A Maggie
Octobre m’apparaît comme un parc solitaire :
Les mûres frondaisons commencent à brunir.
Et des massifs muets monte une odeur légère,
Cet arôme plus doux des fleurs qui vont mourir.
L’étang, les yeux voilés, rêve, plein de mystère,
Au fantôme ondoyant de quelque souvenir ;
Une langueur exquise a pénétré la terre,
Le temps même a plié son aile pour dormir.
Le ciel, plus imprécis, fait l’âme plus profonde.
On sent flotter en soi tout le passé du monde
Et, secoué soudain d’un grand frisson pieux,
L’on croit ouïr au loin des rumeurs sibyllines,
Tandis que, dans la pourpre ardente des collines.
Semble saigner encor le sang des anciens dieux.
Nocturne
À madame Adolphe Graff
Le ciel s’éteint, tout va dormir
Je songe à des choses passées ;
C’est à la fois peine et plaisir.
La veilleuse du souvenir
S’allume au fond de mes pensées.
J’entends des pas, j’entends des voix,
Des pas furtifs, des voix lointaines
C’est peine et plaisir à la fois.
On dirait le frisson des bois
Sur le cœur tremblant des fontaines.
Des formes traversent la nuit,
Formes noires et formes blanches...
Où vont-ils et qui les conduit,
Ces passants qui passent sans bruit,
Comme la lune entre les branches ?
Le vent d’une ombre m’a frôlé...
Fantôme d’enfant ou de femme ?
Sur la veilleuse il a soufflé
Quelque chose d’inconsolé
S’est mis à pleurer dans mon âme.
Lever d'aube.
Drapée en sa cape de veuve,
S'efface à pas discret la nuit :
Voici poindre la clarté neuve
De l'aube qui s'épanouit.
Elle promène sur les choses
Son beau regard silencieux
Et la mer se jonche de roses
Sous la caresse de ses yeux.
Pour son adorable venue
Le désert du ciel s'est parée…
Salut, déesse chaste et nue,
Fille de l'Orient sacré !
Et soudain tout vit. Les nuages
Tendent leurs voiles au vent frais ;
L'allègre chanson des voyages
Se réveille dans leurs agrès.
Et la pensée au cœur de flamme,
Sœur pure de l'aube qui luit,
Érige, comme elle, dans l'âme
Son front clair, vainqueur de la nuit.
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