Je remercie les éditions Pygmalion – ainsi que Sarah – pour cette magnifique réception ! Dès que j'ai vu la couverture et lu l'accroche, j'ai su qu'il me fallait ce roman. Ça n'a pas l'air comme ça, mais j'ai des périodes où j'aime me plonger dans des drames contemporains ; ça me ramène un peu les pieds sur terre, après toutes les histoires de fantasy et fantastique que je lis. En plus, c'était l'occasion rêvée pour découvrir l'auteur dans un contexte moins imaginaire, sachant que j'étais ressortie mitigée des Étoiles de Noss Head. En fait, après avoir refermé cette petite perle, j'ai eu un mal fou à passer à autre chose.
Quand la nuit devient jour m'a littéralement transportée !
Camille, presque trentenaire, raconte son parcours, une succession de cauchemars toujours plus envahissants. Bien entourée, choyée, désirée, elle n'en demeure pas moins détachée de son existence et combat ce corps qui la révulse avec la plus grande énergie. Car Camille ne s'aime pas. Littéralement. Et cette souffrance remonte à son enfance, où déjà, elle ressentait un mal-être dévorant. La jeune femme somatise (c'est-à-dire que sa souffrance psychologique a des répercussions cliniques : elle souffre de douleurs abominables). Entre les crises de boulimie, d'anorexie, d'automutilations, de dépression profonde et de tentatives de suicide… C'est devenu trop pour elle.
Plus les années passent, et plus Camille s'aperçoit que la seule issue qui s'offre à elle est la mort. Elle prend alors une décision irréversible et lourde de conséquences : passer par le suicide médicalement assisté. Elle intègre donc un centre spécialisé, dans lequel elle sera suivie par un psychiatre jusqu'au jour J, le 6 avril 2016.
J'écris cette chronique avec les réminiscences de mes émotions de cette nuit. J'ai ouvert ce livre et me suis retrouvée dans une spirale infernale, incapable de m'en détacher jusqu'à la fin. J'ai eu peur de retrouver la substance de
Avant toi par
Jojo Moyes, ou encore
Je vous demande le droit de mourir, l'histoire véridique de
Vincent Humbert. Heureusement,
Sophie Jomain a très bien su sortir son épingle du jeu.
L'histoire commence avec un long prologue qui nous explique les grandes lignes du parcours de l'héroïne, du début de son combat jusqu'à sa décision de mourir. Ce prologue m'a fascinée, même s'il était carrément déprimant. Il est puissant et extrêmement effrayant, d'une certaine manière. L'héroïne est prisonnière de son propre corps. Ses démons intérieurs ne lui laissent jamais de répit. Dans ce prologue, on assiste à sa descente aux Enfers, avec des habitudes alimentaires qui font le yoyo et des instants d'accalmie pour mieux replonger par la suite. J'ai été soufflée par cette entrée en matière peu.
Dans ce roman,
Sophie Jomain a misé sur un réalisme incisif, qui m'a beaucoup impressionnée. J'ai moi-même travaillé dans des services psychiatriques accueillant des personnes souffrant de troubles du comportement alimentaire et de dépression ; j'ai trouvé qu'elle avait très justement dépeint ce milieu. le récit est tout en justesse. Il y a beaucoup de recherche, c'est creusé, bien manié et je n'ai décelé aucune fausse note.
La plus grande problématique reste ce désir de se donner la mort. La décision de Camille est prise, et elle ne compte pas dévier d'un iota. La mort est, à ses yeux, sa porte de sortie. Elle la vit comme une délivrance, une conjuration. Sa maladie la tourmente, l'engloutit et la dévore, alors quelle option lui reste-t-il ?
Mes émotions se sont entrechoquées, créant dans mon esprit un triste méli-mélo. J'ai moi-même un proche qui s'est donné la mort, et je dois admettre que ça a éveillé en moi des sentiments très puissants et difficiles à réfréner. D'abord, de la colère. On se dit que l'héroïne est égoïste. Ses parents lui ont donné la vie. Ils l'adorent, la soutiennent contre vents et marées depuis de longues années, sans jamais faillir. Et elle, cette vie, elle la piétine. Elle a la stabilité, l'amour, les proches, le confort... Mais son désir de disparaître l'emporte sur le reste.
Oui, je lui en voulais, je la trouvais ingrate et inconsciente de la chance qu'elle avait. Qu'elle abandonne alors que d'autres se battent pour vivre, n'est-ce pas un triste paradoxe ? En même temps, je culpabilisais de penser ainsi, moi qui ai toujours assumé ma position au sujet de l'euthanasie. Pour ça,
Sophie Jomain est une magicienne, elle a su éveiller en moi des contradictions que je ne soupçonnais même pas.
C'est là que ça devient intéressant, parce que quelque part, je ne pouvais pas m'empêcher de compatir au mal-être qui ronge Camille comme une gangrène. Sa vie n'est plus qu'un trou béant dans lequel elle chute sans jamais en voir le fond. On se dit qu'effectivement, il n'y a pas 36 solutions pour la sortir de cet enfer. Et si la mort pouvait être cette solution ?
Camille est comme un petit animal craintif et inapprivoisable. Elle a le sentiment de ne pas appartenir à ce monde, de ne pas y avoir sa place. Une phrase en particulier m'a bouleversée. Je l'ai trouvée magnifique dans sa vérité, parfaitement en adéquation avec les pathologies psychiatriques que certains ont du mal à supposer, même à notre époque et dans notre société :
« Les maladies incurables sont généralement visibles à la longue, mais la mienne est sournoise. Elle se cache et donne l'illusion de ne pas exister. Elle est pourtant bien là, chaque jour, chaque nuit. Elle court dans mes veines comme un poison et insuffle à mes poumons un air irrespirable. »
Finalement, c'est délicat de porter un jugement sur la décision de Camille. Puis ce roman a le don d'écorcher les émotions à vif. Il n'est pas là pour nous conter une petite histoire mignonnette, mais pour nous amener à comprendre la complexité de la situation de Camille.
Cette décision de se faire euthanasier, c'est aussi le combat qu'elle mène, avec beaucoup de courage. Car il faut être capable d'affronter sa famille, sa colère et ses larmes. Les gens autour d'elle sont animés de bonnes intentions, mais ne réagissent pas toujours de la manière qu'elle espérait. Sa mère passe par la case évitement, puis acharnement thérapeutique. Elle est prête à en arriver à toutes les extrémités pour l'empêcher de commettre l'irréparable. Son père est en plein dans le déni et se persuade intérieurement que l'espoir est toujours permis. Mais peut-on retirer le droit de mourir à une personne qui souffre?
La romance, quant à elle, m'a totalement transportée. Je n'en dirai pas beaucoup plus à ce sujet pour ne pas gâcher le plaisir des potentiels futurs lecteurs, mais ces instants m'ont mis beaucoup de baume au coeur. Ils étaient comme suspendus dans le temps. Même si en arrière-plan, le compte à rebours continue de s'égrener.
En résumé,
Quand la nuit devient jour est une claque, un charivari d'émotion qui nous explose au visage. L'histoire est intense et puissante, les sentiments grimpent crescendo, pour nous laisser sans force – presque apathiques – dans les dernières pages. Avec une sensibilité peu commune,
Sophie Jomain nous confronte à nous même.
Quand la nuit devient jour ne fait que 238 pages, une parenthèse dans une vie, mais il a l'impact d'un coup de massue.
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