La littérature russe du XVIIIe siècle, ou encore plus ancienne, est un monde étrange qu'il ne faut pas trop chercher à comprendre, selon moi. Et
Nicolas Leskov en est le parfait exemple, au même tire que
Mikhail Lermontov. Deux grands auteurs emblématiques d'une écriture autrefois louangé, aujourd'hui plus rare. Narration éclatée, passant d'une personne à une autre (témoin ou participant, peu importe), péripéties et rebondissements multiples, mêmes les plus improbables. On pense avoir saisi l'intrigue et voilà que l'auteur nous entraine dans une autre direction, de façon totalement imprévue. N'essayez pas d'appliquer votre logique occidentale (et votre compréhension habituelle de la construction d'un roman). C'est un peu déconcertant au début mais on s'y fait rapidement.
Ce recueil contient quelques nouvelles, voici un bref résumé des trois principales :
Lady McBeth au village (parfois aussi intitulé « Lady McBeth du district ») assassine son vieux mari détestable avec l'aide de son amant. Mais, éventuellement, le crime est découvert et la folie s'empare de l'héroïne, un peu comme son modèle dans la pièce de
Shakespeare. Passionnée jusqu'à la névrose ! Dans tous les cas, des émotions à l'état brut, comme l'aimaient jadis les Russes. Et peut-être encore aujourd'hui, qu'en sais-je ?
L'ange scellé raconte l'odyssée parcourue par deux villageois croyant pour retrouver un maitre capable repeindre le visage d'une icône sacrée à la manière d'autrefois. C'est rare, un tel peintre, on n'en trouvait plus beaucoup même à cette époque. le chemin sera long et parsemé d'embûches…
Le vagabond enchanté nous emmène dans les voyages extraordinaires d'Ivan Sévérianovitch. Comme dans plusieurs de ses romans,
Leskov commence par un échange entre pèlerins sur le lac Ladoga. C'est l'occasion de raconter l'histoire exceptionnelle d'un des moines de Balaam, le fameux vagabond épnyme. de serf à militaire, en passant par dresseur de chevaux, victime des Tziganes, prisonnier des Tatars, compagnon de juifs, etc. Bref, vous aurez compris : tout y passe. Bien souvent, Ivan Sévérianovitch est son pire ennemi, il se met lui-même dans des positions difficiles, au point de croire que le diable le tente trop et qu'il doit faire pénitence dans un monastère.
Toutes ses péripéties vécues par les différents personnages de ces nouvelles sont l'occasion pour l'auteur d'aborder de grands thèmes comme la religion et la justice. Il ne présente pas des idées novatrices ni révolutionnaires, non, mais il soulève des questions que beaucoup de personnes devaient se poser dans ce grand pays. Et c'est justement de ce grand pays qu'il s'agit ici. Dans toutes ces histoires, on s'attarde peu aux grands centres qui commencent à prendre de l'importance dans la Russie du XVIIIe siècle. Plutôt,
Leskov nous propose une esquisse des steppes de Sibérie, des contrées rurales et profondes. Celle des paysans, des militaires en garnison à la frontière, des commerçants locaux, des Tatars indomptés. Bref, du monde russe par excellence, celui de ses origines, pas celui européanisé. Et sa plume évocatrice le permet via des descriptions utiles mais surtout à travers des personnages typés (et leurs actions et leurs niveaux de langue). J'avais vraiment l'impression d'y être ou, du moins, je pouvais facilement me l'imaginer.