Il y a ce que certains responsables politiques appellent « les territoires perdus de la République ». Et puis il y a, encore plus nombreux, les territoires que la République a largués en vol, avec ceux qui y vivent. Ces villages, bourgs et petites villes où, pour avoir accès à un service public ou à un médecin, il faut impérativement parcourir, en bagnole évidemment, plusieurs dizaines de kilomètres jusqu’à l’oasis la plus proche. Là, on pourra éventuellement espérer s’adresser à un interlocuteur qui ne soit ni un algorithme ni une boîte vocale. On pourra aussi, avec un peu de chance, trouver un magasin d’alimentation, un bar, une maison de la presse, une pharmacie. Et avec encore plus de chance, beaucoup de chance, tous ces « commerces essentiels », selon l’expression désormais consacrée, ne seront pas regroupés en périphérie dans une enfilade d’entrepôts pompeusement baptisée « zone d’exploitation commerciale ».
Si vous habitez dans un de ces no man’s land, pour vous épargner tous ces désagréments, l’État – en partenariat avec Bill Gates, Tim Cook et Jeff Bezos – vous propose d’installer l’appli dédiée sur votre dernier iPhone. Ce qui est tout de même bien plus pratique qu’un bureau de poste ou une épicerie avec des employés désagréables. Vous n’avez pas de toubib dans votre trou ? Réjouissez-vous, vous aurez bientôt accès à la « téléconsultation ». Vous en avez plus que marre de faire 25 bornes pour acheter une baguette ? Pas de problème, M. Carrefour va ouvrir un « drive piéton » au bout de votre rue. En deux clics et un QR code, le monde et ses merveilles sont à vos pieds. Bientôt déposées par drone, avant même que vous ne les commandiez. Vous voulez parler à quelqu’un ? Twitter n’est pas fait pour les chiens.
La « dématérialisation » et la « digitalisation » à marche forcée de la moindre parcelle de vie, d’échange et de socialisation, processus désormais considéré par tous les partis comme inéluctable car c’est-le-progrès et la solution à tout, ne sont jamais citées parmi les raisons qui peuvent conduire des électeurs à voter pour le Rassemblement national. Pourtant, cela participe, et pas qu’un peu, à ce sentiment d’être exclu du « système » qui alimente, en France comme partout ailleurs, le vote populiste d’extrême droite. Tout le monde a, ne serait-ce qu’une fois dans sa vie, eu maille à partir avec un fonctionnaire borné qui ne veut rien entendre. Mais tous ceux qui se sont un jour retrouvés aux prises avec un robot vocal en boucle ou un écran affichant obstinément « Error 404 » ont rêvé de revoir ce brave fonctionnaire.
Gérard Biard
Luz décrit à une journaliste de VICE News la scène de l'attentat dans les locaux de Charlie hebdo, et sa perception de la marche républicaine. Avec beaucoup d'émotion, il explique la signification de sa caricature en couverture du numéro tiré à 7.000.000 d'exemplaires : "Tout est pardonné". "Après, les gens peuvent imaginer tout ce qu'ils veulent... Moi, mon histoire, elle est là".
Luz