Je vais commencer par l'unique point positif :
Houellebecq écrit globalement un peu mieux qu'une partie des auteurs contemporains français. Pour être honnête, les quelques premières dizaines de pages m'ont été sympathique.
C'est loin d'être incroyable, cependant : le style devient parfois hasardeux ; de plus, régulièrement, l'auteur nous abreuve de phrases interminables, énumérant sans variation les actions des dizaines de lignes durant, endormant le lecteur par l'absence totale de relief : rythme monotone, aucune subordonnée. Sujet, verbe, complément, SVC, SVC... Ça n'est pourtant pas compliqué d'ajouter une proposition ou une cassure dans la phrase !
Au début, on a l'impression d'une distance humoristique dans ce que dit le narrateur, une sorte de léger cynisme dans ses descriptions, mais on se rend vite compte que ce qu'on prenait pour de l'ironie est en réalité un très lourd premier degré.
Parlons un peu de ce désagréable narrateur, justement. J'apprécie habituellement les personnages maudits et dépressifs lorsqu'ils sont bien taillés, lorsque leur psychologie est travaillée. Dire cela, c'est déjà énoncer le problème. La seule chose qu'évoque ce narrateur, c'est du mépris et du dégoût ; il ne semble pas désespéré, mais a plutôt l'air d'être ce qu'on appelle communément un "gros bon flemmard" qui ne veut pas "se sortir les doigts".
Oui, je suis vulgaire. A l'image du livre - et même un peu moins. Quel est l'intérêt des scènes pornographiques, et de leur description à la fois crue et inélégante ? Qu'est-ce que le lecteur peut avoir à faire des visites que rend ce mec antipathiques à des prostituées ? Cela n'apporte strictement rien au personnage ou à l'histoire en général. Si je souhaite lire un roman pornographique, je n'ai qu'à me tourner vers un éditeur spécialisé. La vulgarité ne s'arrête pas à ces scènes, elle parsème les pages de termes qui font tâche. En particulier lorsque
Nietzsche est gratuitement qualifié de "vieille pétasse" : on touche là non seulement à la vulgarité, mais à l'aléatoire le plus total. Je ne comprends sincèrement pas cette grossièreté ou l'insertion des scènes de sexe :
Houellebecq voudrait-il se faire "trash", ou encore tenter de donner une épaisseur à son personnage ? Si c'est sa tentative, elle est sans succès. On voit cette superficialité dans les renvois incessants faits à Huysmans, d'une lourdeur pachydermique ; le parallèle avec sa vie et son oeuvre est tellement artificiel, tellement factice que c'en est pathétique.
Passons maintenant aux aspects les plus problématiques - par comparaison, les points soulevés jusqu'ici étaient presque négligeables. L'aspect principal du livre est l'accession au pouvoir du chef du parti musulman, et l'application de son programme. le majeur problème, qui éclipse tout les autres et rend ce roman aussi détestable, tient en ce que jamais un tel programme n'aurait pu voir le jour. Jamais il n'aurait pu être soutenu. Jamais il n'aurait pu être appliqué. Les français ne sont pas apathiques à ce point ; il suffit de voir la mobilisation qu'a déclenchée la possibilité de se marier pour les personnes de même sexe, avec la Manif pour tous. Cette seule mesure, qu'on soit pour ou contre, avait cent fois moins d'impact que toutes les transformations qu'affabule
Houellebecq, et a pourtant déplacé des foules. Donc, d'une part, jamais ces mesures n'auraient permis l'élection de Ben Abbas, et d'autre part, s'il avait tout de même été élu et qu'il avait appliqué cela, il aurait été renversé.
Petit rappel, tout de même : La connerie de
Houellebecq lui fait prétendre que la mixité serait abolie, que des supermarchés fermeraient leur rayon casher, que des magasins de vêtements pour fille fermeraient au bout d'un mois au pouvoir (!), qu'on pourrait arrêter l'école à 12 ans (!), que le parfum d'exotisme de la charia la rendait désirable (!!), que la polygamie serait rétablie (!!!) et que naturellement, plein d'hommes prendraient des épouses de 15 ans (!!!). On est à ce niveau de foutaises ! Comment des gens peuvent-ils croire à cela ? Comment des gens peuvent-ils penser "oui, c'est tout à fait vraisemblable" ? Quels fantasmes faut-il avoir pour écrire de telles énormités ? Quel manque abyssal de connaissance de la société française peut-il mener à de telles élucubrations ?
Plus on avance dans le récit, plus on est effaré. La criminalité baisse immédiatement de 90% dans les banlieues ? A supposer que les délinquants soient à 90% des musulmans, ce qui serait déjà IGNOBLE, et à supposer aussi que tous les musulmans soutiendraient Ben Abbas, au détriment des différents courants de pensées de l'Islam ; il faut être bien sot, ou bien malhonnête (et c'est vers cette hypothèse que je penche) pour croire que ces gens se calmeraient gentiment pour faire plaisir à leur bon président ! A ce niveau, ce ne sont plus les connaissances de la société qui lui manquent, à
Houellebecq, c'est bien un cerveau ! de même, nous avons une réduction des dépenses publiques de 85%. Quatre-vingt cinq pourcents ! En entendant ces chiffres, on croirait deux gamins de cinq ans qui se battent : "Je te rends ton jouet si tu me donne MILLE MILLIARDS !"
Et de très nombreux points problématiques sont évacués d'un revers de main. Il n'évoque l'UE que pour citer les pays qui pourraient la rejoindre. Mais n'a-t-il pas pensé que l'UE ferait pression, serait vent debout contre de telles réformes ? En particulier à l'heure de l'évolution droitière, voire extrême-droitière de plusieurs pays européens ?
C'est à cause de cette malhonnêteté intellectuelle que ce livre est si énervant. A aucun moment
Houellebecq ne fait mention des forces qui auraient pu s'opposer efficacement à un tel Islam. Et elles sont nombreuses ! le progressisme est ancré dans les moeurs et opinions d'une bonne partie de la société française. Les courants féministes, laïques, mais aussi religieux modérés, se seraient opposés à ce genre de pratiques. Je ne suis pas spécialiste de l'Islam, et c'est pour ça que j'en ai peu parlé dans cette critique, mais il est évident qu'il existe un Islam de France autrement plus tolérant que ce que dépeint ce triste auteur. Il a évoqué l'irresponsabilité de l'auteur du roman pour se défendre : cela peut se discuter dans certaines conditions, mais sur un sujet aussi sensible, de la part d'un auteur aussi médiatique (qu'il ne veuille ou non), c'est hypocrite, c'est lâche et c'est abject de se cacher ainsi.
Houellebecq aurait du faire preuve de plus de subtilité et, encore une fois, d'honnêteté ; mais aussi et surtout de responsabilité.
Il y a des moyens de créer et d'alimenter intelligemment les débats sur les religions et particulièrement sur l'Islam en France et dans le monde. Mais jeter de l'huile sur le feu de cette manière, à l'aveugle, et ensuite se réfugier derrière un principe d'irresponsabilité est parfaitement méprisable.