Shut Hell, tome 2

Il fallait bien ce deuxième volume sorti en même temps que le premier pour commencer un peu à saisir l'ampleur de la saga imaginée ici où puissant désir de vengeance se mélange et se repousse avec la puissance des mots pour créer des liens entre les gens et se rappeler de chacun.

Shut Hell reste une série passionnante à suivre mais également un peu brouillonne. Malgré un dessin très clair et immersif, limpide dans la violence et percutant même dans les moments de calme, le scénario lui est plus alambiqué et surtout l'écriture des personnages est un peu bancale. Yu Ito veut aller vite et elle promeut une héroïne vengeresse qui devient du jour au lendemain une grande guerrière capable des plus grands exploits sous l'impulsion de la vengeance. Cela a du souffle mais est tellement peu crédible... Il en va de même pour les hommes croisant sa route qui sont tous, malheureusement, fort caricaturaux dans leur caractérisation car l'autrice va trop vite et s'intéresse peu à l'intériorité des personnages dommage.

Reste une série pleine de souffle et un duo plaisant à suivre dans son altérité. Shut Hell n'a qu'une envie, qu'une obsession, venger les compagnons qu'elle a perdu afin qu'on ne les oublie pas. Yurul, lui, a comme rêve de faire perdurer dans le temps chaque système d'écriture qu'il croise, en particulier celui de ses racines, car il a compris la puissance mémorielle de ceux-ci. Ce sont deux idéaux qui s'affrontent avec au bout du bout le même désir : conserver et transmettre une mémoire. Une thématique qui me plaît.

L'immersion reste totale dans ces terres agitées où la guerre et les violences sont partout même si la vie continue aussi. Il y a un joli travail de l'autrice pour rendre compte de cette réalité entre ère guerrière violente et ère de commerce et d'échange. Les peuples sont de pauvres bougres ballottés au gré des ambitions des puissants, qui bon gré mal gré survivent comme ils peuvent, ce qui est très bien rendu avec la bourgade qu'ils traversent et le père de famille qu'ils croisent, qui fait tout pour survivre avec son fil. C'est d'une tristesse.

Les enjeux principaux se dessinent également, avec d'un côté une Mongolie toute puissante et conquérante où de nombreux petits chefs tentent de tirer leur épingle du jeu pour se retrouver dans les petits papiers du Khan, leur grand chef ; et de l'autre une Chine morcelée, attaquée, qui tente de répondre mais est pas mal dominée. Nos héros sont pris entre deux feux et sont peu intéressés par tout ça. Yurul souhaite juste mettre à l'abri les écris de ses ancêtres et Shut Hell se venger du frère de ce dernier. Cela confère du souffle à l'histoire mais aussi un sentiment de quelque chose d'un peu petit et vain au milieu de ce décor pourtant bien plus vaste. Je reste donc partagée.

Je prends cependant un vif plaisir devant la mise en scène sombre et sans concession de l'autrice qui campe une héroïne aux frontières de l'humanité et la bestialité qui est dévorée par ses démons, et des antagonistes extrêmement brutaux. La violence est superbement ou plutôt dramatiquement représentée ici et ça nous coupe le souffle. Certaines compositions pleines d'un beau sens dramatique restent longtemps en tête. Il y a une forme de beauté dans toute cette noirceur !

Seinen sombre et dramatique, Shut Hell nous emmène aux confins de l'âme humaine torturée avec une héroïne vengeresse qui a basculé dans l'animalité mais qui pourrait être sauvée par l'âme pure d'un jeune ennemi qui lui a compris la puissance des mots et ce qu'ils pourraient apporter à la quête de justice et mémoire de celle-ci. Pont entre les cultures, pont entre les âmes et les désirs, la quête de Yurul touchera-t-elle le coeur bien meurtri de Shut Hell ? Seul l'avenir et les douze futurs tomes de la série nous le diront ;)