J'ai bien aimé cette suite du Coeur en bataille. C'est intense, tout y est dramatique comme c'est le cas pour les ados et c'est très bien écrit.
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Je ne sais trop. Chose certaine, mon fou rire tombe à l’eau, c’est le cas de le dire, car, en constatant l’ampleur des dégâts, je réalise à quel point je suis transparente. Ou plutôt mon t-shirt mouillé l’est devenu. Mettant en évidence des mamelons qui me révèlent jusqu’au plus profond de moi-même, il me semble.
Je me sens plus nue que nue. Et pourtant, je n’ai jamais eu aussi chaud. L’air se raréfie dans cet espace exigu fermé par un rideau de pluie. C’est comme dans la douche, mais à l’envers. Pour la première fois de ma vie, je me sens désirable et j’ai envie que quelqu’un, ou plutôt que Bruno...
Je n’ose pas aller au bout de mes pensées. Dans l’espoir de brouiller les pistes, je lève les yeux vers lui. À défaut de trouver une farce plate à raconter, je lui ferai une grimace. N’importe quoi...
Trop tard ! Bruno me lit dix sur dix. Ou plutôt, il lit sur mon t-shirt. Il me suffirait de refermer les bras sur ma poitrine. Mais je ne peux me résoudre à me soustraire à la caresse de ses yeux. Il faut croire qu’on est à l’âge où nos freins peuvent nous lâcher au moment le plus inattendu.
Je le vois bientôt ramener le chandelier de sa mère devant son jean. Je ne pousse pas plus loin l’enquête, sûre de découvrir que le renflement suspect qu’il tente de dissimuler est bien ce qu’il a l’air d’être.
Il essaie de retenir mon regard le plus haut possible. Peine perdue, je sais qu’il sait que je sais.
Curieusement, je n’ai pas le réflexe de fuir comme les fois où c’est arrivé au garçon avec lequel je dansais collé. Mais je ne me sens pas tellement plus solide sur mes jambes. Et, me retenant à ses yeux pour ne pas m’écrouler, je m’entends balbutier :
— Je ne sais pas quoi dire... ni quoi faire.
Son sac à dos lui servant de coffre aux trésors, Bruno devient alors le pirate étalant aux pieds de sa belle le butin de son dernier pillage. Vient d’abord la nappe en dentelle, puis des verres hauts sur pied, des couverts tout ce qu’il y a de plus chic et de la bouffe tout ce qu’il y a de plus junk. La belle — c’est moi, ça — pouffe au moment où apparaît une espèce de vieux chandelier à trois branches.
— Je l’ai piqué à ma mère, me dit-il entre parenthèses.
Puis, pince-sans-rire, il y glisse des chandelles, les allume et les pose au milieu de la nappe. J’ai droit à la courbette et au cérémonieux :
— Madame est servie.
C’est en me tordant de rire que je prends place en face de lui, de l’autre côté de la nappe.
Il vient à peine d’ouvrir le sac de popcorn, c’est ce qu’il a prévu comme entrée, qu’une grosse pluie se met à tomber. Soudaine. Et imprévue en ce qui me concerne. Comment aurais-je pu me rendre compte que le ciel s’était couvert ? Je navigue dans le plus épais des brouillards intérieurs, me guidant à l’instinct, depuis que j’ai jeté les yeux sur lui. Alors le temps qu’il fait à l’extérieur...
Je le revois, à bout de souffle, cherchant à dissimuler sa gêne derrière sa grande mèche de cheveux noirs. Cheveux qu’il a bientôt repoussés de la main, dans un élan de courage, pour plonger ses yeux dans les miens. Ses yeux vert eau de mer dans lesquels je n’ai pas tardé à chavirer.
Son visage, sentant bon l’orange que nous venions de partager, était si près du mien. Dangereusement trop près du mien. Ou pas assez. De sorte que je n’ai pas pu m’empêcher de coller mes lèvres contre les siennes.
Non seulement il ne s’est pas éloigné, mais il s’est attardé, le souffle court, en accord avec le mien. Il y serait probablement encore si je n’avais pas été prise de panique à la pensée qu’il aille tout raconter à l’école le lendemain. Mieux vaut mille fois demeurer anonyme que de devenir la cible de cette bande de lanceurs de farces plates en bas de la ceinture. Mais personne ne l’a su. Et voilà qu’il en redemande.
Mon courage rétrécit à vue d’oeil. J’ai tellement peur de ne pas être à la hauteur. Je ralentis mon rythme, de façon à rester en arrière et de pouvoir à tout moment me fondre dans le paysage, ni vue ni connue. Mais lorsqu’il met pied à terre, au lieu convenu, je suis toujours là ; un léger mouvement de tête de sa part et je suis découverte.
Qu’est-ce que je vais faire ? ! Je ne saurai pas quoi dire... Et ça, dans l’hypothèse où je ne tombe pas carrément en bas de ma selle. Au premier regard, il regrettera d’avoir rendez-vous avec moi. Je sentirai à l’absence d’éclat dans ses yeux qu’il y a erreur sur la personne.
Il se retourne. Ma bicyclette se dérobe sous moi, on dirait. L’espace d’une seconde, je ferme les yeux et j’arrête de respirer.
Quand je pense que je l’ai embrassé ? ! Moi qui n’avais, avant ce jour-là, jamais osé regarder du côté des garçons, même avec une lunette de douze mètres. De peur qu’ils se sauvent, peut-être ? Et voilà que je me suis mise à en dévisager un. Le plus beau en plus. Et de si près que je courais le risque de loucher jusqu’à la fin de mes jours.
Mais comment résister ? ! Il était si touchant en plein soleil, ce jour-là... N’ayant pas hésité à grimper jusqu’au sommet de la montagne, où je m’étais réfugiée, pour manifester son désaccord avec une farce plate que son copain Yvann venait de faire à mes dépens.