Je terminerai ceci en historien exact, par la peinture de mon caractère. Je suis, ou plutôt j'étais (car c'est le ton que je dois prendre en parlant de moi, et qui m'enhardit même à dire ce que je pense), j'étais, dis-je, un homme d'un caractère doux, maître de moi-même, d'une humeur ouverte, gaie et sociale, capable d'amitié, mais très peu susceptible de haine, et très modéré dans toutes mes passions. Le désir même de la renommée littéraire, qui a été ma passion dominante, n'a jamais aigri mon caractère, malgré les fréquents revers que j'ai éprouvés. Ma conversation n'était désagréable ni aux jeunes gens, ni aux oisifs, ni aux hommes studieux et instruits; et comme je trouvais un plaisir particulier dans la société des femmes honnêtes, je n'ai pas eu lieu d'être mé¬content de la manière dont j'en ai été traité. En un mot, quoiqu'il n'y ait guère eu d'hommes distingués en quelque genre que ce soit qui n'aient eu à se plaindre de la calomnie, je n'ai jamais senti l'atteinte de sa dent envenimée; et quoique je me sois exposé assez légèrement à la rage des factions politiques et religieuses, elles ont paru se dépouiller en ma faveur de leur férocité ordinaire. Mes amis n'ont jamais eu besoin de justifier aucune circonstance de ma conduite ni de mon caractère. Ce n'est pas que les fanatiques n'eussent été disposés, comme on peut bien le croire, à fabriquer et à répandre des fables à mon désavantage, mais ils n'ont jamais pu en inventer une seule qui eût quelque apparence de probabilité. Je ne puis pas dire qu'il n'y ait point de vanité à faire ainsi ma propre oraison funèbre, mais j'espère que du moins, on ne la trouvera pas hors de propos : c'est un point de fait qui va être bientôt éclairci et constaté.
Ce 18 avril 1776
En 1751, je quittai la campagne pour la ville, qui est la véritable résidence d'un homme de lettres. En 1752, je publiai à Edimbourg, où je vivais alors, mes Discours politiques, le seul de mes ouvrages qui ait eu du succès en paraissant. Il fut très bien accueilli et en Angleterre et en Écosse. On publia à Londres dans la même année mes Recherches sur les principes de la morale, celui de tous mes écrits, historiques, philosophiques ou littéraires, qui (s'il m'est permis d'avoir une opinion sur ce sujet) me paraît sans comparaison le meilleur. On n'y fit aucune attention lorsqu'il parut.
Mes amis n'ont jamais eu besoin de justifier aucune circonstance de ma conduite ni de mon caractère. Ce n'est pas que les fanatiques n'eussent été disposés, comme on peut bien le croire, à fabriquer et à répandre des fables à mon désavantage, mais ils n'ont jamais pu en inventer une seule qui eût quelque apparence de probabilité. Je ne puis pas dire qu'il n'y ait point de vanité à faire ainsi ma propre oraison funèbre, mais j'espère que du moins, on ne la trouvera pas hors de propos : c'est un point de fait qui va être bientôt éclairci et constaté.
Il est difficile de parler de soi longtemps sans vanité. Je serai donc court. On pourra cependant regarder comme un trait de vanité la fantaisie que j'ai d'écrire ma vie; mais ce récit ne contiendra guère que l'histoire de mes écrits; et en effet, presque toute ma vie s'est consumée en occupations et en travaux littéraires. D'ailleurs, le genre de succès qu'ont eu d'abord la plupart de mes ouvrages n'est pas fait pour être un sujet de vanité.
Malgré ces vicissitudes auxquelles mes écrits avaient été exposés, ils ont toujours gagné dans l'opinion, au point que l'argent qui m'en a été donné par le libraire a été fort au-delà de ce qu'on avait vu en Angleterre. J'étais donc devenu, non seulement indépendant, mais même opulent.
La
nature humaine selon David Hume
Causerie de
Gilles DELEUZE,
philosophe, sur
David HUME : sa
théorie de l'association des idées, son
analyse du principe de causalité ; ses ouvrages principaux, dont le "Traité de
la nature humaine", sa conception de
la nature humaine.