Le Rêve du Mort

Personne ne répondit. Il ajouta :
— Avez-vous des commentaires à faire concernant l’ordre du jour ?
Une main se leva. Mona prit la parole mais personne ne l’entendit.
— Vérifiez que votre micro est ouvert. Et puis parlez plus fort ! dit le président.
— Je suis enrouée : excusez-moi ! Je voulais savoir si nous disposerions de moyens supplémentaires.
— Nous n’aurons aucune rallonge budgétaire. Nous traversons une sévère période de crise : il est impossible d’accroître le déficit prévisionnel.
Nous devons appliquer notre politique de rigueur malgré son impopularité. C’est tout ?
— Non ! dit Mano. Devrons-nous chiffrer les dépenses que nous souhaitons engager ?
— Cela va de soi ! trancha De Young. Même si nous ne pouvons réaliser nos projets. Bien. Je déclare les débats ouverts.
— Une seconde, objecta Moan. Allez-vous procéder à la lecture du rapport concernant la situation vis-à-vis de laquelle nous aurons à nous déterminer ?
Silence de mort.
— Vous n’avez pas pris connaissance de votre dossier ? insinua De Young,
mi goguenard, mi agressif. C’est indigne d’un Sage.
Sifflets dans la salle. Le président intervint pour rétablir le silence.
— S’il faut refaire le monde, dit l’enfant en se curant le nez, c’est qu’il est naze !
— J’ai une proposition à faire, dit l’aveugle. Faisons la synthèse de toutes les propositions en faisant un tour de table. Cela donnera sans doute...
— Le meilleur des mondes ! Coupa Wild Ever, le robot. Cela risque d’être long.
— Paris ne s’est pas fait en un jour, dit De Young. C’est une possibilité.
— Et si l’on déléguait la responsabilité du monde nouveau à une seule personne ? dit Mona. Le résultat serait, certes !, imparfait mais celui ou celle qui en aurait la charge y mettrait tout son cœur.
— Ce serait plutôt une déléguée, railla l’enfant.

Mona était infirmière dans un des hôpitaux les plus réputés de l’Urb.
Le blanc, la maladie, le silence : ça la connaissait ! Pas la fêlure…
La mort !
Elle se mit à hurler.
Ça montait des entrailles. Du profond. Ça déchirait. Elle se cramponna au bord du lavabo pour ne pas s’effondrer. Le contact froid l’empêcha de s’évanouir. Puis elle se laissa mollement glisser sur le sol carrelé. Elle resta ainsi de longues minutes. Prostrée.
Elle passa et repassa un index incrédule sur l’horrible cicatrice qui la défigurait. Des larmes de cristal gonflaient ses yeux.
Quand elle trouva en elle assez de courage pour se redresser, elle constata que la fêlure de son visage et celle du miroir se superposaient parfaitement. Comme si le reflet du second entaillait le premier d’une même et terrible injure.
Elle se remit à hurler. Et à hurler de plus belle quand elle constata qu’elle avait acquis, dans sa douleur, le redoutable don de briser par ses cris les objets à l’entour. Et, au milieu des éclats de verre, de plastique et de métal,
elle modula une dernière plainte d’animal blessé. Ce qui eut pour effet immédiat de détruire ce qui restait du miroir menteur…