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sur 1102 notes
Voilà, je termine juste ce roman, après avoir côtoyé la vie d'Henri Girard et celle de Philippe Jaenada, par ses nombreuses et parfois longues digressions. Même s'il est paru l'année dernière, je ne me suis intéressée à La serpe uniquement car j'ai lu une nouvelle de l'auteur dans l'édition 2018 du livre au profit des Restos du coeur, 13 à table, dans laquelle il écrit sur la personne de Marguerite Steinheil, nouvelle forte instructive soi dit en passant (ne serais-je pas moi même en train de faire une petite digression, que voulez-vous, le talent doit déteindre :))
Revenons à La Serpe. Un beau bébé de 600 pages, qui se lit comme une véritable enquête policière, l'auteur réussit à nous embarquer dans cette histoire vieille de presque 80 ans et à maintenir notre intérêt tout au long de son récit. Après avoir refermé ce roman, et avec le recul (de quelques minutes seulement mais qui suffisent), mon avis général est plutôt enthousiaste, j'ai découvert cette affaire qui est passionnante et le travail de l'auteur de recherche, de recoupements, d'hypothèses et de doutes quant la réelle volonté du corps judiciaire pour trouver la vérité.
Cependant, je reconnais que comme d'autres lecteurs, à un moment, j'ai failli abandonner, parce que les digressions, c'est sympa, mais ça fait pas avancer le schmilblick! Mais je pense que cela tient aussi à la construction du roman, Philippe Jaenada nous expose la personnalité d'Henri Girard, ses jeunes années, ses multiples vies après le drame, pour arriver ensuite à la nuit des meurtres. C'est entre ces deux parties que mon intérêt s'est émoussé (jeu de mot avec la serpe), je me suis demandée quand l'auteur allait précisément aborder l'enquête. Mais je suis heureuse d'avoir découvert un auteur et une plume qui m'ont malgré tout bien fait rire.
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Premier livre de Jaenada mais certainement pas le dernier car passée la surprise du style, l'auteur mène une enquête pointue, particulièrement bien documentée. le travail est de longue haleine et le résultat est à la hauteur. L'humour semé au fil des lignes apporte la fraîcheur nécessaire pour supporter l'intenable de ce récit.
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Philippe Jaenada a un pote. Un pote qui le tanne depuis des années sur son grand-père. Un grand-père a l'histoire géniale, qui passionnera les foules. Mais que voulez-vous ? L'auteur qu'il est n'est pas convaincu. Il tergiverse. Il louvoie ; oui, non mais là, je suis sûr Sulak, c'est un gros morceau…Hum, mais vois-tu, j'ai trouvé l'histoire d'une petite nana, Pauline Dubuisson, trop moderne pour une société trop tradi, qui a besoin de compenser son comportement pas bien brillant de l'Occupation en se vengeant sur une femme (en passant, La Petite femelle est un roman absolument incontournable). Tu sais que mon grand-père a été impliqué dans l'histoire d'un triple meurtre ? Ah ? Tiens…c'est déjà plus intéressant. Mais entre nous, je le connais pas ton grand-père, mais je suis sûr qu'il est coupable. Y a rien à faire dessus. Mais les esprits les plus brillants sont ceux qui sont capable de changer d'avis. Allez hop ! je l'achète ton histoire. Et voilà comment le lecteur se retrouve embarqué dans le récit de la vie d'Henri Girard, dit Georges Arnaud, pour son plus grand plaisir.

Henri Girard, c'est un peu le rejeton maudit d'une union hors nature. Je m'explique : il est le fils de Georges Girard, descendant d'une famille bourgeoise et argentée, et de Valentine Arnaud, simple fille de famille ouvrière, et communiste avec ça ! C'est un scandale, mais Georges l'épouse. Et Valentine enseigne à son fils un certain mépris de la classe bourgeoise. Quand sa mère décède de la tuberculose, le mépris d'Henri ne fait que s'accroître envers sa famille paternelle qui a refusé de lui venir en aide.

Le portrait d'Henri Girard n'est pas brillant, pas un chic type, cet Henri. Il ment comme un arracheur de dents, il en fout pas une, jette l'argent par les fenêtres, fait constamment appel à son père pour le renflouer, vole même l'argent de sa tante Amélie, il ira même jusqu'à inventer un improbable kidnapping par des nazis qui demandent, pour sa libération, une rançon de 100 000 francs. Il épouse une femme que sa famille désapprouve. Ensemble, ils se comportent comme des bêtes, ils provoquent la famille. Henri tire au fusil sur des tableaux de famille. C'est un violent, un colérique, on ne compte plus la vaisselle cassée qu'il envoie à la tête de son épouse lors des disputes. Il finit par divorcer (scandale !), épouse une autre femme, lui fait deux enfants, claque l'intégralité de son héritage en deux ans, s'enfuit en Amérique du Sud pendant deux ans. le fils de bonne famille devient un vagabond sans le sou. Il revient en France. le manque d'argent se fait sentir : de ses aventures en Amérique, il en tire un livre, le Salaire de la peur, en 1951 qui deviendra un film à succès sous la caméra de Clouzot, remportant le festival de Cannes. L'argent revient dans les poches de celui qui se fait désormais appeler Georges Arnaud. le vagabond devenu écrivain sulfureux se tourne volontiers vers la défense du faible. Il renoue même avec ses deux fils. Il est toujours aussi menteur, provocateur, insolent, en un mot comme en cent, insupportable : « Sale gosse, sale type, des claques, insupportable, il ne mue, instantanément, qu'en anéantissant la fortune familiale, et se transforme en nomade combatif qui ne possède rien et vient en aide à ceux qui en ont besoin. Un bon gars, finalement. » résume l'auteur.

Le premier tiers du livre est ainsi consacré à sa biographie. Ce n'est pas anodin : jusqu'à présent, le triple meurtre n'est pas abordé. Jaenada dresse le portrait à charge d'Henri Girard à dessein : le lecteur est tout disposé à le condamner, c'est le coupable idéal. Il aura assassiné sa famille pour en hériter. Aucun doute possible. C'est la voie que suivront les enquêteurs -sauf un- et le juge d'instruction. Henri Girard est un sale type, tout le monde le dit. Au village, tous rapportent les rapports houleux et les nombreuses disputes qui se passaient au château d'Escoire. La femme du gardien est catégorique, la tante Amélie n'était pas ravie du tout de l'arrivée de son neveu. Elle en avait un peu peur. Et le facteur est assez sûr de lui aussi : Henri a beaucoup insisté au téléphone pour que son père, à Vichy, vienne le voir au château. le juge Marigny en est certain : Henri aura attiré Georges sous un prétexte fallacieux. Il a tout prémédité minutieusement, il a agi avec un sang-froid hors norme. C'est assurément un monstre : il s'est acharné sur le corps de ses victimes, il leur a défoncé le crâne à coups de serpe dans leur lit, fauchés en plein sommeil. On a même dû nouer une serviette autour du crâne d'une des victimes, pour éviter qu'il ne se sectionne en deux. C'est dire la violence des coups, la sauvagerie de cet acharnement !

Les preuves s'accumulent : la serpe, c'est la gardienne qui la lui a prêtée, il voulait, paraît-il, ouvrir une porte coincée avec. Drôle d'outil pour débloquer une porte…On découvre aussi des cicatrices sur les mains d'Henri, ces marques sont celles de la serpe, en plus, on retrouve sous ses ongles des traces de limaille de fer. Il s'est aussi lavé la tête et le haut du corps : pour nettoyer le sang qui n'a pas manqué de le souiller. Et puis, le château était bien fermé. Il y a bien cette histoire de la fenêtre des toilettes désaffectées, un voleur aurait pu s'introduire dans la demeure par là. Mais non seulement il est impossible d'ouvrir les volets sans attirer l'attention, mais, même si ça avait été le cas, la fenêtre, elle, est inviolable. Et preuve ultime que personne ne l'a jamais ouverte : elle est couverte de vieilles toiles d'araignée. La famille Girard était appréciée dans le village, personne n'avait intérêt à l'assassiner. Tout accuse Henri Girard, ça ne peut être que lui. Et l'enquête est absolument exemplaire. Et les témoins fiables.

L'acquittement qui vient clore le procès d'Henri Girard est incompréhensible. Quoi ? le juge s'est laissé acheter par l'avocat de l'accusé, Maurice Garçon ? Il espérait que ce ténor du barreau glisse un mot favorable à la chancellerie, histoire de retourner à Paris et de sortir du mouroir qu'est le Périgord. C'est une honte, une parodie de justice ! On a libéré un coupable.

Mais le détective amateur Jaenada entame le dernier tiers de son récit. Et c'est un minutieux, qui, sous ses dehors débonnaires, ses allures de parisien perdu en terre inconnue et son goût immodéré pour le whisky, fait tourner ses petites cellules grises à plein régime. Les Archives départementales sont sa meilleure arme : tous les dossiers y sont versés, aussi bien ceux de l'avocat Maurice Garçon que ceux des enquêteurs. Et on y découvre d'autres pièces : des lettres privées, notamment, qui viennent porter un coup non négligeable au portrait de fils ingrat que l'on nous a dessiné jusqu'à présent. On y découvre un père aimant, un fils attentif, une relation plutôt harmonieuse, malgré les quelques crises qu'il y a pu avoir. Et si la tante Amélie était terrorisée par son neveu, ce n'est pas vraiment ce qui transparaît dans ses lettres, où elle se montre soucieuse du bien-être d'Henri, et réciproquement. La rumeur était donc fausse ? La vox populi aurait grossi les traits ? Peu à peu, tous les éléments tangibles et crédibles de l'accusation tombent et ne résistent pas à l'examen auquel l'auteur les soumet. Tout était manipulé, orienté, on a un peu forcé pour que le cube entre dans le cercle. Finalement, le jury ne s'est peut-être pas autant trompé que l'on croyait. Et le comportement d'Henri Girard devenu Georges Arnaud s'explique : son cynisme, ses provocations, son insolence ne sont que les fruits laissés par un emprisonnement injuste (19 mois de prison, sous l'Occupation, n'est pas anodin, hors Occupation non plus soit dit en passant), une innocence bafouée, une réputation traînée dans la boue, mais surtout, un mystère non résolu, un crime impuni. Henri Girard est moins un sale type qu'un écorché marqué par l'injustice.

Mais un crime sans réponse, n'est-ce pas un peu frustrant pour un lecteur ? N'ayez crainte, l'hypothèse formulée par Philippe Jaenada prend le relais et ne vous laissera pas sur votre fin. Après avoir percé à jour les rumeurs, les petits arrangements et autres rancoeurs de classe, après avoir exposé les erreurs, la mauvaise foi et la paresse de l'accusation, il propose une théorie fascinante et crédible, basée sur une recherche minutieuse et presque maniaque. Au lieu de retracer le simple récit de l'histoire officielle, comme cela avait été le cas pour Sulak et La Petite femelle, l'auteur semble prendre à coeur de réhabiliter la mémoire de Henri Girard/ Georges Arnaud.
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Je traine un remords depuis un moment. Et il concerne Philippe Jaenada. Auteur d'un livre, La Petite femelle qui m'avait estomaqué l'année dernière ou celle d'avant (ma mémoire des dates est une catastrophe). C'était l'époque où je débutais un peu sérieusement niveau critique littéraire. Je m'étais laissé convaincre qu'il fallait faire des vidéos, qu'on s'y faisait des fortunes et que mes chroniques passeraient mieux auprès d'un public qui était plus attiré par les images qui bougent que par mes articles fleuves. Alors je lui en avais consacré une.

Or c'était précisément le genre de mec qui aurait mérité un article fleuve. Un écrivain, un grand, un bon. Un qui m'avait vraiment impressionné lors de la lecture où je l'avais découvert, par ses digressions absolument irrésistibles, ses parenthèses vertigineuses, et un humour insolent, un esprit malicieux alors qu'il traite de choses absolument tragiques. Mais quand je l'avais croisé, je ne l'avais jamais lu et je ne le connaissais pas. En fait je lui ai dit un truc foireux sur mon amour du mélange des genres. Il a souri, ça lui a fourni matière à dédicace. En vrai, il m'avait collé au plafond, mais ayant la distinction et la retenue d'un lord anglais ou la timidité d'une vierge effarouchée (même si j'ai tendance à privilégier la première hypothèse), je ne lui avais pas trop dit. Et encore moins écrit. Sauf dans cette vidéo un peu bancale, mais profondément sincère, qu'à l'époque, il m'avait dit avoir appréciée fort.

Sauf que moi je savais que je pouvais faire mieux. Et j'ai la mauvaise conscience têtue. C'est le genre d'homme qui me plait, il a l'oeil qui frise (enfin je ne le connais pas tant que ça, mais je l'imagine, son regard, en le lisant), cet esprit à la Brassens ou à la Goscinny, discrètement et constamment irrespectueux. L'un de ceux avec qui on voudrait discuter, boire un pot. A l'approche de la sortie de la Serpe chez Julliard, il m'écrit pour me demander mon adresse et pour m'envoyer son roman. Moi je souris comme un gosse le matin de Noel quand je reçois mon bouquin et je le brandis comme un oscar. Je m'écrie dans ma tête (pour ne pas inquiéter mes proches) : « A nous deux, Philippe ».




Ça commence par un sourire. le sourire estampillé Jaenada. le mec qui vous prend à contrepied d'emblée. Et qui vous fait pouffer à intervalles réguliers. On ouvre le livre comme on retrouve un ami. Et pas en très bonne posture, puisque son voyage vers le Périgord est contrarié à cause d'un voyant allumé sur le tableau de bord de sa voiture de location. Un pneu risque d'éclater, d'après la notice du véhicule. Forcément, ça rend soucieux. Mais que fait-il ainsi lancé sur la route, cet aventurier ?

Dans l'un de ces flashbacks dont il a le secret, il nous parle de son ami Manu, rencontré à la sortie de l'école de son fils, Ernest. Celui-ci disait à l'écrivain que la vie de son grand père, Henri, pourrait fournir le sujet d'un beau roman. Philippe n'était pas très chaud. Il ne voyait pas comment s'attacher à cette histoire. Mais pourtant, il va peu à peu s'intéresser à cette famille, les Girard, et au drame qui l'a frappée, un meurtre sanglant et absolument barbare, un massacre à la serpe, dont il paraît que le Château d'Escoire où il a eu lieu garde encore la mémoire très vive. Je dinais hier soir avec des amis à la terrasse incongrue d'un hôtel Mercure dans le 18ème. L'un d'entre eux était originaire de ce coin-là et lisait justement ce bouquin (il tenait une maison de la presse et partageait avec moi le privilège de lire les bouquins un peu avant leur sortie). On a fini par en faire la présentation enflammée à deux voix devant nos amis attentifs, par l'un de ces jolis hasards que la vie réserve parfois. Et il me disait que ce crime était incroyablement célèbre là-bas.

Moi je ne regarde jamais « Faites entrer l'accusé », je lis assez peu de polars et les faits divers m'emmerdent. Je suis totalement à l'opposé de quelqu'un qui s'intéresserait aux personnages de Philippe Jaenada (Sulak, Pauline Dubuisson ou Henri Girard ici). Il a fallu que je me fasse violence pour m'intéresser à l'affaire Grégory, et seul un documentaire monumental consacré à O.J Simpson, récemment diffusé sur arte, m'a un peu concerné. Parce qu'à la lumière de ces affaires, j'ai réalisé qu'un crime ne renvoyait jamais vraiment à une chose particulière et isolée, mais qu'il était presque un instantané du monde, de la société et du moment où il a été commis. Et ce qui m'avait passionné dans La Petite Femelle, c'était ça : une incroyable fenêtre sur l'occupation et ses démons, le portrait d'une communauté, d'un état d'esprit. Il y a des livres qui restent comme ça : comme des compréhensions du monde et des dimensions en plus. Des moments où on a changé d'avis, où on a réfléchi. C'est pas si souvent qu'on est ainsi stimulés.

Parce que le coeur du livre, c'est ça : Henri Girard a été d'emblée soupçonné du crime (dont les victimes furent son père, sa tante et leur bonne dévouée, Louise). Il est le coupable idéal. Un panier percé. Un type totalement irresponsable, antipathique, incontrôlable, vivant aux crochets d'un père trop bon, d'une famille qui se désole de ses mauvaises manières et des femmes instables qu'il aime et avec qui il a des relations absolument orageuses. C'est un enfant terrible, provocateur, violent, dont on a le sentiment qu'il est irrécupérable assez tôt, juste après la mort prématurée de sa mère, une roturière pas du même milieu que son père. Ce dernier a eu bien du mal à se remettre de la disparition de cette belle Valentine qu'il adorait. C'était une gauchiste lettrée, emportée trop tôt par la tuberculose. Les deux hommes resteront marqués par ce deuil. C'était une grande famille, avec un nom en vue, presque aristocratique. Henri, à lui tout seul, est l'oiseau de malheur qui va totalement la ruiner, dilapidant son patrimoine avec toutes ses excentricités. Son père, Georges, est un ancien poilu, un type bien. Il va, à contrecoeur, rejoindre le gouvernement de Vichy. Un homme brave et aimant qui le tirera de bien des faux pas, même si le père et le fils mettent du temps à savoir se parler.

A la lecture, on les connaît. On est dedans. On les devine. On s'attache à eux. Sauf à Henri d'abord. Que va t'il encore inventer ? de quel désastre va t'il falloir le tirer ? C'est un noceur. Un peu à l'image de l'un des frères Karamasov (Dmitri, je crois), incontrôlable. On pourrait facilement le condamner, le vouer aux gémonies et passer à autre chose. Parce qu'après tout, une condamnation, c'est bien ce qu'il mérite. Les croquants veulent dormir tranquilles. Sauf que la réalité n'est jamais si simple, ni la vérité si simpliste. Il n'y a que dans les livres ou dans les films, même très bons, que l'on peut se contenter d'archétypes.

Je crois que ce que j'aime par dessus tout chez Philippe Jaenada, c'est qu'il parvient à faire entendre cette subtilité comme personne. Ce « minute, papillon », comme dirait ma grand-mère. Il est de ceux qui se méfient des bons citoyens qui vont condamner trop vite et vont beugler « A mort » à la sortie des tribunaux. Il y a tant d'idiots qui ont la guillotine leste et l'explication toute faite. C'est vrai que c'est simple et que ça rassure. Bien souvent, je les envie, les militants, les convaincus (en un mot ou en deux, comme vous voudrez).

Son habileté dans un premier temps c'est de vous raconter la vie d'Henri Girard, telle qu'elle a été perçue par ses contemporains. Et vous convaincre que déjà il est un personnage fascinant, et surtout qu'il a bien eu de la chance d'avoir un si bon avocat (Maurice Garçon, un ami de son père, de surcroit, persuadé de l'innocence de son client et qui va retourner l'opinion des juges pendant le procès). On le voit devenir l'auteur d'un grand succès littéraire le Salaire de la peur, sous le pseudonyme de Georges Arnaud, adapté au cinéma par Clouzot avec la fortune que l'on sait. Amusant de constater d'ailleurs qu'à nouveau Jaenada croise Clouzot puisque c'est lui qui avait également évoqué Pauline Dubuisson, en biaisant à jamais le portrait pour la postérité dans La Vérité (avec Bardot du temps de sa splendeur).

Henri aura donc échappé à son châtiment de justesse et aura mené une vie curieuse, errant jusqu'à la ruine en Amérique du Sud, se réinventant (avec le prénom de son père et le nom de sa mère) dans le Paris littéraire, finissant par être un journaliste respecté, alertant notamment sur les conditions de détention en France. Et ne reparlant jamais de cette affaire qui l'a marqué au fer rouge, et dont on sent que pour tout le monde, il porte la responsabilité.

J'arrive à la moitié du livre un peu perplexe. Je me dis que c'est étrange quand même. J'ai le sentiment qu'il m'a déjà raconté toute l'histoire. J'ai mon intime conviction. C'est bon, on délibère et on se demande ce qu'on va manger ce soir.

Et là, Philippe Jaenada me sidère. Il revient sur l'affaire minutieusement. Minute par minute presque. Détail par détail. Il reconstitue le crime. Va tout interroger. Et va véritablement à la manière d'un inspecteur Columbo, loufoque, maniaque et minutieux, nous plonger dans les méandres de cette histoire et nous faire questionner absolument toutes nos certitudes, en analysant scrupuleusement tous les éléments qu'il va débusquer. Et on ne survolera rien. On ne détournera pas le regard. On connaitra le château où s'est déroulé le meurtre, jusque dans ses moindres recoins, dans un fascinant cluedo. On ne renâclera pas devant la quête et la recherche d'une vérité extrêmement pointue à travers les archives.

C'est la première fois je crois que j'ai suivi une affaire d'une manière aussi concentrée, aussi concernée. Ce matin au petit déjeuner, alors que je parlais de ce livre à mes parents au-dessus de mon café au lait (je sais animer les matins), je disais que finalement c'était ainsi qu'on devrait nous livrer les informations. D'une manière extrêmement détaillée pour nous éduquer, nous forcer à revenir sur nous, notre expérience même. Car ce crime ou sa condamnation ressemble aussi au ressentiment des gens du commun contre les fous ou les artistes, les différents, les pas alignés, dans le sillage desquels on trouve toujours des murmures suspicieux. Cette rivalité, ancestrale, absurde et tenace, cette haine de la province et la campagne (je le sais, j'y suis né) contre Paris, cette hostilité des paysans contre les châtelains. Et puis bien-sûr , la guerre, l'occupation qui rend toutes les apparences absolument trompeuses, les souvenirs troubles et les silences lourds.

Alors on le suit dans les archives, ce vieux Philippe… oui j'ai vraiment du mal à l'appeler juste « Jaenada », comme le ferait quelqu'un de respectable et sérieux, je l'aime bien. Songez qu'après tout je l'ai un peu accompagné, j'ai partagé son obsession, son sens du détail et de la précision. Ses exégèses délirantes notamment sur le Club des cinq. Il m'a fait marrer souvent. Et puis il me touche moi, son côté redresseur de torts, justicier. C'est un peu un super-héros quoi. Un détective. Et puis j'aime bien, mine de rien, retrouver son petit monde, ses clins d'oeil, sa femme Anne-Catherine, son regard assez tendre finalement sur les errances de ses semblables. Même lorsqu'il les prend en flagrant délit de mensonge.

Faut que j'abrège, je sens que je suis long. Mais un truc m'a ému aux larmes. Sa peinture des rapports père-fils. Peut-être parce que je l'aime, mon père. Parce que d'une manière ou d'une autre dès que je vois ça, ça me bouleverse, je sais pas pourquoi. Et quand il parle de son fils Ernest (ce paragraphe où il le laisse fumer ses premières clopes sans le réprimander est absolument bouleversant), quand il parle de la correspondance tendre et émouvante entre Henri et son père, c'est vibrant, c'est superbe. Et c'est quelque chose d'essentiel.

Finalement il touche à quelque chose de profond et d'intime. Au rapport qu'on a avec la vérité. C'est notre regard, notre point de vue qu'il interroge méthodiquement. Cette manière de parler de gens qui ont vécu, même trop, même mal. de ceux qu'on juge et qu'on condamne souvent un peu trop vite, un peu trop simplement. Ceux qu'on réduit parfois à des notes de bas de page dans des ouvrages obscurs que le temps balaie vite.

Philippe Jaenada permet de ressentir le poids de ces destins là. Il vous fait entendre la densité et la complexité de ces voix éteintes. Ces noms sur lesquels on passe dans un documentaire ou dans un cimetière sans savoir vraiment qui c'était, ce qu'ils ont vécu. Ce livre nous les remet en mémoire, très fort.

D'un coup, on les connaît un peu.
On sait un peu qui ils sont.
Et ça change absolument tout.
Lien : http://www.nicolashouguet.co..
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Je n'ai pas pu terminer ce roman. Au bout de 184 pages, j'en ai eu assez des parenthèses simples, doubles ou triples,, des moments où l'auteur se met en scène de façon complaisante, des allusions à d'autres romans ou à des personnages qui me sont totalement inconnus (je n'ai pas toute la culture de l'auteur !). le sujet m'intéressait pourtant mais par pitié que de digressions insipides. C'est la deuxième fois que je renonce à terminer un roman ; j'en lis pourtant presque une centaine par an.
Lien : https://jean-louis.belet@ora..
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Je ne reviens pas sur l'histoire largement commentée par d'autres lecteurs, j'ai apprécié ce livre mais j'ai trouvé des longueurs, le voyage en Meriva et ses problèmes de pneus, n'amène rien à l'histoire, les états d'âme de l'auteur non plus, par contre, j'ai apprécié de connaître la vie de ce Henri Girard et l'histoire du "salaire de la peur", j'ai eu envie d'en connaître plus sur cet homme aux "deux visages".
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Philippe Jaenada revient sur une affaire policière de 1941: un triple meurtre sordide commis à la serpe et dont fut inculpé le futur auteur du roman “Le salaire de la peur”. Au fil d'une enquête minutieuse, agrémentée des habituelles digressions humoristiques de l'auteur, le roman lève le voile sur ce procès d'un coupable idéal. Prix Fémina 2017.
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Avec La Serpe, découvrez le destin extraordinaire de Henri Girard, né en 1917. Un jeune homme solitaire et dépensier devenu par la suite un adulte incapable de supporter la moindre injustice, en particulier vis-à-vis de ceux qui peuvent difficilement se défendre. Entre ces deux extrêmes, une constante : Henri est un être compliqué. Colérique et tendre, égoïste et généreux. Il deviendra un célèbre écrivain sous le nom de plume de Georges Arnaud après la publication de son premier roman : le Salaire de la Peur.

Mais un événement va marquer sa vie alors qu'il n'a que 24 ans : des meurtres sanguinaires dont le vrai coupable reste encore aujourd'hui un véritable mystère.

En 1941, Henri Girard mène une vie de farniente même si sa situation financière ne le lui permet pas. L'argent que lui envoie son père Georges et qu'il extorque à sa tante Amélie ne suffit plus. Il s'apprête à divorcer de sa première femme et convoite déjà la suivante lorsqu'il retourne au château d'Escoire, le domaine familial, pour y voir Georges et Amélie. Au matin du troisième jours, Henri découvre les cadavres horriblement mutilés d'Amélie, de Georges et de Louise, la bonne. Toutes les issues du château étant fermées de l'intérieur, le jeune Henri devient du jour au lendemain riche, et accusé de meurtres.

Contre toute attente, c'est Maurice Garçon, superstar du barreau et grand ami de Georges Girard, qui défendra Henri durant son procès. Il en est persuadé, condamner Henri pour le meurtre de son père serait la pire erreur judiciaire à laquelle il aurait jamais assisté. Au cours d'un procès qui fera le bonheur de la presse à scandale, la vie dissolue de notre pathétique héros est traînée dans la boue : ses relations tumultueuses avec son père et sa tante, ses colères noires, sa folie dépensière, son besoin constant d'argent. Et pourtant, malgré les conclusions accablantes de l'accusation, le jury déclarera Henri non coupable, après une délibération de seulement 10 minutes.

Henri est donc libéré, au mépris de l'opinion publique qui n'a aucun doute sur sa culpabilité. Et pourtant, Philippe Jeanada, après avoir calmement avancé tous les arguments utilisés contre lui durant son procès, va mettre la main sur des documents privés de la famille Girard. Lettre après lettre, une autre vérité s'installe. Et si Henri n'était pas l'être abominable que l'on a décrit ? Et si Maurice Garçon avait raison en clamant son innocence ? Mais alors, qui a tué les Girard ? Philippe Jeanada va se lancer dans une nouvelle enquête, plus de 70 ans après les crimes, et avancer une nouvelle hypothèse, troublante tant elle est crédible.

Le style est étonnamment fluide pour un compte-rendu aussi détaillé de la vie de Henri Girard. Tout comme pour ces précédents romans, Philippe Jaenada se met en scène en train d'écrire, le tout avec beaucoup de dérision. C'est un art de pouvoir parler avec autant d'humour d'un fait divers aussi sanguinaire. Et pourtant, l'auteur s'en sort au la main et reste dans un équilibre parfait entre plaisanterie, digressions et sérieux tout au long du récit.
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Un pavé que j'ai trouvé indigeste sur l'horrible crime d'Escoire dont a été accusé Henri Girard auteur du "Salaire de la peur" sous le pseudonyme de Georges Arnaud.

Le récit est remarquablement documenté et on ne peut qu'admirer le minutieux travail d'analyse auquel s'est livré l'auteur.

Mais le lecteur est submergé par trop de détails minutieux, trop de digressions sans rapport avec le sujet, trop de parenthèses à plusieurs niveaux (dignes d'un code informatique), trop de longueurs et de répétitions.

J'avoue ne pas avoir pu en finir la lecture mais peut-être suis-je un lecteur trop pressé. J'aurais préféré un récit plus romancé, plus direct et plus percutant débarrassé de la description des pérégrinations de l'auteur dans le Périgord qui parasitent inutilement le récit; mais je comprends que beaucoup aient apprécié au contraire la forme du livre et ce parti pris de l'auteur à s'inviter dans l'action.
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Il faut du temps et de la concentration pour lire ce livre tant il fourmille de détails, de noms et de dates. Mais quel plaisir, un vrai régal!! On est plongé dans les années 40 dans le Périgord dans ce château dont on finit presque par connaître le plan par coeur!
On vit au rythme des recherches de Philippe Jaenada, ses digressions personnelles sont une bulle d'air et d'humour. C'est là qu'il est le plus drôle et le plus pertinent . Personnellement j'ai vraiment adoré ce livre qui m'a donné envie de lire d'autres livres du même auteur que je ne connaissais pas.
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