Au milieu du XVIIème siècle, dans la toute jeune colonie du Massachusetts, une femme, Hester Prynne, se trouve exposée à la honte publique. Son crime a pour nom adultère. Sa punition est une lettre écarlate accordée sur sa poitrine. Et le fruit de son crime est une enfant, Pearl, condamnée, elle aussi, à suivre sa mère dans les marges de la société. Deux choses, pourtant, manquent. D'abord, l'époux d'Hester Prynne n'est pas connu : il est réputé disparu en mer, donc mort. Ensuite, le nom de l'amant demeure inconnu, lui aussi. Malgré les questions des juges et des autorités ecclésiastiques, Hester Prynne s'est tue. Elle a choisi de porter, seule, ce fardeau. Cependant, le triangle, mi-amoureux mi-haineux, apparaît bientôt sous la plume de
Hawthorne : aux côtés d'Hester se placent Arthur Dimmesdale, un jeune pasteur aux sermons admirés et dont la personne est assimilée, par les habitants de Boston, à celle d'un saint, et Roger Chillingsworth, un vieux médecin au passé obscur qui, bientôt, se lie d'étrange façon au pasteur. Roman psychologique d'une grande profondeur,
La lettre écarlate offre une peinture critique de la société puritaine du XVIIème siècle dans laquelle s'équilibrent, bon gré mal gré, des forces terribles et opposées.
La colonie anglaise du Massachusetts se trouve résumée en une petite ville, Boston, dont les développements urbains n'ont rien à voir avec les plus récents. Régie par un gouverneur élu tous les ans, la petite colonie de Nouvelle Angleterre l'est aussi par des lois morales et religieuses rigoristes, car puritaines.
Hawthorne décrit cette société comme ténébreuse, dans laquelle la gaieté a disparu et serait même une honte, et n'est tolérée que manifestée par les personnes étrangères à la colonie : populations amérindiennes environnantes, marins de passage et, bien-sûr, chez la petite Pearl. La joie comme ennemie de la morale chrétienne : dans une société sensible jusqu'à la pudibonderie aux élans spirituels du pasteur Dimmesdale, le pardon aussi - qu'il faudrait sans doute accorder à Hester, si l'on attachait quelque importance aux vertus cardinales du christianisme - semble absent des attitudes admissibles. Si cette société paraît cruelle - ainsi les enfants poursuivent Hester Prynne et sa fille de leurs injures lorsque ces dernières viennent en ville ; ainsi les femmes qui jugent que la punition de
la lettre écarlate n'est pas assez sévère pour Hester, et qu'il conviendrait de la marquer dans sa chair au fer rouge -, elle est aussi largement isolée. Isolée de l'Angleterre, puisque ses habitants ont émigré de l'île britannique pour éprouver leur puritanisme, isolée aussi du Nouveau Monde où les vastes étendues où vivent les Amérindiens sont encore largement inconnues. Malgré un code moral intransigeant, malgré le statut social prestigieux accordé aux directeurs des âmes que sont les pasteurs - dont Dimmesdale, lequel est starifié, si l'on voulait utiliser un terme très contemporain -, le péché existe toujours, et frappe d'autant plus d'horreur ceux qui ont quitté une terre qu'ils jugeaient impie. Ainsi, en plus du cas d'Hester Prynne, celui de Mme Hibbins, soeur du gouverneur
Billingham et soupçonnée de mener le sabbat dans la forêt, est particulièrement éloquent. Semblant avoir embarqué avec les colons, le démon semble aussi se plaire en Nouvelle-Angleterre.
A n'en pas douter,
La lettre écarlate est avant tout un roman psychologique dans lequel une femme, et à travers elle une certaine idée de la condition féminine, est le personnage central. Toutes les pages sont parcourues d'une tension permanentes entre forces immenses et opposées. Pour chacune d'entre elles,
Nathaniel Hawthorne bat en brèche les présupposés et donne à voir, au fond, l'importance suprême de l'individu, plaçant la femme à égalité de l'homme, ce qui, pour un roman publié en 1850, ne doit pas manquer d'être remarqué. Narrativement, le procédé est habile. Dès les premières pages, Hester, représentant le sexe féminin, est placée sous le signe de la culpabilité, de l'infériorité. Elle seule endosse le péché honteux. Auprès d'elle, les deux hommes avec lesquels elle a partagé son intimité sont deux docteurs : l'un du corps et l'un de l'âme. Par leur sexe, par leurs fonctions et dignités, ils lui sont supposés supérieurs.
Hawthorne s'applique à montrer qu'il n'en est rien, que la dignité appartient à qui assume ses erreurs et lutte contre ses propres démons. Si le péché d'Hester est manifeste et irréfutable, sa conduite, tout au long du livre, dénote une force morale et un courage qu'aucun autre personnage ne possède. À mesure que l'histoire se déroule, l'équilibre s'établit entre Hester d'un côté, et Dimmesdale et Chillingsworth de l'autre. Pour le premier, la révélation de la faute partagée avec Hester, et surtout l'irrésolution à l'avouer publiquement, démontre une lâcheté d'autant plus forte qu'elle est le produit de la haute position morale dans laquelle le pasteur est tenu par la population. le second, qui poursuit d'une haine secrète le pasteur, s'enfonce quant à lui dans des abîmes n'ont nul esprit, même le plus pur, ne saurait le tirer. Chaque personnage apparaît ainsi tiraillé par des tensions internes : amour inavoué, vengeance masquée ... Ces tiraillements entre notions a priori opposées soutiennent toute la dynamique du roman, tendant tous vers l'ultime opposition entre le Bien et le Mal.
Que ce soit celle entre la nature sauvage et la civilisation, celle entre la liberté et la privation de celle-ci, celle entre le péché et la vertu ou encore celle entre le spirituel et le charnel, les oppositions récurrentes déclinées par
Hawthorne répondent toutes au même schéma. L'une des deux notions est censée supérieure à l'autre (la civilisation à la nature, la vertu au péché, le spirituel au charnel) et pourtant, l'histoire d'Hester Prynne démontre la fausseté de ces présupposés. Ainsi la nature est-elle un refuge salvateur pour Hester Prynne alors que la civilisation, symbolisée par Boston, a rejeté la pécheresse. de la même façon, la vertu supposée des puritains et du pasteur Dimmesdale paraît fausse, tandis que, sous le signe accablant du péché, Hester dépasse en vertu tous ceux de la colonie : par son respect absolu de la loi inique qui pourtant la stigmatise, par sa dévotion aux indigents, par son amour maternel.
Hawthorne montre également comment la liberté officielle des Bostoniens est un carcan moral tandis que, stigmatisée - au sens religieux du terme, qui confère l'élection de celui ou celle qui le porte -, Hester, pourtant privée du lien social qui régit la vie ordinaire, affirme une liberté d'autant plus surprenante qu'elle est une femme, capable et contrainte, par la force des choses, de diriger sa propre vie. Enfin, la relation entre le corps et l'âme pourrait démontrer l'assujettissement du premier à la seconde, tant les blessures de l'âme semblent rejaillir sur le corps. Il en va ainsi de Dimmesdale, affligé par sa culpabilité et dont le corps pourtant jeune menace de trépasser, ou d'Hester dont le corps vigoureux a perdu les charmes de la féminité à cause de
la lettre écarlate portée. Pourtant, c'est bien par le corps que tous les signaux de l'âme sont visibles, ce sont bien la gestuelle et les regards qui définissent ce que sont les personnages. L'exemple de Pearl, la fille d'Hester, est particulièrement parlant. A la fois bénédiction - car l'enfant est un cadeau de Dieu et le fruit d'un amour - et malédiction pour Hester (au sens littéral parfois : les mots et allusions de Pearl blessent souvent profondément sa mère) qui se voit quotidiennement rappeler son péché, Pearl est à la fois l'image de l'innocence enfantine et celle du Malin. le champ lexical est très évocateur à ce propos.
Dans la jeune colonie du Massachusetts, dont les soldats et les prêtres sont les maîtres, les uns pour la défendre, les autres pour la guider, Hester, contrainte par la société puritaine, conquiert sa liberté. Celle-ci n'est pas tant de faire ce que l'on veut, que de faire ce que l'on doit ; en d'autres termes, de se conformer de plein gré à la morale. Quant à l'affrontement du Bien et du Mal, il n'est pas l'apocalypse supposée, mais un long cheminement douloureux pour chacun des personnages. Dans une société où corps et âmes sont contrôlés, la liberté a pour nom simple la vérité.