Quand un roman s'ouvre sur des exergues de
Jean Basile et de
Britney Spears, le lecteur comprend qu'il s'engage dans une expérience littéraire hors du commun. C'est exactement ce qu'est «
Querelle», librement inspiré de l'autre
Querelle, celui de Brest, imaginé par
Jean Genet. Ce récit, sous-titré «fiction syndicale», fait sauter les barrières qui séparent la sexualité, la politique et les rapports de force sociaux patrons/ouvriers.
Le récit a pour décor une grève des ouvriers (et de quelques ouvrières) dans la scierie du lac
Saint-Jean, dans la ville de Roberval au Québec. Parmi les différents protagonistes, grévistes ou patrons, le regard de l'auteur se porte particulièrement sur
Querelle, ouvrier fraîchement débarqué à la scierie.
Emprunté du roman de
Jean Genet («
Querelle de Brest»), ce personnage nous est présenté comme l'incarnation d'un fantasme. Fantasme de ses jeunes amants qui l'idolâtrent, de leurs pères inquiets, et complexés par la masculinité exacerbée de l'ouvrier, et de l'ensemble de Roberval, enfin, qui se nourrit des rumeurs à son sujet et en fait une sorte de surhomme.
Cadencé par les rencontres sexuelles de
Querelle et par l'avancée de la grève, le roman met en lumières les dynamiques de pouvoir, et leurs effets sur le quotidien de tous et de toutes. le mouvement syndical y est présenté comme un bras de fer avec non seulement le patronat, mais aussi entre ouvriers. Sous l'apparente cohésion de la lutte, on découvre rapidement les revendications plus personnelles de chacun. Alors que le conflit s'enlise, se réveille en eux une rage enfouie, jusqu'à un point de non-retour. Tout est désormais permis. Ils cassent des bouteilles sur la plage, règlent leurs comptes à coups de batte de baseball. Et puis ils font pire, bien pire...
Un roman étonnant, qui trace un parallèle ingénieux entre l'homosexualité de son personnage principal et la force subversive des revendications ouvrières qui embrasent la scierie de Roberval, et qui nous pousse à sortir de notre zone de confort avec un langage cru, imagé et, souvent, très violent.
Au-delà de l'univers ouvrier et régional qu'il met en scène, on décèle rapidement une volonté à faire comprendre, par les actions de ses personnages, l'étau que crée certaines structures de notre société, le mal-être et les désirs autodestructifs, la banalisation de la haine et de la violence, la quête du profit et les jalousies exacerbées… Sans mentionner que le récit transpire le Québec, on est immédiatement frappé de la ressemblance avec l'oeuvre cinématographique de Xavier Dolan.
Le rythme de l'intrigue s'accélère au fil des pages et nous amène à un final percutant et inattendu, qui a tout pour choquer et qui nous laisse dans un état de questionnement, à l'instar du soudain parti pris de l'auteur contre le syndicalisme. Cet aparté sans doute ironique et sarcastique est difficile à appréhender tant le reste du livre met en lumière cette dynamique de pouvoir oppressante à travers le quotidien de Jézabel qui ne peut pas trouver de travail puisque son patron s'attache à ruiner sa réputation, ou encore dans l'impunité avec laquelle il peut mener une guerre à ses employés, ne renonçant à aucun coup bas, mais toujours soutenu par les institutions en place, tandis que le moindre écart de conduite de la part des ouvriers et des ouvrières les conduit directement en garde à vue.
« Je ne demande pas pardon aux poètes que j'ai pillés ». La note de remerciements de l'auteur donne le ton de l'oeuvre : irrévérencieuse et sulfureuse. Sur le modèle de l'oeuvre originale de
Genet, le roman met à mal certaines habitudes de pensées, ébranlant les repères moraux et les représentations traditionnelles. le lecteur sera tour à tour dérangé, excité, mal à l'aise, enthousiasmé, séduit, et le plus souvent tout à la fois par l'ambitieux pari de
Kévin Lambert.
Un livre sulfureux qui parvient avec brio à traiter à la fois de luttes syndicales et de sexualité sans retenue. Une écriture percutante doublée d'une réinterprétation jouissive d'un grand classique de la littérature française. Pour ne rien gâcher, les éditions «
Le Nouvel Attila » proposent un objet livre particulièrement réussi. Qu'on apprécie ou non ce livre, il ne laissera personne indifférent.
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