Allende, c'est une idée qu'on assassine

Si l'on observait un peu partout avec intérêt, bienveillance ou enthousiasme la mise en place au Chili d'un nouveau socialisme, plus fondé sur la conscience populaire et la démocratie que sur le dogme marxiste, l'arrivée au pouvoir d'Allende allait provoquer à Washington une réaction d'une rare violence. Il y avait plus d'une dizaine d'années que les Etats-Unis mettaient leur puissance de nuisance au service de la déstabilisation des régimes qui ne leur convenaient guère dans le monde et en Amérique latine en particulier. Malgré les efforts consentis pour y parvenir au Chili (financement de l'opposition, des médias, des syndicats patronaux, des milices d'extrême-droite, etc.), rien n'avait pu empêcher le socialiste Salvador Allende de gagner les élections présidentielles, à la tête d'une coalition qui regroupait des partis ouvriers, marxistes et chrétiens. Dire que cette nouvelle provoqua un vent de panique à la Maison Blanche et à Langley, le siège de la CIA, est un doux euphémisme. De Richard Nixon, tapant sur son bureau en insultant Allende, qu'il entendait chasser à tout prix, à Henry Kissinger et aux pontes du renseignement américain, tout le monde s'était réveillé le 5 septembre 1970 avec une sacrée gueule de bois.

Ce combat va avoir sur cette bande de terre isolée qu'est le Chili une résonance particulière, si particulière que le monde entier la regarde, l'observe, avec envie, bienveillance ou inquiétude. Voire même appréhension, notamment au pays de l'oncle Sam. Dans de nombreux pays, cette question taraude la gauche, trace une frontière quasi infranchissable entre partisans de la révolution marxiste pure, de la prise du pouvoir par les armes, et partisans d'un chemin plus démocratique, où la mise en place d'un système socialiste, plus juste et libre, rimerait avec bulletins de vote et non avec fusils d''assaut. Les deux modèles ont leur leurs figures de proue : Lénine, Mao, Ho Chi Minh, Castro et Che Guevara entre autres, d'un côté, et Jaurès, Tito, Makhno et Allende de l'autre.