Les leçons de morale et les emportements de
Jean-François Kahn m'ont longtemps agacé. Cette personnalité médiatique se voulait impliquée en politique, mais « à part ». Pas à droite, évidemment. Pas à gauche, quoique. Aucune affinité non plus avec les partis ou les hommes politiques se disant centristes. Bref, une position confortable, lui permettant de distribuer bons points, mauvais points et images pieuses sans risquer de se faire taxer de subjectivité partisane.
On retrouve cette inclinaison au fil de ses mémoires. Il a honte de s'avouer gaulliste, même s'il approuve régulièrement la politique et les choix du Général. Il a été brièvement membre du parti communiste, on ne sait pas très bien pourquoi. Il se dit « social » et « démocratique » et se montre révulsé par la « trahison social-démocrate ». Il se définit comme réformiste, antifasciste, républicain, ce qui n'engage à rien.
Ce premier tome démarre sur d'intéressantes considérations sur le thème de la mémoire, sur l'épuration des souvenirs et la surprenante recomposition de l'histoire. Cependant la suite déçoit.
Jean-François Kahn se disperse entre sa carrière journalistique (brillante), ses voyages, ses opinions fluctuantes, des portraits (souvent indulgents et parfois grinçants), de discutables considérations politiques voire philosophiques… En dépit des conditions parfois aventureuses de ses activités, tout ceci n'est pas forcément passionnant. Sa posture de spectateur engagé dessert le récit. En dépit d'une autodérision allègrement pratiquée, c'est rarement drôle. Par ailleurs son style est parfois malheureux : les phrases sont souvent trop longues et alambiquées voire incompréhensibles, les énumérations interminables surabondent, le vocabulaire détonne de temps à autre, ainsi quand il parle d'esgourdes, de piaule ou de se carapater. Il confond enjoindre et adjoindre, préposé et proposé et a des problèmes avec la conjugaison d'interdire.
Par ailleurs ce livre fourmille d'erreurs et aurait mérité une sérieuse relecture. Kahn se trompe sur l'enlèvement d'Argoud, sur le SAC et la lutte anti-OAS, sur les fréquentations des Pompidou, sur la ridicule assimilation des islamo-palestiniens à la « gauche » et des chrétiens libanais à la « droite ». Il fait des raccourcis hasardeux quand il voit dans la situation politique actuelle le produit d'événements vieux de cinquante ans. Il se trompe quand il attribue hâtivement la montée du Front National à la « radicalisation » de la droite. Il dit n'importe quoi quand il évoque un « stalinisme de droite ». Évoquant les suicides d'hommes politiques, il confond Mauroy et Bérégovoy.
Plus surprenant, Kahn multiplie les confusions quand il parle de la chanson, dont il fut pourtant l'un des spécialistes audiovisuels: « Si j'avais un marteau » est une adaptation de
Pete Seeger et non de Donovan, « J'ai ma combine » est une chanson de Georges Milton et non de Ray Ventura, « Petite fille de français moyen » n'est pas une « profession de foi anti-mai 68 » vu que ce disque de Sheila est sorti avant les événements, Nougaro a chanté « Paris mai » et non « Mai, joli mai », Dalida est décédée en 1987 et pas avant.
Souhaitons entre autres que
Jean-François Kahn fasse preuve d'une plus grande rigueur dans le tome 2.