Dans l'avant-propos de ce livre, "
le trident",
Maurice Larrouy demande à un grand nombre de ses lecteurs, connus ou inconnus, qu'on lui laisse le champ libre, qu'on suive ses personnages, au hasard de leurs rêves et de leurs destins, sur mer là où ils sont, et sur terre là où leurs préoccupations les ramènent dans les méandres des chapitres et des péripéties.
Et, c'est ce qu'il convient de faire.
Sourires et larmes, faisons place aux braves gens de Ploedic ...
Ploedic est une petite île qui n'est plus tout à fait imaginaire depuis que
Maurice Larrouy l'a posé dans l'aisselle de la Bretagne et de la Vendée.
C'est une île égarée à trente milles de la côte, à laquelle on accède, à Pornic, par le courrier des îles.
Pour l'heure, on y assiste à la "débarque", le moment où la pêche passe du chalutier sur le quai en caisses, paniers et cageots.
Luc Bertrange surveille les opérations.
Il est le directeur de la succursale locale de la grande société de l'Océanique.
Il est le seul bourgeois de l'île.
Il achète le résultat de toute pêche, dirige l'usine qui la transforme.
Il est le maître, le porte-parole des pêcheurs et des filles de l'usine auprès de Mr Val-Viéville, le patron tout puissant de l'Océanique qui, de Paris, impose ses conditions.
Et c'est la crise !
Un mauvais temps persistant et la prolifération des bélugas empêchent toute bonne prise.
La pêche ne permet plus de payer ni l'épicier, ni le boulanger ...
Maurice Larrouy signe là certainement un de ses meilleurs livres.
La mise en place est assez longue mais captivante.
Le récit est finement développé, assorti de belles et réalistes descriptions.
Maurice Larrouy, dans son récit, pénètre le monde fermé de la pêche, évoque une histoire d'amour qui se déclare et une révolte qui couve contre l'injustice.
Ses personnages sont de ceux qui, crédibles et sensibles, font les belles histoires.
Micheline Rozlenn est une fière bretonne, intelligente et indépendante, qui jamais ne baisse les yeux devant la misère.
Violette Val-Viéville est une jeune fille de famille, gâtée mais volontaire et généreuse.
Tréharz est un patron de pêche dur à la peine et à la lame.
Mal-Viéville est un de ces tyrans que seul le capitalisme le plus dur peut engendrer dans nos démocraties.
Cloquart est un fourbe qui se prétend "la main tendue".
Luc Bertrange est un homme droit, tiraillé entre devoir et désobéissance ...
Maurice Larrouy a des mots durs pour décrire le système, celui-là même qui broie tout un petit monde pour l'intérêt d'un seul homme.
Le contraste entre les tableaux est saisissant, entre le dur monde de la pêche et celui plus feutré de la réunion parisienne des actionnaires de l'Océanique.
Maurice Larrouy réussit le tour de force de louvoyer entre les deux sans jamais céder à la facilité d'un parti-pris extrême.
"
Le trident" est ici le nom d'un bateau de pêche, d'un harpon à trois pointes aussi bien sûr, mais également le symbole d'un équilibre, celui du travail, de l'intelligence et du capital.
Il est ici surtout le titre d'un livre, écrit en 1929, aujourd'hui oublié mais qui mérite d'être redécouvert pour sa modernité, son style et sa sensibilité ...