Dans un coquet restaurant de Londres, deux vieilles femmes élégantes s'apprêtent à commander leur apéritif en attendant l'arrivée d'une troisième convive, mais Stella est en retard (comme d'habitude).
Ce déjeuner est leur rendez-vous annuel depuis près de cinquante ans déjà et le seul moment où les trois amies trouvent l'occasion de se retrouver et de se raconter leurs vies, si différentes.
Alors en attendant Stella, Ag et Prue se remémorent leurs souvenirs communs et cette année 1941 passée à Hallows Farm.
La guerre battait son plein cette année-là et et pour pallier au manque de main d'oeuvre -les hommes étant partis se battre- le gouvernement appelait la population à participer à l'effort de guerre.
Prue, Ag et Stella sont trois jeunes filles qui se sont ainsi portées volontaires. Après une courte formation, elles débarquent sur l'exploitation de M. et Mrs. Lawrence.
Si ces citadines aux caractères très différents sont pleines de bonne volonté, elle n'imaginent pas combien le travail qui les attend est difficile, combien il est épuisant mais combien aussi elles finiront pas l'aimer. Les jeunes filles n'imaginent pas non plus combien cette année va changer leur vie à jamais et celle des Lawrence pour qui l'arrivée de volontaires représente un bouleversement certain.
Bien que le roman se déroule en 1941, il serait vain de chercher dans "
Les Filles de Hallows Farm" un roman sur la guerre. Certes, elle est bien là et pèse sur les personnages tout en restant pourtant à l'arrière plan.
Ce qui importe à
Angela Huth, c'est le quotidien des filles, des Lawrence et de Ratty le régisseur et elle le dépeint avec beaucoup de finesse, de clairvoyance et de sensibilité. Les pages consacrées aux travaux de la ferme et à la nature qui peu à peu captive les trois héroïnes sont véritablement magnifiques, puissamment évocatrices: on sent la caresse du soleil et celle des premiers froids, l'odeur du foin pénètre dans l'appartement avec celle du lait frais et des fleurs qui tapissent les sous-bois.
Le roman, et c'est heureux, ne se limite pourtant pas à cela puisque non content de nous dépeindre le quotidien d'une exploitation agricole au coeur de la Deuxième Guerre Mondiale avec une certaine forme de lyrisme, il s'attache à décrire les destinées personnelles de ses personnages.
La narration se focalise tour à tour sur chacun d'entre eux et en vient à disséquer chaque état d'âme, chaque acte, chaque pensée, chaque rêve inavoué. C'est d'une clairvoyance et d'une subtilité folle, l'analyse psychologique est fouillée, poussée mais avec une forme de pudeur qui confine à la tendresse. Clairement, c'est une véritable réussite qui n'a pas été sans me rappeler "La saga des Cazalet" et qui confère aux "Filles de Hallows Farm" une humanité délicieuse et authentique.
Les personnages, véritable point fort du texte, en ressortent d'autant plus profonds et attachants: Ag et sa rigidité un peu victorienne, Stella la fleur bleue qui finira par grandir, Prue -ma préférée- avec sa légèreté de papillon, le couple Lawrence- austère, rude, taiseux- et leur fils dont les silences disent beaucoup, Ratty et sa mélancolie…
On prend réellement plaisir à les suivre, à les écouter et on se retrouve à dévorer ce roman qui ne raconte pas grand chose, que l'intime et la psyché des uns et des autres, comme s'il s'agissait d'un page turner.
Les fâcheux pourraient objecter que les sentiments préoccupent bien assez la population de Hallow Farm et que les jeunes filles en fleurs en font un peu trop: ils n'auraient pas tort, mais on pourrait défendre le trio en arguant de l'humour de l'auteur qui empêche l'avènement de toute mièvrerie.
J'aurais bien aimé, moi, être l'une des volontaires de Hallows Farm et être la quatrième fille de la bande: on aurait ri avec Prue, on se serait raconté nos secrets avec Stella et on aurait échangé nos livres avec Ag.
Après tout, les Trois Mousquetaires eux-mêmes étaient quatre.