Chypre

On y construit alors des édifices de petite taille, à plan rectangulaire simple et à toiture de bois à double versant couverte de tuiles plates à crochets. Toute la surface des murs est couverte de fresques. L'exemple le plus caractéristique est l'église de Moutoullas, dédiée à la Vierge, en 1280, par un riche couple chypriote de la région: Jean Moutoullas et sa femme Irène. Le programme iconographique insiste sur des modèles et des procédés typiquement byzantins, marqués par les apports de l'art croisé des États latins du Levant. Les peintures se caractérisent par une ligne schématique, des contours noirs, des figures rigides et plates, sans volumes. Les visages sont ronds avec de grands yeux en amande, des sourcils unis au contour du nez, et le regard vague. Cependant, si les ateliers font preuve d'une intense activité artistique à cette période, ce n'est pas, le plus souvent, pour effectuer des peintures murales, car l'Église latine a privé la majorité orthodoxe de l'île de son aristocratie et de son haut-clergé, c'est-à-dire des commanditaires naturels de l'art monumental. C'est l'art de l'icône, peinte sur bois, qui se développe pendant toute la période latine (1191-1571), à Chypre comme partout ailleurs, dans l'Empire byzantin. L'essor de l'icône à Chypre, qui reflète l'appartenance séculaire de l'île au monde orthodoxe, permet d'appréhender la vie artistique de l'île sous domination latine.

L'avenir des bases de Chypre obsède le gouvernement américain. Au début des années 1970, les Britanniques songent sérieusement à quitter définitivement l'île, abandonnant leurs installations militaires à Nicosie. Or la souveraineté britannique sur les enclaves chypriotes est fondamentale pour les États-Unis. Washington utilise activement la station radar du Troodos, l'un des meilleurs centres d'écoute du monde, qui lui est indispensable pour observer la flotte soviétique. La base d'Akrotiri, la plus grande installation militaire britannique à l'extérieur du Royaume-Uni, offre aussi de réelles facilités.

En 1974, l'administration républicaine américaine veut renforcer le flanc sud de l'OTAN en y faisant entrer Chypre et en réconciliant la Grèce et la Turquie. Sur la base du «plan Acheson», le gouvernement américain amorce une réflexion recevable pour la Turquie, donc qui envisage la partition de l'île. C'est inacceptable pour la Grèce, mais les colonels ne peuvent rien refuser à leur puissant protecteur. Comme Makarios le redoutait, il se profile une négociation inégale entre la Turquie et la Grèce, arbitrée par les États-Unis, qui ne tiendra aucun compte des populations chypriotes.

Pour les États-Unis, la partition de l'île semble être la meilleure solution. Elle contente la Turquie et ramène l'île sous le contrôle des deux fidèles alliés des États-Unis. Ils imaginent même que la partition pourrait rétablir la bonne entente entre Athènes et Ankara. Dans les modalités, le déplacement des populations est inéluctable. En effet, Ankara veut contrôler la partie nord de l'île, qui fait face à la côte anatolienne, mais où il n'y a quasiment pas de Chypriotes tures.

Pour conserver toute son influence à Chypre, l'épiscopat a privé les Chypriotes de pouvoir faire l'expérience d'une démocratie représentative, et donc d'être acteurs dans l'élaboration de leur avenir sur la scène internationale. Par ailleurs, il a occulté la montée en puissance de la nouvelle Turquie. Alors que le «pacte national» turc, sur lequel se fonde le territoire de la Turquie en 1920, ne comprend pas Chypre, sous occupation britannique depuis 1878, alors qu'Atatürk mène une politique extérieure modeste, prudente, et surtout pas conquérante, la position diplomatique d'Ankara s'améliore à l'orée de la guerre froide: à partir de 1947, la Turquie apparaît comme la pièce maîtresse du dispositif occidental de contrôle des détroits. Son armée est au contact direct de l'armée rouge. Membre de l'OTAN, elle assure la surveillance occidentale entre l'Europe et le Moyen-Orient. Elle devient donc le seul allié sûr des Occidentaux face aux contestations arabe et iranienne.