À quoi sert la poésie si elle ne sert pas à nous émouvoir ? À quoi sert la poésie si elle ne fait pas sens, si elle ne nous permet pas d'éprouver un sentiment qui nous relie à nous-même, à notre histoire, à notre vie ? À quoi nous accrochons-nous quand nous délimitons le champ de la poésie à nos seules émotions ?
Ce sont quelques unes des questions qui me sont venues après la lecture du recueil
le poème continu (Ou a poema continuo) du très grand poète portugais
Herberto Helder.
Le Poème continu a une histoire singulière, celle d'une longue suite de poèmes dont l'écriture a débuté en 1961, qui, sans cesse remaniés et ajoutés les uns aux autres, ont constitué
le poème continu, édité en… 2001.
Dans toutes les pages de ce livre, s'étend une poésie déracinée, hors-temps, en perpétuel mouvement, une syntaxe disjointe qui rend la compréhension du texte un peu difficile. Mais la poésie d'Helder, même dans son rythme fragmenté, donne la part belle aux mots, à leur sens, à leur pouvoir en puissance. Elle est une force vive qui se répand comme l'eau d'un courant qui envahit tous les recoins de la conscience du poète. Elle agit comme une force en expansion, primitive, une force immémoriale, hallucinée, inquiète et inquiétante. L'écriture fait apparaître des images, qui se superposent les unes aux autres, s'annulent, se recomposent, avant d'être abandonnées, retombées dans l'oubli.
L'écriture d'
Herberto Helder, dans la lignée du surréalisme et de la poésie expérimentale, est la preuve que le poème, le langage ne sauraient avoir qu'une seule fonction, n'être que l'expression d'un art pour l'art qui suffise à nos seules émotions. Même avec sa part d'incompréhension, même avec ses défauts, la poésie ne saurait s'arrêter en chemin. Elle est une quête incessante, elle est toujours à l'état naissant, toujours en devenir. La poésie est cette chance donnée au langage de s'exiler, d'emprunter de nouveaux chemins de pensée et d'écriture, de créer l'altérité entre le poète et son lecteur, de susciter l'étonnement jusqu'à l'émotion, insoupçonnée.
"On prononce des mots dans la crainte de fixer,
un soir qui s'avancerait à pas feutrés, l'onde
lente d'un
papillon."