Pourtant, il faut se rendre à l'évidence : contrairement à ce qu'on nous a fait croire le grand récit progressiste, le politique ne va pas se défaire du religieux naturellement, par la seule force de l'écoulement du temps. Et l'on aurait tort, au reste, de penser que seul l'Islam est concerné : la référence religieuse est omniprésente dans la vie politique américaine, comme on adore le rappeler en France, il existe un gouvernement qui se réclame de l'hindouisme en Inde, et même en notre bon pays - laïc et voltairien comme on sait -, nous avons vu des foules défiler à l'occasion de la "manif pour tous", qui, pour partie, se réclamaient, pour contester une décision du législateur élu, d'une vision du monde social inspiré par leur religion. Certes, nous sommes loin des événements qui ont secoué Paris au début 2015 ; on ne peut pas confondre des revendications mêlant le religieux et le politique de façon non violente avec l'extrême violence des attentats de janvier ; et l'on remarquera en outre que l'argument religieux n'est presque jamais invoqué comme tel sous nos cieux : on dit "c'est contraire à la dignité humaine", ou "c'est contre-nature", etc. L'inspiration peut bien être religieuse, l'argumentation ne l'est pas. Il n'empêche : cela semble indiquer que toutes les religions apportent avec elles une vision normative du monde social.
Patrice Maniglier, (p. 4-5)