L'idée de solitude revendiquée dans les théories romantiques de ces écrivains allemands doit être différenciée de la solitude insurmontable, existentielle et fatale qui relève d'un mal d'être. autant celle-ci est destructrice, autant l'autre est bénéfique. Pour les frères Schlegel et Novalis, tous les efforts de l'homme doivent être, pour "se former" individuellement, de tendre vers l'invisible, le mystère, afin de se trouver en harmonie avec la création divine. La solitude est l'auxiliaire de l'itinéraire spirituel à entreprendre. Mais solitude intérieure qui permet une maturation, et qui n'exclut pas les relations sociales, une succession d'amitiés, d'amours, car la "formation" du Moi passe par le commerce avec autrui.
La solitude est inséparable de la condition humaine, et de son activité la plus particulière, la création esthétique. Poétique dès Ovide et les malheurs de l'exil, religieuse avec la vogue de l'érémitisme aux débuts du christianisme, jusqu'à son dernier avatar, Port Royal, naturaliste et déiste avec Rousseau ou Senancour, théâtrale pour les romantiques français, métaphysique pour Holderlin et les poètes allemands, jusqu'à Handke, et, chez nous, Blanchot et les héros de l'absurde qui errent dans beckette, Ionesco ou Adamov, philosophique quand Kierkegaard balance: ou bien...ou bien, la solitude est en chacun de nous, malheur indispensable, enrichissant, fécond. Quand elle n'est pas triste fatalité sociologique.
"J'entre avec une secrète horreur, dans ce vaste désert du monde. Ce chaos ne m'offre qu'une solitude affreuse où règne un morne silence. Mon âme à la presse cherche à s'y répandre, et se trouve partout resserrée". Saint-Preux, pour rendre compte à Julie de son arrivée à Paris, ne parle que de solitude, de silence et de désert. Alors que Paris brille aux yeux de l'Europe de tous les feux de la mondanité, l'auteur de la Nouvelle Héloise préfère à son tumulte, à son agitation le calme des petites cités sur les bords du Léman ou même la paix profonde des Alpages.
Un homme quitte son village, sa famille, les êtres aimés et les amis. Il décide de découvrir ce qu'est la nature, le silence, les nuages, le voyage, la nuit, l'instant. Il vit dans le seul bruissement de sa marche dans les herbages. En gros, tout le romantisme allemand est dans ce mouvement. De Novalis à Tieck, de Chiamiso à Schlegel. Pourquoi? C'est que Jean-Jacques Rousseau est passé par là. (...)
La Nature consolatrice est pleine de signes.
Humbles, ces hommes l'étaient certes au plus profond d'eux-mêmes. Se sachant pécheurs, voués à la damnation si Dieu ne leur donnait pas la "grâce efficace" qui seule les pouvait sauver, ils voulaient d'un même pas s'éloigner du monde, lieu de "carnage spirituel" et se rapprocher de Dieu, se fondre en lui. La solitude n'était pas tentation, elle était chemin, parcours imposé, celui qui permettait comme le disait Saint-Cyran de "se bâtir une bibliothèque intérieure", de vivre dans le détachement total des biens de ce monde.