Petite pause OLNI au milieu de lectures plus classiques. Toute petite pause. le temps de lire « Cher
Michel Deguy, », le court texte que l'artiste peintre et poète
Jérôme Karsenti a publié chez Art et Fiction en août 2021.
Dix-huit pages. Noires. Epaisses. Couvertes de gros caractères blancs. En couverture, une baignoire. Vide. Elle semble attendre l'auteur de cette lettre adressée à
Michel Deguy, poète, essayiste et traducteur français. Une lettre confession. La confession d'une obsession.
Jérôme Karsenti est littéralement obsédé, au sens premier du terme : c'est à la fois son esprit et son appartement qui se trouvent assiégés par l'écriture de
Michel Deguy jusqu'à bientôt l'isoler complètement, quand les cartons pleins des milliers d'exemplaires de textes de Deguy formeront barricade pour l'empêcher de sortir de chez lui.
La baignoire de Karsenti est le trou de serrure par lequel il « observe » en continu Deguy. Plongé dedans, il capte, par la tuyauterie, les sons, les vibrations qui émanent de l'appartement du dessous où vit l'objet de sa fixette. À en croire Karsenti les mots de Deguy, son écriture, ses conversations, ses pensées méritent toute l'attention qu'il voue à la tuyauterie qui devient finalement l'éphémère autobiographie d'un poète inconscient d'en être l'auteur.
Le court texte de Karsenti se lit avec aisance, il se dévore, plongé que l'on est dans l'esprit de l'obsédé, embourbé dans cette admiration sans borne, englué dans ses peurs, frustré par la brièveté alors qu'on aimerait connaître la réaction de Deguy, ou l'avenir de cet admirateur qui n'en est visiblement pas à sa première « victime ». C'est un hommage à l'écriture de Deguy à la fois malaisant dans ce qu'il a d'excessif et touchant dans ce qu'il évoque du pouvoir des mots, des sons, du génie d'un auteur. L'écriture est passionnée, on ne prend pas le temps de sauter des lignes, on écrit gros, on s'étale (quitte à faire tenir sur 18 pages ce qui tiendrait en deux) comme un exhibitionniste s'expose, excité par l'interdit, il faut se livrer, avouer, avec toute la jubilation du fanatique à la pensée d'entrer en contact avec son idole par les mots. le texte est simple et court, intense et enflammé, l'oeuvre, à n'en pas douter, d'un artiste passionné.