.
C'est justement cette mémoire qui transmet cet héritage au monde qui suivra ce chaos.

Un livre remarquable, une écriture qui nous touche le coeur, une histoire universelle.
"Le ciel nocturne s'est déchiré sur des milliers de pointes étincelantes. Chacune est un soleil tourné vers l'au-delà. Des larmes aux yeux, Rebecca marmonne la prière des endeuillés."

BOULEVERSANT !
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Deux livres qui se suivent sur le même sujet, mais quel livre ! Il faut beaucoup de courage pour lire un livre sur le ghetto de Lodz. On sait dès les premières lignes qu'aucun des personnages que nous rencontrons au premier chapitre ne résisteront à la barbarie nazie. Hamad prend comme fil conducteur un malheureux enfant qui a vu toute sa famille assassinée et en particulier son frère jumeau. de fuite en fuite, ce petit enfant aux boucles blondes, arrive à Lodz. Tel un lutin, il se cache dans les plus improbables recoins d'une ville peu à peu vidée de ses juifs. Nous rencontrons alors l'histoire peu connue de Chaïm Rukovsky qui décida de mettre la mettre la main d'oeuvre juive au service de l'effort de guerre des nazis.Pour cela, il crée une police juive redoutable. Dans son idée, si les juifs arrivent à se rendre indispensables, ils pourront survivre. C'est tout le paradoxe de ses positions : a t'il été un tyran pour la population au service des nazis ? A‑t-il aidé l'effort de guerre des nazis ? Ou a‑t-il contribué à en sauver quelques uns ? Bien sûr tous ses efforts n'ont servi à rien, sinon que Lodz n'a été liquidé qu'en dernier. En dehors de ce côté terrible voire insupportable l'auteur fait revivre la culture yiddish. C'est sans doute ce qui donne un charme très particulier à ce livre. Et cela nous rend encore plus triste devant cette perte irréparable, oui cette culture à bien disparu et cela définitivement.

Un livre éprouvant moralement mais qui a le mérite d'avoir su raconter l'indicible.
Un témoignage trouvé sur youtube raconte assez bien le paradoxe de ce ghetto qui lorsque le système de Rukovsky a fonctionné a permis à des juifs une vie moins horrible que dans d'autres ghetto, mais en même temps était au service de ceux qui allaient les assassiner.
Lien : https://luocine.fr/?p=11399
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Une écriture sublime au service d'une histoire bien cruelle, de surcroît véridique sur le fond, celle d'un petit garçon à figure d'ange, témoin du meurtre de son jumeau et de sa mère par des soldats de la Wehrmacht. Sa fuite éperdue à travers bois et villages sera le fil conducteur de la narration.
De l'invasion de la Pologne par l'armée allemande en 1939 jusqu'à la fin de la guerre en 1945, Hubert Haddad raconte avec une indicible beauté l'horreur quotidienne du ghetto juif de Łódź, renommée Litzmannstadt par les nazis. Placé à la tête de cette communauté par les Allemands, la figure conciliante et collaboratrice du juif polonais Chaïm Rumkowski, un homme d'affaires jadis prospère, qui s'offre à pactiser avec ses bourreaux afin d'atermoyer de jour en jour, de mois en mois, d'année en année, la voracité du IIIe Reich dans son obsession à exterminer le plus grand nombre de Juifs. « Élu conjecturel d'une farce tragique », Rumkowski ira jusqu'à donner en pâture aux camps d'extermination un grand nombre d'enfants et de vieillards, prétextant que « dans un monde en guerre, seul compte la survie du plus grand nombre. »
Un récit à glacer le sang porté par une magnificence littéraire, qui s'est même invité dans mes songes la nuit dernière, me réveillant avec l'urgence de refermer définitivement le livre. J'ai lu bon nombre de romans portant sur ce thème mais celui-ci possède réellement un caractère particulier, une charge émotive explosive. Dans la même veine que ce que Jonathan Littell a fait avec Les Bienveillantes.
« Disons tout bonnement que l'homme, privé de simple humanité, n'est qu'un monstre et un chaos. »
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Le "roi Chaim", doyen du Conseil Juif du ghetto de Lodz, homme d'affaires polonais est placé par les nazis à la tête des autorités juives du ghetto. C'est un homme servile envers l'envahisseur mais orgueilleux et autoritaire draconien envers les habitants qu'il force à travailler pour l'Allemagne.
La lecture de l'ouvrage est douloureuse, réaliste, le lecteur n'est pas épargné.
Parmi les horreurs, la beauté, la poésie grâce à deux anges blonds, Ariel et Alter, jumeaux indissociables, fusionnels, chacun connaissant les pensées de l'autre.
Oui mais, lorsque son autre lui-même est sauvagement massacré, Alter fuit, devient un petit félin rusé. Il sera sauvé par le petit théâtre d'un marionnettiste .
L'écriture de Hubert Haddad est magnifique . Mais,je le répète, que ce roman est douloureux , démoralisant !
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Que dire d'Un Monstre et un chaos de Haddad, si ce n'est pour paraphraser je ne sais plus qui, que le silence qui suit est encore de lui.
Un Monstre et un chaos c'est le monde de Chagall passé au lance-flammes, avec dans cet univers qui rétrécit comme peau de chagrin jusqu'à l'anéantissement un garçon, Alter (!), qui a perdu son jumeau Ariel, et qui tente de le faire revivre au coeur du ghetto de Lodz.
Sur Lodz, il y a eu Les Dépossédés, de Steve Sem- Sandberg, et La fabrique de papier tue-mouches, d'Andrzej Bart qui mettait en scène le « procès » de Chaïm Rumkowski, l'ancien responsable du ghetto transformé en complexe industriel pour grappiller quelques années de survie, jusqu'en 44.

Au milieu du chaos généralisé et de l'absolue cruauté, la cité surnommée le « Manchester polonais » tente de repousser la mort du plus grand nombre et l'enfant et son double "ectoplasmique" s'évadent grâce au théâtre et aux marionnettes puisque jusqu'au bout, un semblant de vie même culturelle s'accroche aux murs lépreux. C'est là toute la force de ce magnifique roman, merveilleusement écrit et construit, de mêler l'onirisme à la réalité la plus crue. «  On peut rendre le rêve plus grand que la nuit ».
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De tout temps, des hommes sont devenus des monstres pour les autres hommes, et ont installé le chaos. Mais dans ces chaos, il y a toujours eu des résistants, dont certaines actions ont pu paraître insignifiantes, alors qu'elles ont permis à ceux qui les ont accomplies de relever la tête et de sauver des vies, au minimum la leur. Les monstres de ce formidable roman de Hubert Haddad, ce sont Hitler, et ceux qui ont imaginé la solution finale pour anéantir le peuple Juif, notamment en mettant en place dans les grandes villes de Pologne, des ghettos dans lesquels les juifs étaient entassés et ensuite déportés vers les camps d'extermination.
Une famille juive de Lodz, Shaena la mère et ses jumeaux Alter, et Ariel s'est réfugiée dans la petite bourgade, de Mirlek chez un oncle forgeron, mais lorsque les soldats allemands envahissent la Pologne, Alter assiste au massacre de sa mère, de son frère Ariel, et de son oncle. Resté seul survivant, il rentre à Lodz. Dans la ville, les habitants juifs sont enfermés dans le ghetto, dans lequel Chaïm Rumbowski, met en place des ateliers, des usines au service du Reich, pour prétendument sauver son peuple, mais rapidement on constate qu'il devient le profiteur de cette organisation et en quelque sorte l'exploiteur de ses congénères.
A s'associer avec les monstres ne devient-on pas monstre soi-même? En sera-t-il sauvé, nous le serons qu'à la fin du roman?
Avec une profusion de termes, d'expressions et de rites juifs, qui nous imprègne totalement dans cette culture disparue, l'auteur nous montre la vie atroce des ghettos rythmée par les départs des convois vers les camps de la mort, la famine et le travail harassant auquel sont soumis les habitants pour satisfaire les accords que Rumbowski a passés avec les nazis. Mais sur les pas de Alter qui longtemps refuse de porter l'étoile juive, qui se faufile dans la ville qu'il connaît bien, on découvre qu'une résistance s'organise notamment culturelle, faite de musique klezmer qui se joue en sourdine dans les caves, de théâtre et plus précisément de marionnettes. Après avoir travaillé dans une famille de luthier, il apprend à confectionner et à manipuler les marionnettes chez le Maître Azoï, au Théâtre des Quatre Sabots puis ensuite au Théâtre Fantazyor, c'est là, qu'il en fabriquera une de sa taille qui se substituera à son jumeau disparu.
Hubert Haddad nous plonge dans le chaos, et des passages sont très sombres, très tristes et je crois, il montre bien ce que furent les atrocités qu'a dû subir le peuple juif d'Europe centrale, mais il nous montre avec beaucoup de poésie une infime étincelle de beauté, ce théâtre de marionnettes, la confection de ces êtres de bois et chiffons. C'est merveilleux, cela irradie tout le texte comme le " peintre d'éventails " irradiait ce précédent roman qui portait ce titre. On est bouleversé par le destin de Alter.
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Hubert Haddad nous livre ici un témoignage de la Seconde Guerre Mondiale, si réel que l'on croirait presque vivant au milieu de ce ghetto, tel le marionnettiste se confondant avec sa marionnette, et nous rappelle ce devoir de mémoire à perpétuer, qui tends à disparaître maintenant que les personnes ayant vécu ce drame mondial s'éteignent. Un récit témoignant de la petite histoire contribuant à la grande Histoire.
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