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3,6

sur 861 notes
Louis revient dans sa famille, qu'il n'a vu depuis 10 ans. Il revient leur annoncer qu'il va mourir... Mais rien ne se passe comme il l'aurait souhaité. Chacun lâche ce qu'il a sur le coeur depuis tant d'années...
La langue est ciselée, chaque phrase ou presque est remaniée pour dire les sentiments le plus justement possible, créant un effet hypnotique. Les personnages parlent, mais ne s'adressent pas aux autres, ils soliloquent pour enfin se vider le coeur. L'impossibilité pour Louis d'annoncer sa mort prochaine le fait se sentir encore plus étranger à sa famille, plus qu'il ne l'était avant de la quitter. Beaucoup de souffrances et de rancoeur, mais aussi, malgré la maladresse, de l'amour.
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Les dernières pièces de théâtre que j'ai lu doivent remonter à mes années collèges. Je ne sais même plus, depuis ces lustres ancestraux, son auteur, un type qui se faisait prénommer Molière ou Corneille, peu importe, pas de nom, juste un prénom, comme les rappeurs de notre temps…

Alors, je me suis dit, avant d'annoncer ma mort imminente – à moins qu'intérieurement elle soit déjà survenue, il fallait que je me remette au théâtre, par choix, par goût et non plus par obligation. Et du coup, pas n'importe quel texte. Il fallait quelque chose qui me transcende, la dernière pièce de théâtre, le dernier acte d'une vie. Celle qui servira de testament ou de chronique posthume car demain sera juste la fin du monde.

J'adore Xavier Dolan, même si j'ai une nette préférence pour ses films dans sa langue natale, et c'est avec beaucoup de plaisir (encore plus qu'à sa sortie en salle) que je me suis replongé dans la campagne française avec Gaspard Ulliel, Vincent Cassel et Nathalie Baye, adaptation cinématographique d'une pièce de Jean-Luc Lagarce. Il fallait que je jette mon dévolu sur ce texte et ô combien que j'ai apprécié ce plaisir, presqu'autant qu'une bonne broue aux saveurs locales d'outre-Atlantique. Merci Xavier de m'avoir permis de m'aventurer hors de mes prairies habituelles où l'herbe aromatisée à la vodka est si verte…

Bref, juste la fin du monde m'a enchanté. Bien sûr, je revoyais exactement les personnages du film et les images me venaient ainsi naturellement, ce qui ne diminue pas l'écriture de Lagarce. Juste la fin du monde, c'est juste un texte magnifique d'un pauvre type qui veut annoncer à ses « proches » éloignés depuis quelques années sa mort, ce qui après tout n'est pas la fin du monde. Et c'est beau, subtil, émouvant, cette difficulté à communiquer, il y a des types comme ça…
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Il est là. Il est venu. le fils le frère absent depuis de si longues années.
Il est venu pour leur dire qu'il est malade et qu'il va bientôt mourir. Mais de tout cela il ne parlera pas. Ni de ça ni de rien d'ailleurs. Les autres, son frère sa soeur sa mère et même sa belle-soeur, ne lui laisseront pas l'occasion d'évoquer l'histoire de son retour. Les reproches, les vieux souvenirs, les jalousies larvées vont prendre toute la place.
Un jour de retrouvailles mais aussi un jour de séparation définitive.

Il y a bien longtemps que je n'avais pas lu une pièce de théâtre et celle-ci fut une bonne pioche même si le contexte est d'une infinie lourdeur. Pas dans l'écriture, non, au contraire, les mots choisis sont exactement le reflet de cette situation familiale difficile, tendue, exacerbée par les non-dits. Les phrases sont courtes, claquantes. Les dialogues sont quasi-inexistants et font souvent place à de longues tirades. La communication familiale trouve difficilement son chemin. Non, la lourdeur vient des sentiments, d'une demande d'amour inconditionnelle, des vieux contentieux qui ne s'expriment pas, des places attribuées à chacun qu'il faut accepter de tenir... la tension monte, le départ du fils du frère est la faute originelle.

Même si le début de lecture m'a passablement ennuyée (retours à la ligne incessant, phrases coupées, redites), je me suis très vite laissée prendre par sa petite musique révélatrice et très observée des tensions familiales.
Merci Juline d'avoir partagé avec moi ce plaisir de lecture. Comme quoi, on peut avoir dix-sept ans et s'intéresser à autre chose mais aussi aux réseaux sociaux.
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C'est une pièce de théâtre trop triste pour moi, et pourtant, je vis pleinement ça avec une de mes filles : la non-communication familiale !
Louis, 34, après une longue absence, revient voir sa mère, son frère Antoine et sa soeur Suzanne, pour leur annoncer qu'il a une longue maladie fatale.
Seulement, assailli par les reproches d'abandon familial, il n'arrive pas à délivrer son message, et repart ainsi.
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Le style est pour moi, trop proche d'un langage verbal quotidien que je déteste et que nous évitons chez nous. Les interventions sont stressantes, avec un manque de sûreté des personnages, beaucoup de répétitions, une difficulté de délivrer un message ; on a envie de leur dire à tous : "Allez, accouche !"... Cependant Louis parait très calme au milieu de cette violence verbale. Il y a les reproches sur l'abandon familial de ce fils aîné, des doutes et beaucoup trop de questions carabinées auxquelles Louis, à qui on ne laisse pas le temps de répondre, préfère prendre l'attitude du taiseux.
Ils ne le connaissent pas, ne le connaissent plus, et la plus belle intervention, à mon avis, est celle d'Antoine à la fin, qui résume bien la situation et l'état d'esprit dans lequel ils sont tous.
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Je relève en vrac des thèmes familiaux que l'auteur, Jean-Luc Lagarce pointe : l'évaporation familiale, l'absence de communication, la peur des reproches, l'abandon, la violence des pensées mais aussi du verbal, l'impossibilité de parler de l'amour fraternel et familial, le manque de confiance, le manque de connaissance de l'autre, l'image donnée en décalage avec la réalité des membres de la famille, tout un pataquès pour un problème futile, ils sont tous à fleur de peau, ils se font du mal tout seuls, limite masochistes.
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Ce livre m'a mis mal à l'aise.
On ne peut pas oublier la dimension testamentaire ( autobiographique ? ) de Jean-Luc Lagarce, qui a attrapé le sida en 1988, écrit cette pièce en 1990, et est mort du sida en 1995. Les thèmes du "retour" et celui de la mort sont présents dans plusieurs de ses pièces.

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Juste la fin du monde est un texte de théâtre pas comme les autres.

J'avais vu il y a quelques années la pièce de Jean-Luc Lagarce au Français, dans une mise en scène de Michel Raskine que j'avais bien appréciée mais la représentation était trop lointaine pour chroniquer la pièce avec un minimum de précision.

Depuis que Xavier Dolan l'a adaptée au cinéma, chacun en connaît le sujet : un jeune homme malade, condamné, revient dans sa famille après des années d'absence, pour dire adieu à sa mère, son frère, sa soeur. Il repart sans leur avoir rien dit, mais après les avoir beaucoup écoutés, chacun étant enfermé dans sa solitude, reclus dans son propre monologue. Seule sa belle-soeur, qu'il n'a jamais vue auparavant, semble le comprendre et l'entendre un peu.

Mais les échos mitigés du film de Xavier Dolan m'étant parvenus- « du théâtre filmé, ennuyeux, statique »- ne m'ont pas donné envie de rafraîchir mes souvenirs en voyant l'adaptation cinématographique.


J'ai donc acheté et lu le texte –non sans quelque appréhension : j'avais fait la même chose après une excellente représentation des Prétendants de Lagarce à la Colline, et j'avais dû abandonner, la pièce s'avérant illisible sans une analyse scénique et une préparation de mise en scène.

J'ai donc lu le texte. Rien que le texte.

Pour la première fois, je n'ai pas eu le sentiment d'un texte orphelin de sa deuxième moitié, la mise en scène. Comme la lecture des pièces de Beckett, Juste la fin du monde se suffit à lui-même. Il dessine une partition, il fait entendre une langue, il invente une parole en train de naître qui, si on devait la jouer avec « naturel » casserait justement toute l'originalité de sa musique, détruirait toute la justesse de l'émotion.

La disposition graphique s'apparente à celle de la poésie : pleine de blancs, d'alinéas, de silences, qui rendent palpables la tension de ces « retrouvailles » familiales, la solitude des personnages, le vide des relations, le vertige des non-dits qui creuse chaque parole.

La parole elle-même est tâtonnante, elle se cherche entre les silences, hésite sur les temps verbaux, sur les pronoms, sur les mots : c'est une parole apeurée, qui peine à se mettre au monde, à se mettre à nu. Comme si elle cherchait obstinément à atteindre le mot juste, le nerf de l'émotion.

La syntaxe aussi est étonnante : la proposition principale est constamment parasitée, piratée par un afflux de petites incises qui interrompent, phagocytent, enrichissent ou noient l'idée directrice- mais celle-ci, têtue, enragée revient sans cesse à la charge et finit le plus souvent par faire mouche et par repêcher son propos dans la mer agitée ou confuse des émotions.

Les personnages ne se parlent pas, dans cette langue en gestation, dans cette langue chaotique : comme les semelles de plomb du scaphandrier, elle les entraîne tout au fond d'eux-mêmes, dans les abysses de leur jalousie, de leur frustration ou de leur panique. Ce sont des monologues qui se croisent, des arias solitaires, presque toujours terminés par la note soutenue d'un cri. A la fin de chaque monologue, le personnage hèle un absent, un muet, une rétive.

On découvre en lisant Juste la fin du monde une sorte d'opéra silencieux, dont la musique dissonante gronde en nous, comme une tempête intérieure.

Une musique magnifique de la discordance. Un poème de la débâcle et de la mort qui vient.

On l'entend si bien en nous, qu'on aurait presque peur de trahir la pièce en la mettant en jeu.

Juste la fin du monde est un texte à lire, à lire avant tout.


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" Comment préserveras-tu la langue de Lagarce ? " me demande-t-elle.
" C'est ce qui fait de ce texte quelque chose de pertinent et d'unique. En même temps, cette langue n'est pas cinématographique...Et si tu la perds, où est l'intérêt d'adapter Lagarce ? "
Mais je ne voulais pas la perdre. Au contraire, le défi pour moi était de la conserver, et la plus entière possible.

Cet échange rapporté par Xavier Dolan, le metteur en scène du film célébré, primé à Cannes et à la Cérémonie des César, - Juste la fin du monde -, adaptation de la pièce de théâtre éponyme écrite par Jean-Luc Lagarce, illustre parfaitement l'interrogation qui se pose et s'impose lorsque après avoir lu " le texte " de l'auteur et vu le film du cinéaste, on s'exclame " wouahou ! ", le coeur serré et les yeux mouillés ( ce fut mon cas ), en se demandant comment il a fait, lui, Xavier Dolan, et comment ils ont fait, " eux ", Gaspard Ulliel, Jean-Pierre Cassel, Nathalie Baye, Marion Cotillard et Léa Seydoux, pour coller aussi parfaitement à l'écriture de Lagarce, être dans une telle symbiose qu'ils ont chacun réussi à faire vivre chacun de ses mots, à les presser pour en faire ressortir la polycomplexité des émotions qu'ils recèlent.
J'avoue que j'ai été épaté par la performance d'acteurs de ces comédiens d'exception. Aucun ne m'a paru meilleur que les autres... Catherine-Marion Cotillard étant celle qui, d'entrée de jeu, nous restitue avec une virtuosité bluffante la puissance de cette langue que j'apparente un peu au tableau de Munch - le cri - ; elle contient tant mais se heurte aux limites, la limite étant par définition ce qui ne se touche pas.

Ce serait faire injure à Jean-Luc Lagarce que de dire que Xavier Dolan est sinon le passage obligé du moins le passage conseillé ( pour celles et ceux qui ne l'ont pas encore lus ) pour être en mesure d'absorber la puissance de son écriture... j'ai failli dire sa langue...
Disons que ne croyant pas au hasard mais plutôt à l'indéfinissable rencontre fortuite des circonstances, je concède au hasard ( auquel je ne crois pas ) d'avoir bien fait " les choses ".
Donc, si Dolan mène à Lagarce, n'hésitez pas !

Cette pièce, c'est l'histoire du fils prodigue qui rentre à la maison après douze années d'absence pour annoncer aux siens avec lesquels il n'a gardé comme seuls liens au cours de toutes ces années que des cartes postales, ce trait d'union a minima, " cette politesse à bon marché ", qu'il va mourir.
Ce fils prodigue qui a pour prénom Louis, le prénom des rois de France, a trente-quatre ans et est écrivain.
Ce don qu'a l'écrivain de trouver les mots, de les faire parler, de leur faire dire, va être battu en brèche par la lucidité Camusienne :
" Ce monde en lui-même n'est pas raisonnable, c'est tout ce qu'on peut en dire. Mais ce qui est absurde, c'est la confrontation de cet irrationnel et de ce désir éperdu de clarté dont l'appel résonne au plus profond de l'homme ."
L'enfant roi va être confronté au cri, à la confusion des sentiments, à leur heure d'agitation sur la scène de ces pauvres comédiens que sont sa mère, son frère cadet Antoine, sa belle-soeur Catherine, sa jeune soeur Suzanne.
Ce dimanche de retrouvailles, censé signifier trêve, épiphanie, repos, va les éprouver dans leur amour prisonnier des rancoeurs, de la jalousie, des incertitudes, de sa pudeur, de ses fragilités... de leur être incapable de faire entendre ce cri existentiel, cette douleur originelle voués à l'inaudibilité des " Autres ", ces " Autres " abandonnés à leur propre cri, à leur propre douleur.
Ce huis clos va donner lieu à quatre face à face desquels ne ressortira au final que l'impossibilité de dire, le dire ramené à un état de quasi non-dire, car comprendre " les Autres, c'est pénétrer dans leur ineffable qui est incommunicable ".
Louis repartira sans avoir pu dire ce pour quoi il était venu.

La structure de la pièce permet le déroulé, le développement de ces retrouvailles et des fruits tombés qu'on ne peut remettre sur l'arbre.
L'écriture de Lagarce, unique, novatrice car libérée de beaucoup des conventions, des contraintes chères à " l'art oratoire ", met en évidence la difficulté qu'il y a à dire, à comprendre, à être compris.
Nous sommes hésitants, maladroits, faillibles par nos répétitions, nos fautes de grammaire.
Lagarce grâce à son écriture qui laisse place aux hésitations, aux maladresses, aux redites, aux mots qui ne sont pas les bons, aux verbes qui sont parfois mal conjugués offre " à ses personnages nageant dans cette mer de mots si agitée " l'occasion d'exprimer par ce faire tout ce dont ils sont les porteurs et que j'ai loué à travers le jeu tellement expressif, intense et troublant des comédiens qui ont participé au film de Dolan.

Le fils prodigue repart avec sa banale solitude ; après tout il n'était venu que parce que c'était JUSTE la fin du monde.

J'ai eu ces dernières semaines l'envie de lire quelques dramaturges du théâtre contemporain comme Joël Pommerat, Bernard-Marie Koltès, Alexandra Badea... à chaque fois je n'ai pas été déçu par ces rencontres.

Je n'éprouverais pas le besoin de répéter que la pièce de Jean-Luc Lagarce figure désormais au programme du bac de français si je ne voulais pas inciter les quelques ceux qui n'ont pas encore découvert cet auteur à le lire.





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Quand je participais au challenge Théâtre de Babelio, je m'étais promis de lire au moins une pièce de Jean-Luc Lagarce. En fait, j'ai jamais réussi, même en 2020, année où j'ai frôlé l'overdose de théâtre lu. J'avais le même problème avec Lagarce qu'avec Koltès (de façon générale, on peut dire que j'ai régulièrement quelques soucis avec le théâtre contemporain), à savoir que dès que je feuilletais une de ses pièces à la bibliothèque, je me disais : "Ouh la la non ça a l'air chiant comme tout". Je réessayais plus tard, et encore plus tard, et c'était toujours pareil. J'ai fini par décider que c'était tant pis pour Lagarce - et aussi tant pis pour Koltès, mais je me foutais un peu de Koltès. Alors que j'avais envie d'aimer le théâtre de Lagarce pour plusieurs raisons. 1ère raison : tout le monde dit que c'est un génie et j'ai pas envie d'avoir l'air plus bête que tout le monde. 2ème raison, probablement meilleure que la première : j'avais aimé voir sur scène Les règles du savoir-vivre dans la société moderne en 1995 . La dernière raison a plus à voir avec la personnalité de Jean-Luc Lagarce qu'avec son talent (quoique...), elle peut sembler extrêmement futile et je ne vais pas m'étendre dessus. de fait, j'avais prévu de vous raconter une anecdote pour en parler, or ça prendrait des plombes, donc je garde ça pour le jour où... Bon, ce sera pour un de ces jours, quoi (ou jamais). Sachez seulement que j'ai vu Lagarce clouer le bec à des spectateurs infects, et que lorsque je lis ou j'entends son nom, c'est à ça que je pense immédiatement - je reste encore admirative de son sens de la répartie et de l'argumentation. Quoiqu'il en soit, ce souvenir ne m'a jamais aidée à lire ses pièces.


Comme d'autres, c'est donc grâce à Xavier Dolan que j'en suis venue à la lecture de la pièce. Par hasard, il y a quelque temps, je tombe sur le film en ayant raté le début, je le regarde sans vraiment le regarder tout en me disant "Non, t'as pas vu le début, revois-le plus tard", bref, je prévois de le regarder sérieusement un autre jour, j'oublie plus ou moins, et je me réveille il y a quelques jours avec une chanson du film en tête et l'idée qu'il faut absolument que je le voie. Finalement, j'ai regardé ce jour-là Scènes de la vie conjugale (la vie prend constamment des détours inattendus). Mais j'avais toujours l'intention de regarder le film de Dolan. Ou de lire la pièce avant. Ou alors après. Ou avant. Ou après. Ou... Bref. Les dialogues de Dolan me semblaient beaucoup plus naturels que ceux de Lagarce et j'avais encore peur de m'attaquer au texte. Des contingences bassement matérielles ont tranché, j'ai (enfin!) emprunté la pièce, que j'ai (enfin!) lue dans la foulée. Et là, à ma surprise, c'est passé tout seul.


Pourtant, l'écriture de Jean-Luc Lagarce n'est pas très... comment dire ? Je cherche le mot juste, ce qui se trouve être un topos du théâtre de Lagarce... Son écriture n'est pas, au premier abord, agréable, engageante, plaisante (eh oui, j'ai encore mon dictionnaire des synonymes à portée de main). Bien au contraire, elle m'avait paru, au feuilletage, artificielle, pénible, voire prétentieuse. Et artificielle, elle l'est, avec l'utilisation de temps à autre du passé simple dans les dialogues (qui fait ça dans la vie ?), les retours à la ligne constants comme en poésie (qui parle comme s'il déclamait un poème, je vous le demande ?), ses phrases hachées, inachevées, ses parenthèses (est-ce qu'on utilise des parenthèses lorsqu'on parle ? je pense que oui, en y réfléchissant) et tout un tas de trucs dans le genre qui m'avaient hérissée au premier, au second, et encore au troisième coup d'oeil. Évidemment, un coup d'oeil, ou même trois, c'est nettement insuffisant et c'était peut-être bien ça mon problème. D'ailleurs, vous entendrez régulièrement dire "Ah, la langue de Lagarce, c'est superbe !" Cela dit, il se trouvera également toujours quelqu'un pour vous sortir à la fin d'une représentation médiocre du Menteur (qui n'est déjà pas la meilleure pièce de Corneille) : "Ah, quelle langue !" Comme si ça pouvait compenser une mise en scène dénuée de toute inventivité... On pourrait dire aussi que la langue de Paul Claudel est superbe, mais si on se fait chier en lisant Claudel, ça va pas nous avancer beaucoup. Passons. Donc, que la langue de Lagarce soit superbe ou non, on s'en fout. Que son écriture soit étudiée pour montrer que le langage est par essence artificiel, trompeur et entrave la communication, voilà qui nous emmène un peu plus loin.


Revenons-en donc à l'histoire très simple de Juste la fin du monde, même si vous la connaissez probablement. Louis, un jeune homme de 34 ans, n'a pas revu sa famille depuis douze ans, je crois, sans couper complètement les ponts mais en se contentant d'envoyer de temps à autre une carte postale à sa mère, à sa soeur Suzanne De 23 ans, ainsi qu'à son frère Antoine (de 2 ans son cadet) et à sa belle-soeur Catherine, qu'il n'a jamais rencontrée. Il sait qu'il va mourir quelques mois plus tard, et il décide sans trop savoir pourquoi d'aller les revoir une dernière fois. Et de leur dire qu'il va mourir. Jean-Luc Lagarce se savait atteint du sida deux ans avant l'écriture de cette pièce, il n'était pas encore sur le point de mourir à ce moment-là (il est mort en 1995), et il a imaginé avec Juste la fin du monde ce que pourraient être de toutes dernières retrouvailles en famille, avec leur lot de sentiments mal exprimés, d'affection maladroite, de disputes, de non-dits, de rancoeurs, de souvenirs. Et ce qui paraissait relever d'une écriture artificielle révèle quelque chose de profondément naturel : les personnages reviennent sans cesse sur les mots qu'ils utilisent, à la recherche du mot juste qu'ils ne trouvent pas, mêlent un langage familier à un langage soutenu, parce qu'aucun des deux n'est vraiment le langage qu'il faudrait employer, se répètent, empêchent les autres de parler, monologuent à n'en plus finir, taisent ce qu'ils ont, soit envie de dire, soit peur de dire, voire les deux à la fois. Il y a des passages particulièrement significatifs. Catherine, par exemple, demande à Louis de ne rien lui dire, à elle, de ce qu'il aurait envie de dire à Antoine, mais de parler à Antoine directement. Ce à quoi Louis répond : "Je n'ai rien à dire ou ne pas dire, je ne vois pas.", alors qu'il est là pour, justement, dire quelque chose d'essentiel. Et quand Suzanne dit à Louis : "Ce que je veux dire c'est que tout va bien et que tu aurais eu tort, / en effet, / de t'inquiéter.", elle veut dire, à mon avis, à peu près l'inverse, soit quelque chose comme "Ça va pas, je ne vais pas bien, on ne va pas bien, tu nous manques, tu manques à tout le monde et t'es quand même un salaud de jamais t'être jamais soucié de nous pendant toutes ces années."


Au-delà de la question essentielle du langage, on remarque l'absence de didascalies qui donne l'impression que les mouvements des personnages sont plus ou moins confus (ce qui rend compte d'une situation elle-même confuse), on visualise, on devine seulement leurs allées et venues, on ressent l'agitation et le silence qui alternent. Les silences ne sont pas toujours évidents à détecter (contrairement à ce que met en avant le film de Dolan), l'agitation est quasiment constante, qu'elle prenne une forme grandiloquente ou moins démonstrative. Un seul bémol pour moi : la scène 10 de la première partie, où Louis est seul sur scène et déclame un long monologue sur la mort. Pour le coup, j'ai trouvé que ça tranchait avec le reste et que ça avait un côté effectivement artificiel.


Une belle découverte, donc, assez inattendue (je m'étais plus ou moins résignée à l'idée de ne pas aimer ce texte), écrite dans un style paradoxalement juste parce que révélateur - entre autres - de ce peuvent être les tensions familiales et les difficultés à communiquer.
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L'impossible devenir. Voilà la fin du monde. le bout du chemin. le lieu ? La famille. La cellule familiale. le temps ? À jamais perdu. Puisque ce temps ne fut jamais trouvé à quoi bon le rechercher ?
On ne peut pas reformuler ce qui n'a pas d'existence. Famille, jeu de rôle, jeu de place, et pour finir jeu de hasard où les dés sont tous pensés avant même d'être rejetés. Fratrie sous la régence des cris, obscurs désirs de ce qui ne peut être dit. Bien sûr on s'aime. On s'aime c'est écrit. le même nom, la même veine, la même chair, le même ventre. On s'aime bien sûr, promis, on se l'écrit. On s'apparente, on appartient à ce qui nous ressemble. Voilà l'oubli. On oublie que ce qui nous rassemble c'est ce qui nous lie. Ball trap, chausse- trape, jeu de massacre, famille je vous lis et vous délie.
Je te pense – tu m'imagines- je te réfléchis- tu me regardes – On se dira une autre vie.
On se ressemble, dis, c'est dingue. On se ressemble à s'y reprendre.
La pièce de Jean-Luc Lagarce c'est juste. Une tragédie.

Astrid Shriqui Garain
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"Juste le fin du monde" du dramaturge décédé trop jeune Jean-Luc Lagarce est un huis-clos familial qui commence dans une atmosphère de retrouvailles avant d'évoluer assez vite vers un déballage des non-dits trop longtemps mis sous le tapis dans le coeur de chacun des personnages.

Louis n'a pas revu les siens depuis douze ans et on ignore pourquoi. Dans le préambule, l'intermède et la conclusion qui structurent la pièce et articulent les deux parties, Louis prend la parole dans un soliloque aussi mystérieux que profondément perturbant tant ses paroles semblent trouver écho dans la tête du spectateur.

Louis retrouve sa mère - son père est décédé -, sa soeur Suzanne, son frère Antoine et la femme de ce dernier, Catherine, que Louis n'a jamais rencontrée. le temps d'une journée en famille, Louis tentera de délivrer la vérité : il a trente-quatre ans et seulement quelques mois encore à vivre. Toutefois, lui qui arrive pensant maîtriser la situation va perdre le contrôle et ne parviendra qu'à être le réceptacle des impressions et des sentiments des autres, qu'ils retiennent depuis son départ, douze ans auparavant.

J'ai apprécié cette pièce intimiste qui sous des dehors de réunion de famille lambda prend une envergure universelle troublante. On sent l'inspiration du théâtre de l'absurde et pourtant on est dans le réalisme. C'est une pièce psychologique accessible - d'ailleurs elle était au programme du bac français cette année - qui se constitue moins de dialogues que d'une succession de monologues ; chaque personnage donnant l'impression de "crever l'abcès", de "vider son sac", bref, de révéler sa personnalité et ses émotions dans un moment de tension particulier.

Les relations parents-enfants et inter-fraternelles sont parfaitement décortiquées et étudiées et suscitent colère, compassion, exaspération, amusement chez le spectateur qui ne peut rester indifférent. Jamais sollicité comme juge, il n'en demeure pas moins emprisonné dans cette atmosphère tour à tour légère et oppressante.


Challenge RIQUIQUI 2022
Challenge XXème siècle 2022
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Louis retourne voir sa famille après tant d'années d'éloignement. Il doit leur annoncer sa mort prochaine. Et les voilà tous ne se connaissant pas, avec leur non-dit, leur vie jamais croisée. Chacun y allant de sa tirade emplie de maladresse, de frustration, de ressentiment, d'amour raté. On sent la pesanteur, on sent l'absence. Tous recherchent le mot exact, et passent finalement à côté de l'essentiel. Les phrases sont excellemment bien faites pour dire, ou ne pas dire, ce que l'on comprend que trop bien : le mal-être ou comment trouver sa place dans un grand vide. Alors : dira ? Dira pas ? Un petit bijou de pièce de théâtre. Et le film, un chef d'oeuvre mais ça c'est une autre chronique ailleurs.
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