Londres, fin XIXème, début XXème siècle (la date n'est pas précisée mais on peut logiquement le supposer). le narrateur Henry Dibbl relate l'extraordinaire aventure qu'il a vécue. Malgré des études scientifiques, il vit de petits boulots jusqu'au jour où il postule, grâce à une petite annonce, à une mystérieuse mission scientifique en Equateur, dont le but est d'oeuvrer au bonheur des générations futures. C'est inespéré. Enfin ! Enfin, il va peut-être pouvoir participer à des recherches d'envergures ! Bien qu'il ne sache pas exactement en quoi consistera cette mission, il ne peut que supposer que cela le rapprochera de ses inclinaisons scientifiques...
Parue en 1907, cette courte nouvelle aux connotations SF, et dans une moindre mesure écologiques, est étonnante à bien des égards.
Rien que les méthodes de recrutement valent leur pesant d'or. Les techniques ont certes évolué depuis lors, mais le concept n'est pas si éloigné du XXIème siècle.
Elle est étonnante également, car bien qu'écrite par un auteur russe, les protagonistes principaux sont Anglais. Ce sont les moeurs anglais qui sont ici présentés. Les personnages sont d'ailleurs ancrés dans leur époque, ils affichent assez souvent un irritant sentiment de supériorité ainsi qu'un flegme nonchalant. L'un des passages, quand deux des protagonistes discutent sereinement alors tout part en live autour d'eux, m'a rappelé la scène du film Titanic, celle où ces lords anglais sirotent leur brandy et fument le cigare alors que le bateau est en train de couler.
Elle est étonnante surtout car elle est à contrecourant des idées de l'époque sur les bienfaits de la science, ou plus exactement sur l'usage que l'homme fait de la science. Elle dénonce l'inconscience de ces savants qui manipulent des éléments sans les maitriser, sans tenir compte des dangers et des conséquences, ainsi que les inévitables dérives. C'est une vision assez sombre de l'humanité, et qui malheureusement perdure un siècle plus tard.
Alors certes, les explications scientifiques n'ont pas très bien vieilli mais elles ont un certain charme. Je ne parvenais pas à me débarrasser en les lisant de l'image d'un savant fou construisant un monument avec des matériaux de récup. Mais bon, c'est moi et je ne suis pas scientifique.
Le truc qui m'a cependant le plus dérangée, c'est que l'ensemble manque de cohérence. La mise en place est très longue pour une si courte nouvelle. L'auteur semble avoir cherché à créer une atmosphère de mystère, une espèce de suspens, autour de cette mission scientifique mais, en ce qui me concerne, c'est tombé à plat. Sans compter le dénouement final qui lui aussi tombe, comme un cheveu dans la soupe cette fois : le revirement à 360 degrés de l'un des protagonistes est difficilement crédible et s'empêtre même dans des contradictions. Quelques pages supplémentaires n'auraient à mon avis pas été superflues. Là, c'est trop saccadé selon moi. Et c'est vraiment dommage car cela diminue la portée du message.
Mais, même si globalement mon ressenti est mitigé, cette petite nouvelle a de quoi surprendre et est très agréable à lire.
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« MM. E. Nidston et Fils, agents d’affaires, Régent Street, 451, recherchent un jeune homme de vingt-deux à trente ans pour un séjour de trois ans à l’Équateur, en vue de recherches scientifiques. Le postulant devra être de nationalité anglaise, de santé irréprochable, discret, courageux, sobre et endurant, célibataire avec le moins possible de relations de famille et autres. Appointements de débuts : 400 livres sterling par an. Connaissance d’une ou mieux deux langues étrangères (français et allemand) indispensable. Instruction universitaire désirable : la place sera plus facilement accordée à un gentleman possédant de bonnes notions théoriques et pratiques en physique et chimie. Se présenter tous les jours de 9 à 10 heures. »
Mon Dieu ! quel piteux ramassis de meurt-de-faim, loqueteux, claquedents et galefretiers : un véritable musée des horreurs ! À la vue de ces faces terreuses, de ces regards obliques, jaloux, soupçonneux, de ces mains tremblantes, de ces haillons sordides ; à l’odeur invétérée de pauvreté, d’alcool et de mauvais tabac, mon cœur se serra involontairement de pitié et d’amour-propre humilié. [...] Les unes après les autres ces pâles ombres se glissaient dans le cabinet et en ressortaient bientôt avec l’air de noyés que l’on vient de retirer de l’eau. J’avais honte de m’avouer infiniment plus sain et plus fort que tous ces marmiteux pris ensemble.
Je crains qu’un de ces critiques scientifiques, ignorants mais influents, qui se rendent célèbres en dénigrant systématiquement les idées nouvelles et les entreprises audacieuses, ne dénature mon idée aux yeux du public, ne la lui représente comme une lubie d’inventeur, comme un délire de maniaque. Je crains surtout que quelque envieux et famélique raté ne s’approprie ma théorie, en prétextant, comme on en connaît mille exemples, une coïncidence fortuite de découvertes, je crains qu’il n’avilisse, ne ravale et ne salisse ce que j’ai enfanté dans la douleur et l’enthousiasme.
Il est dur, croyez-moi, de devoir, à 65 ans, réviser sa conception du monde ! J’ai compris ou plutôt senti que l’humanité future ne valait ni nos soucis, ni nos travaux, ni nos sacrifices. Elle dégénère et devient d’année en année plus débile, plus corrompue, plus impitoyable. La société tombe sous la domination du plus cruel des despotes : le capital. Les trusts, spéculant dans leurs repaires publics sur le blé, la viande, le pétrole, le sucre, créent une génération de polichinelles milliardaires, que côtoyeront des millions de loqueteux affamés, de voleurs et d’assassins. Il en sera éternellement ainsi.
Elle ne pouvait détacher de lui ses yeux sombres et énigmatiques qui suivaient tour à tour les mouvements de la tête, des mains, des lèvres et des yeux du jeune homme. Chose étrange ! Elle me rappela ce soir-là ce jouet enfantin : dans une cuvette nage un poisson ou un canard de fer-blanc, un bout de fer fiché dans le bec, et se laisse docilement entraîner par la baguette aimantée qui, de loin, l’attire.