Quand Laurence Barraqué vient au monde en 1960 à Rouen, les premiers mots qui l'accueillent sont ceux de la sage-femme : « C'est une
fille ». La voici propulsée dans la vie, au coeur d'une famille, ses parents, sa soeur aînée Claude. Elle grandit, connaît les joies et les drames intimes de l'enfance, l'adolescence et la voici bientôt adulte, confrontée à la maternité à son tour. Comment la vivra-t-elle alors qu'elle est héritière d'une famille et d'une période dans lesquelles naître garçon était bien plus désirable que naître
fille ?
J'ai eu l'opportunité de découvrir le roman «
Fille » de
Camille Laurens en avant-première grâce à une opération spéciale Masse Critique.
Comme le souligne la quatrième de couverture, «
fille » est un terme polysémique, depuis le sens descriptif d'un enfant de sexe féminin jusqu'au sens de « la
fille de joie » dans lequel le second terme ne parvient pas à effacer l'infamie interlope du premier. « C'est une
fille » dira la sage-femme à la naissance de Laurence. C'est d'ailleurs ainsi que débute le roman, le langage comme consubstantiel à la création. « Ça commence avec un mot, comme la lumière ou comme le noir ». Il sera ici question de
fille, femme, mère, sous le prisme de la famille et plus largement de la société française des années 1960 à aujourd'hui. L'auteure interroge la façon dont les mots nous façonnent, donnent forme à l'infans et nous propulsent dans l'héritage du langage. Qu'est-ce qu'être une
fille, une femme, d'hier à aujourd'hui ? de quels mots/maux sommes-nous chargés dans le creuset de la famille qui nous a donné naissance, élevés ?
Toutes ces questions abstraites sont ici incarnées par Laurence Barraqué, voix narrative qui nous conduit d'un bout à l'autre de l'intrigue, endossant tantôt le statut d'un « tu », d'un « je » ou d'un « elle ». Avec «
Fille », c'est sa vie qui se déploie depuis les premiers instants, l'enfance, l'adolescence et l'âge adulte marqué du sceau de la maternité. Au fil des événements qui marquent Laurence, on a l'impression d'une fable ou d'un conte dans lesquels la tendresse, l'amour, le disputent à la cruauté, celle du réel dans lequel se heurte Laurence de plein fouet. L'humour, certainement cette politesse du désespoir, parvient à en atténuer l'impact, même s'il reste plutôt caustique.
L'écriture de
Camille Laurens est magnifique, travaillée, ciselée à souhait. Elle sait fouiller le fond des âmes, les disséquer, pour en extraire les sentiments mêlés, complexes, à différents âges de la vie, sur différentes périodes. Elle rend compte du mouvement des âmes, des mutations sociales avec des mots justes, cruels aussi, qui n'éludent rien de l'humaine condition, de ses forces et lâchetés.
«
Fille » est donc un beau roman, tant sur la forme que sur le fond, mais parfois l'auteure force le trait, semble charger Laurence du poids de drames, l'érigeant en héritière prototypique d'une famille, d'un milieu social, d'une période. Autrement dit la force du message que l'auteure veut délivrer prend parfois le pas sur la fiction, donnant lieu à des propos par trop clivés ou dichotomiques.
«
Fille » n'en reste pas moins un roman poignant, douloureux, bouleversant, à découvrir en cette rentrée littéraire.
Je tiens à remercier les éditions Gallimard ainsi que Babelio pour cette très belle lecture.