Je suis navré de décevoir les Babelionautes qui ont lu et apprécié "
Trois tasses de thé" de
Greg Mortenson de 2006, de commenter ici l'ouvrage de
Jon Krakauer dans lequel il démontre que ce livre constitue en fait un tissu de fabulations et de mensonges.
"
Trois tasses de mensonges" de 2011 porte comme sous-titre "Comment
Greg Mortenson, héros humanitaire, s'est perdu en chemin" et a été traduit et annoté en Français par
Renaud Roussel.
Dans son best-seller
Mortenson raconte comment, en 1993, il s'est égaré en descendant le K2, le sommet du massif du Karakoran à la frontière sino-pakistanaise et la 2ème plus haute du monde après l'Everest, et comment il a été bien reçu dans le misérable village de Korphe au Pakistan septentrional et où au chef duquel il a promis, en signe de reconnaissance, de bâtir une école.
Or, cette histoire est fausse : aussi bien son ascension du K2 que l'année de son soi-disant exploit. Il a séjourné à Korphe en 1994, où il aurait été enlevé par un peloton de talibans, ce qui a mis le chef du village en rogne, qui lui avait accordé, au contraire, une équipe de protection dans le Baltistan (anciennement les Territoires du Nord du Pakistan), réputé dangereux. L'aventure de son enlèvement est tout simplement un mythe, qui lorsqu'il fut exposé a conduit le coauteur de "Trois tasse de thé", le journaliste
David Oliver Relin, au suicide en novembre 2012, en se jetant sous un train à Portland dans l'Oregon.
De retour chez lui aux États-Unis,
Mortenson a créé, en 1996, le "Central Asia Institute" CAI, une association caritative pour la construction d'écoles au Pakistan, en Afghanistan et au Tadjikistan.
Une initiative noble qui mérite toute notre estimation, ne fût-ce que pour combattre le fanatisme de certaines écoles islamiques dans cette partie du globe et ainsi des actions terroristes.
Le riche pionnier des circuits intégrés, l'américano-suisse Jean Hoerni (1924-1997) a remis à
Mortenson d'abord 12.000 dollars pour la construction d'une première école au Pakistan et, juste avant de mourir, un million de dollars au CAI. Il a été le tout premier d'une longue liste de donateurs à la suite de l'énorme succès du best-seller de
Mortenson.
Mais, même plus grave que son récit mensonger a été le manque d'honnêteté de
Greg Mortenson, qui a toujours refusé de donner des explications détaillées sur l'emploi exact des dons reçus.
Il s'est avéré qu'il a utilisé une partie non négligeable de ces dons à des fins personnelles et qu'il a commencé à mener un train de vie onéreux (jets privés pour se rendre à des conférences humanitaires par exemple).
En avril 2012, le procureur général de l'État du Montana, où vit
Mortenson avec sa femme Tara Bishop et leurs 2 enfants, l'a condamné à "retourner" un million de dollars au CAI et lui a interdit d'occuper une fonction à responsabilité au sein de cette association.
Il est difficile de savoir combien d'écoles ont été construites et combien fonctionnent normalement. Toujours est-il qu'au Pakistan existent ce que
Jon Krakauer a nommé des "écoles fantômes", des écoles vides, sans professeurs et sans élèves et auquel l'auteur consacre tout un chapitre.
Au Pakistan, un seul homme était chargé de la construction des écoles, un ancien colonel de l'armée de l'air de son pays, qui gérait les fonds sans le moindre contrôle tout en s'enrichissant lui et sa famille plutôt considérablement.
Les défenseurs de
Greg Mortenson expliquent que l'homme est un idéaliste sincère, mais hélas totalement désorganisé.
Comme, au bout de tant de plaintes et de sommations, Mortensen s'obstine à continuer comme avant, sans de sérieux efforts pour assurer une transparence indispensable, je trouve personnellement cette explication plutôt sommaire.
C'est vraiment dommage, car des projets visant l'éducation de petites filles et garçons dans des endroits effroyablement défavorisés au Pakistan et en Afghanistan valent certainement un engagement solide et soutenu.
C'est aussi l'avis de l'auteur qui avait donné à cette association humanitaire des fonds avant de découvrir l'absence d'une comptabilité satisfaisante et les vices inadmissibles de gestion.
L'ouvrage est bien documenté comme toujours chez
Jon Krakauer et son style est celui de son livre sur les Mormons ("
Sur ordre de Dieu") ainsi que ses biographies de Christopher McCandless ("
Into the Wild") et Pat Tillman ("Where Men Win Glory").