Changer ? On y pense … mais n'est-ce pas un jeu, quand on y pense sérieusement ? Sinon pourquoi lire une page de plus d'un livre qui a la prétention inouïe de « changer votre vie ».
Préparons-nous à laisser fuir le verbe être, lui rendre sa subjective et absolue liberté. Rire de son repli identitaire, de sa « plus-value » sociétale, de son statut de définition objective, de l'universalité du sens.
C'est un appel à l'intempérance, direz-vous ? Oui, si celle-ci veut dire maintenant amour et courage.
On n'enlèvera pas à leurs auteurs japonais, d'avoir écrit une déclaration d'amour à la philosophie occidentale. Et c'est déjà un bonheur de revoir la philosophie se jouer comme une fiction, sous la forme d'un dialogue.
Ces auteurs japonais veulent en effet retrouver le style « étonnamment relâché » des dialogues platoniciens. Et moi, je trouve leur dialogue actuel plus relâché encore, car sans trace d'une opposition brutale entre sophistique et philosophie.
Ce dialogue me fait plutôt l'effet du fameux jeune homme féru de Kung fu, face au vieux maître distillant ses koan.s, qui ne disent strictement rien, et qui veulent pourtant tout dire. Extraordinaire, n'est-ce pas ?
En occident, on se veut plus explicite, mais on a aussi nos formules énervantes, comme celle qui nous rappelle instamment que « l'important est ce que nous faisons de ce qu'on a fait de nous ». Qu'importe l'auteur, puisque chacun, dans son style, fera de toutes façons varier le sens.
D'un côté la « volonté de puissance », « la poursuite de la supériorité », « le désir d'être Dieu » ; D'un autre côté, le complexe d'infériorité ou l'excuse, la mauvaise foi, l'attente infinie qu'il se passe enfin quelque chose.
Il y a des rencontres que chacun gardera secrètes, mais il y a un auteur dont ce réclame ce livre, c'est
Alfred Adler, psychologue et philosophe.
Le jeune homme, dans notre dialogue, aura des tonnes de raisons de s'énerver ; l'important, c'est de lui offrir une amitié, un amour, sans arrière pensée, sans contre-partie ; ce qui devrait l'encourager à « ne pas se dépouiller de sa subjectivité ».
Être aimé ? Ce serait vivre la vie d'autrui. Et puis quoi ? Ce serait vivre selon le désir de l'autre, selon son rythme, sa cadence, son regard, devenant peu à peu son objet. Nous dirons que « tous les problèmes sont des problèmes interpersonnels », ou que « l'enfer, c'est les autres ». Non, vraiment, contentez-vous d'aimer inconditionnellement.
Une philosophie radicale, direz-vous ? Oui, si radicale veut dire diversité.
Être « là, à sa place », Être « utile à quelqu'un ». Petit scarabée, entends-tu ici normalité, enracinement, et « plus-value » pour la société française ? Laisse fuir ces mots d'ordre, et écoute ton sentiment subjectif. Il y a mille manières de se sentir utile à la communauté.
Je passe sur toutes les situations proposées, et même celle, hallucinante, où un personnage décide de chantonner en faisant la vaisselle, en pensant que c'est encore la meilleure chance pour que quelqu'un se décolle de la télé pour venir l'aider.
Ce qui nous amène à une autre variation de la philosophie de
Alfred Adler, avec sa formule de la « résignation positive ». le jeune homme se dresse. Là encore, ce sont des choses entendues des milliers de fois, chacune dans son style.
« Qui dit résignation dit voir clairement, avec force d'âme et acceptation. Avoir une solide emprise sur la vérité des choses – c'est cela, la résignation »
Mais d'où vient la « vérité des choses », de la décision du possible et de l'impossible ? On dira que notre faculté de juger devrait dépendre de Dieu, c'est à dire de l'autre, n'importe quel autre. Mais ce serait vivre la vie d'autrui.
Relâchons « l'esprit de sérieux » : Saint Sophisme, priez pour nous ! Ou comme dit
Alfred Adler, « La vie, d'une façon générale, n'a pas de sens. », avant de terminer par une dernière formule énervante : « C'est à l'individu d'assigner un sens à la vie, quel qu'il soit. »