Son regard revint sur les tombes, comme pour les graver dans sa mémoire. Puis, enfin, il s’en détacha et partit sans un regard en arrière. Pour le moment, la première chose qu’il devait faire, c’était de se trouver un cheval.
Il ne lui fallut que quelques kilomètres pour s’en dégotter un. À chaque humain, un cheval y était associé, ou presque.
— Ton cheval ! ordonna Emrith à l’homme qui le chevauchait.
Il s’était placé devant lui, de sorte à lui barrer le passage.
— Va donc t’en acheter un, pouilleux, répliqua le cavalier en tirant sur les rênes pour inciter l’animal à le dépasser.
Sans crier gare, un éclair vint percuter l’homme et le renversa de son cheval. Hébété, le cavalier se retrouva à gésir au sol, ne sachant plus s’il devait dévisager Emrith ou le trou béant qui lui perçait l’estomac.
— Ce fut un plaisir de faire affaire avec vous, dit Emrith en enfourchant sa nouvelle monture.
Puis, il enfonça brutalement le talon dans le flanc de l’animal. Dans un nuage de poussière, celui-ci s’élança dans un galop effréné, laissant derrière lui son ancien maître agoniser sous un soleil de plomb et un sol caillouteux.
Lui-même n’était pas devenu commandant en faisant dans le sentiment. C’était le résultat d’une ambition calculée, d’une détermination, d’une croyance infaillible en ses capacités, qui l’avait mené là où il en était, pour se retrouver, à vingt-sept ans, à commander des hommes plus âgés que lui. Il avait eu le temps, en cinq ans, de s’apercevoir que le poste tant convoité recelait de désillusions, de frustration, d’un pouvoir qui ne lui appartenait pas vraiment. C’était comme tenir des rênes effilochées, prêtes à céder au moindre mouvement trop brusque. Mais il avait obtenu ce dont, au final, peu d’officiers pouvaient se targuer auprès de leur armée : on le respectait. Et c’était sur ce respect qu’il comptait pour découvrir les sombres secrets qu’abritait la province.
Pleine de ressentiments, Onora jeta sa coupe à travers la pièce. Le vin se déversa sur les luxueux tapis comme des taches de sang.
Le roi ne l’avait jamais aimée. Elle voyait clair, à présent. Elle avait renoncé à tout pour lui, s’était bannie de sa propre famille en refusant de le tuer comme son père le lui avait ordonné. Elle lui avait donné un fils, un héritier. Et rien de tout cela ne lui avait fait atteindre son cœur. Parce qu’il n’y avait jamais eu de place pour elle.
Elle n’était qu’un faire-valoir, un traité de paix entre deux provinces ennemies, un corps pour accoucher d’autant de marmots qu’il lui serait possible.
Voilà ce qu’elle était pour le roi.
Se redressant, Onora lissa sa robe et afficha son plus beau port altier. Peut-être n’était-il pas trop tard pour réaliser les vœux de son père, après tout. Et peut-être Alexandre accepterait-il de l’y aider…