Douglas Kennedy, en constatant la radicalisation d'une fracture culturelle qui divise actuellement les Etats Unis, imagine à quel désastre cela pourrait aboutir à très brève échéance, en 2045. Soit une véritable sécession, avec d'un côté la Communauté Unie (CU), ensemble d'états centraux réactionnaires rassemblés dans une théocratie où les Douze Apôtres font la loi, et de l'autre la République Unie (RU), qui rassemble les côtes est et ouest, aux apparences plus progressistes mais finalement aussi totalistariste, avec une surveillance quasi orwellienne : un technocrate « visionnaire », Chadlin, ersatz d'
Elon Musk, y a pris le pouvoir et a imposé des puces greffées dans le cerveau des individus, qui enregistrent toute vie privée. Une zone neutre (ZN) complète cette géographie, en l'occurrence la ville de Minneapolis, coupée en deux vitrines « culturelles » des CU et RU, à la façon du Berlin de la Guerre froide. Pour ce qui est du reste du monde, l'Europe (sauf l'Allemagne) a viré au fascisme et la Fédération russe est devenue le laquais de la Chine, qui a envahi Taiwan.
On a donc un décor aux accents du « Maître du Haut-Château », de
Philip K. Dick, avec cette dystopie d'une Amérique divisée en deux versants irréconciliables, des réminiscences de « 1984 », voire de « La Servante écarlate » : en CU, on subventionne les femmes au foyer et on taxe les couples qui sortent de la norme évangéliste, c'est-à-dire LGBT ou racialement mixtes, et le sexe est proscrit hors mariage.
Cet antagonisme, véritable haine entre CU et RU, est raconté à la première personne par Samantha Stengel, brillant agent des services secrets de la RU, qui vient d'assister à l'exécution au lance-flamme et télévisée de son principal indic, un humoriste transgenre, enlevé par la CU. Samantha, qui a sacrifié toute vie privée pour son métier, va devoir répliquer et s'infiltrer en zone neutre pour éliminer une cible très particulière et qui la concerne de près. C'est à ce moment que le livre prend davantage la forme d'un thriller d'espionnage : les pièges les plus sophistiqués peuvent surgir de partout, et un parfait contrôle de soi est exigé pour ne pas être rétrogradé. L'auteur insiste d'ailleurs sur cette perte de l'intimité, qui aurait débuté avec l'émergence d'Internet, et sur la solitude des individus (toute vie de couple est interdite à Samantha, et les individus ont l'interdiction de se croiser dans les parties communes des immeubles).
Si cette évolution, façon
John le Carré, est bien ficelée, elle prend le pas sur le postulat de départ, sur les raisons d'une dérive du continent américain balancées pêle-mêle dès le début, qui auraient méritées d'être analysées de façon plus minutieuse. le scénario de la sécession est hélas plausible, mais l'auteur ne fait qu'utiliser habilement des tendances déjà connues. «
Et c'est ainsi que nous vivrons » reste un livre captivant, plutôt dans les genres thriller paranoïaque et anticipation.