L'AMERICAIN TRIME
« Ecoute-moi bien. Je ne vais pas te le gueuler cinquante fois. J'ai un Himalaya de bouquins qui me matent de leurs petits yeux humides qu'on dirait la pleureuse Isis devant la dépouille d'Osiris. Et ce que j'ai à te dire est éminemment important.»
Ceci est un message subliminal adressé à un lecteur non attentif.
Derrière cette couv' où l'échelle se substitue en ascenseur social pour Jake, le héros du livre, se planque un phénomène. Deux-cents et quelques pages pour te bidonner, te trémousser, te fendre la pipe à eau. Tu vas t'en payer une bonne tranche ma belle/mon gars (Ben oui, toutes les femmes sont belles. Tu en doutes mon gars ?). Tu vas aussi constater qu'elle tourne plutôt de traviole notre mignonne Terre toute bleue et qu'à certains mecs, ça leur met les idées en vrac comme ce n'est pas possible.
C'est le merdier pour Jake comme pour toute la ville, le patron de l'usine s'est cassé avec les clefs. C'est l'agonie, il n'a plus de téloche, perd tout son fric en pariant, sa copine a filé et il doit taper son pote Tommy pour ses paquets de clopes. Icelui (ndlr : mot que je me dois de citer si je ne veux pas me faire virer) va lui dégoter un boulot dans son magasin. Une bénédiction n'arrivant jamais seule, Ken, le bookmaker, a aussi un job pour lui. Il hésite deux secondes et demi et... banco ! Jake va flinguer la femme de Ken et effacer sa dette. Mais jusqu'où s'arrêtera-t-il ?
L'American dream prend une claque majestueuse dans ce roman noir écrit à la première personne par un auteur qui en a sous le capot. Son rêve à Jake n'est autre que de bosser normalement pour fonder une famille normale avec des amis normaux. Il n'a rien de tout cela. Et l'américain trime... Il est en colère et sa réaction sera violente, démesurée. Peut-être pas si démesurée qu'on pourrait le croire. C'est du moins ce que Levison introduit dans son analyse critique de la société. La perte de repères, de valeur, l'insécurité financière ou pour faire simple le bordel ambiant sont à même de créer des êtres immoraux ou pour faire simple des bêtes. Capables de tuer pour vivre.
Le génie de l'auteur s'exerce dans son écriture - à contrario des romans du genre - paisible et ponctuée d'un humour décalé, subtil, jubilatoire. Ainsi, tu deviens le garde du corps de Jake, le tueur à gages débrouillard et un brin novice, tu le couves, tu finis par applaudir des deux bras lorsqu'il trucide, tu veux qu'il s'en sorte le bougre quand il rate sa cible avec cette arme qui sent la pisse. Je l'ai aimé, moi, Jake. Ce sont des flashes du film « The Big Lebowski » des frères Cohen qui ont heurté mon subconscient à la lecture de «
Un petit boulot ». C'est dire si j'étais hilare (malgré le choc) en voyant les dégaines des personnages (Jake, Ken, Tommy, Sheila, Patate, Karl, Jeff et les autres), c'est dire si j'observais leurs tronches abasourdies, exaltées ou tout simplement inexpressives, c'est dire si je me délectais, comme on plonge une mouillette dans un oeuf à la coque, de ces situations drolatiques dont je n'ai pu me séparer qu'avec des rince-doigts.
« - Tu pourrais m'avoir un silencieux ? J'aime pas le bruit du coup de feu. C'est dangereux, et ça me fait mal aux oreilles.
Il grimace. « C'était bruyant à l'usine. Comment tu faisais ?
- Je portais des boules Quiès. »
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