Raoul fut dirigé vers la lucarne lumineuse. Alors, il vit le Persan qui s’agenouillait encore et qui, se suspendant par les mains à la lucarne, se laissait glisser dans les dessous. Le Persan tenait alors son pistolet entre les dents.
Chose curieuse, le vicomte avait pleinement confiance dans le Persan. Malgré qu’il ignorât tout de lui, et que la plupart de ses propos n’eussent fait qu’augmenter l’obscurité de cette aventure, il n’hésitait point à croire que, dans cette heure décisive, le Persan était avec lui contre Erik. Son émotion lui avait paru sincère quand il lui avait parlé du « monstre » ; l’intérêt qu’il lui avait montré ne lui semblait point suspect. Enfin, si le Persan avait nourri quelque sinistre projet contre Raoul, il n’eût pas armé celui-ci de ses propres mains. Et puis, pour tout dire, ne fallait-il point arriver coûte que coûte, auprès de Christine ? Raoul n’avait pas le choix des moyens. S’il avait hésité, même avec des doutes sur les intentions du Persan, le jeune homme se fût considéré comme le dernier des lâches.
Raoul, à son tour, s’agenouilla et se suspendit à la trappe, des deux mains. « Lâchez tout ! » entendit-il, et il tomba dans les bras du Persan qui lui ordonna aussitôt de se jeter à plat ventre, referma au-dessus de leurs têtes la trappe, sans que Raoul pût voir par quel stratagème, et vint se coucher aux côtés du vicomte.
Mathilde et Surdon accoururent et furent aussi épouvantés que moi d’apercevoir Cordélia dans cet état de pierre. Tout ce dont nous pouvions nous assurer, c’est qu’elle n’était point morte. Je ne sais plus tout ce que nous tentâmes, Mathilde et moi, « pour lui faire reprendre les sens », tandis que Surdon était allé quérir le médecin le plus proche.
Nous portâmes Cordélia, toujours endormie, sur le balcon. Nous la rentrâmes. Nous essayâmes du froid et du chaud. Nous lui mîmes des briques brûlantes aux pieds et des compresses glacées sur le front. Ce qui nous effrayait par-dessus tout, c’était de la sentir dans nos bras toujours raide comme un bâton sans que rien parvînt à la détendre. Précédemment, je me suis servi d’un terme dont j’ignorais alors toute la puissance. J’ai dit que Cordélia dormait sur mon épaule son effrayant sommeil cataleptique. C’était vrai, mais je ne fus à peu près renseigné pour la première fois sur la catalepsie que par le médecin du village que m’amena Surdon.
Il n’y a que certains yeux d’albinos pour m’avoir produit un effet approchant ou encore les yeux des chats qui distinguent, la nuit, des choses que nous n’apercevons point. L’homme était sorti de la lumière, que je voyais encore ses yeux brûler sur la route. Je voulus lui parler, mais je n’en eus point la force. Je restai là, comme étourdi, pendant qu’il s’éloignait. L’air frais du large vint, heureusement, me balayer le front. Quelqu’un me parla. C’était le cabaretier. J’entrai chez lui. Je lui demandai s’il connaissait l’homme qui venait de passer devant sa porte. Il me répondit que c’était un peintre célèbre en Angleterre et que l’on disait de lui, dans ce pays-ci, qu’il était un peu toqué.
voulait m’échapper, je le retins encore : « Écoute, Surdon, je ne vais plus te demander qu’une chose, mais il faut que tu me répondes si tu veux que nous restions bons amis... Quand je suis allé à Hennequeville, j’ai trouvé devant la grille un homme qui regardait la maison fermée. On m’a dit que cet homme était un peintre anglais qui passait pour toqué dans le pays ; n’est-ce point le même que celui qui a envoyé aujourd’hui le portrait de ta maîtresse? »
Je n’eus pas plus tôt prononcé ces derniers mots que Mathilde montra une agitation extrême. « Non ! Non ! Il ne faut pas aller à Hennequeville ! Monsieur ne serait pas content ! C’est une idée qu’il a comme ça ! » C’était une Rouennaise, du quartier de Darne’tal. C’est têtu et madré. Je compris que je n’en tirerais rien. Mais je résolus d’aller à Hennequeville.
Gaston Leroux : Le Fantôme de l’Opéra (1964 / France Culture). Diffusion sur France Culture le 3 octobre 1964. “Le Fantôme de l'Opéra” est un film radiophonique de Jean-François Hauduroy adapté, en 1964, du roman éponyme de Gaston Leroux écrit en 1910. Ce fantôme, qui hante les sous-sols de l'Opéra Garnier, n'en est pas vraiment un. Il nous effraie et nous terrifie car c'est un personnage de chair et de sang. Erik, le “fantôme” de l’Opéra, personnage tout à fait extraordinaire, dont le rôle est tenu ici par un acteur non moins extraordinaire, Alain Cuny, avec également Danièle Ajoret, René Farabet et Jean-Roger Caussimon dans le rôle du Persan.
Résumé :
Des événements étranges ont lieu à l'Opéra : le grand lustre s'effondre pendant une représentation, un machiniste est retrouvé pendu. La direction doit se rendre à l'évidence : un fantôme ou un homme machiavélique nommé Erik hante le théâtre. Certains affirment avoir vu le visage déformé de cet être qui ne semblerait pas être humain. Peu après, les directeurs de l'Opéra se voient réclamer 20 000 francs par mois de la part d'un certain « Fantôme de l'Opéra » qui exige aussi que la loge numéro 5 lui soit réservée.
Au même moment, une jeune chanteuse orpheline nommée Christine Daaé, recueillie par la femme de son professeur de chant, est appelée à remplacer une diva malade, la Carlotta. Elle incarne une Marguerite éblouissante dans “Faust” de Gounod. Or, elle est effrayée. Au vicomte Raoul de Chagny, qui est secrètement amoureux d'elle, elle confesse une incroyable histoire. La nuit, une voix mélodieuse l'appelle : elle entend son nom et cela lui suffit pour inspirer son chant. En outre, l'ange de la musique visite fréquemment sa loge. Elle affirme avoir entrevu l'être qui l'accompagne dans son art. Mais Raoul et Christine ne tardent pas à découvrir que cette voix est celle du fameux fantôme nommé Erik, un être au visage hideux. Ancien prestidigitateur, il s'est réfugié dans son royaume souterrain, sous l'Opéra, pour y composer une œuvre lyrique. Passionnément épris de la jeune Christine, il l'enlève et l'emprisonne dans son repaire des sombres profondeurs.
Raoul de Chagny, aidé d'un mystérieux Persan, se lance à la recherche de la jeune femme. Il doit alors affronter une série de pièges diaboliques conçus par le fantôme, grand maître des illusions. Mais la persévérance du jeune Raoul et le courage de Christine, prête à sacrifier sa vie pour sauver le jeune homme, dont elle aussi est éprise, poussent Erik, le fantôme de l'Opéra, au repentir.
Interprétation : Danièle Ajoret (de la Comédie Française, Christine Daaé), Alain Cuny (Erik), René Farabet (Georges / Raoul de Chagny), Jean-Roger Caussimon (Le Persan), Christian Lude (Firmin Richard, le nouveau directeur), Hubert Deschamps (Armand Monchardin, le nouveau directeur), Jeanne Frédérique (Madame Giry).
Avec le concours de René-Jacques Chauffard, Raymond Pélissier, Raymond Jourdan, Micheline Bona, Dominique Jayr, Pierre Decazes et René Renot.
Bruitages : Robert Maufras
Réalisation : Claude Roland-Manuel
Sources : France Culture et Wikipédia
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