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Quand on parle de V pour Vendetta, on pense tout de suite au film de James McTeigue, sorti en salle en 2006. Mais avant toute chose, c'est un comics écrit dans les années 80 par Alan Moore et dessiné par David Lloyd.
Oui, un comics ; et non pas une BD. Parce qu'un comics, ce n'est pas seulement les super-héros. C'est le terme américain pour désigner la bande-dessinée dans sa globalité. Sachez que le nom fait référence au registre premier du genre : l'humour. Bien souvent, les comics ont une parution périodique – et ce fut aussi le cas de V pour Vendetta.

Mais passons !
Pour ceux qui ne connaissent pas (et j'espère qu'ils sont le moins nombreux possible), avant d'être un chef-d'oeuvre, V pour Vendetta est une dystopie se déroulant à Londres. L'histoire commence quelques années après une Troisième Guerre mondiale aux retombées climatiques catastrophiques. Il ne reste plus grand-chose en-dehors du Royaume-Uni, qui a eu la chance d'avoir été épargné par les bombes – mais pas par les inondations et les famines. le pays s'est replié sur lui-même, et un parti fasciste (Norsefire) arrive au pouvoir, instaurant des caméras de surveillance, des micros d'écoute jusque dans les foyers familiaux, un couvre-feu et l'asservissement des médias…
Evey survit comme elle peut dans cette société qui voit tout, qui sait tout et qui contrôle tout. Un soir, elle viole le couvre-feu. Grand mal lui en prend : en retour, elle manque de se faire violer par des agents du Doigt (= la police. Ils peuvent appliquer les sanctions qu'ils veulent, donc tant qu'à faire, pourquoi ne pas en profiter ?). C'est alors qu'un étrange personnage sort de l'ombre et vole à son secours. Il est rapide, il est puissant, il est masqué, il est capé, il lutte contre l'injustice ; vous l'aurez compris, voilà la vedette de ce vaudeville. Appelez-le V.
Son but ? Mener une violente vendetta envers ce vaniteux gouvernement afin de faire surgir l'anarchie. (Qui n'est pas DU TOUT la même chose que le chaos. L'anarchie, c'est l'absence de hiérarchie, une société anarchique se base sur des rapports humains horizontaux et non plus verticaux.)
Revenons donc à Evey, qui se retrouve mêlée malgré elle au destin de V, l'ennemi public numéro un. Il va lui accorder une certaine éducation tout en la faisant participer de plus en plus à sa révolution. Et comme elle, nous allons assister à l'inéluctable : le projet de V pour l'Angleterre.

Mes amis, il faut que je vous dise, il faut que je vous mette en garde : le comics est bien plus trash que le film. Quelques exemples ?
Si Evey se retrouve dehors en pleine nuit, ce n'est pas pour aller à un rendez-vous galant avec un de ses collègues, mais parce qu'elle se lance dans la prostitution, n'arrivant pas à joindre les deux bouts.
D'ailleurs, sachez qu'elle n'a que seize ans.
Prothero, la Voix du Destin (Voix de Londres dans le film), éprouve tant d'amour pour les poupées que ça frise l'obscène, d'autant plus qu'il n'est qu'indifférence à l'égard des humains.
Le Commandeur est amoureux de Destin, la machine qui lui permet de contrôler toute la capitale. Je veux dire, amoureux fou de ces écrans, de ces boutons, de ce bout de métal et de plastique. Au point de se sentir trompé quand une autre personne y touche. Au point de réagir comme si ça pouvait être vivant (« Je te pardonne. »). Destin est à la fois son Dieu (tant de pragmatisme, de méthode et de froideur... Il est forcément au-dessus de l'humanité) et son amant. Ce qui, à mon sens, n'aboutit pas nécessairement à une relation très épanouissante.
D'autres personnages, que vous n'avez jamais rencontré si vous ne connaissez que le film, confirment cette image terrible de l'amour. Je pense bien évidemment à Rosemary et Derek, mais aussi à Helen et Conrad. La première, attachante, ressemble beaucoup à Evey. Aussi naïve, aussi malléable. Sauf qu'elle ne part pas dans la vie avec les mêmes avantages : mariée à un homme très haut placé, elle se retrouve dans une situation de dépendance, tant matérielle qu'émotionnelle : elle n'a jamais travaillé et son époux est un pervers narcissique qui l'injurie, la rabaisse, la violente, même, et la menace de mort à plusieurs reprises. Mais elle l'aime. Cherchez l'erreur.
Helen et Conrad vivent la situation inverse : bien que ce soit Conrad qui ait une très bonne place au parti, c'est sa femme qui porte la culotte. Les scènes qui les concernent sont moins violentes physiquement, mais plus dure psychologiquement. Helen assoit son autorité en ridiculisant son mari devant leurs amis, en le trompant, en magouillant dans son dos, en parlant de lui comme s'il était sa chose, en se servant de lui comme d'une marionnette qu'elle place aussi haut que possible – puisqu'elle même, étant une femme, ne peut accéder au pouvoir.

Mais les différences entre le comics et le film ne s'arrêtent pas là. L'oeuvre de McTeigue se permet quelques libertés intéressantes, bien qu'américanisées : la façon dont Norsefire arrive au pouvoir n'a pas de causes écologiques, mais politiques. Evey trahit V, et c'est la raison pour laquelle elle se retrouve livrée à elle-même. Gordon est bel et bien un soutien pour Evey, mais il est gay et travaille à la télévision (Evey n'y travaille pas non plus, d'ailleurs).
En revanche, je trouve que McTeigue a rendu l'univers beaucoup trop manichéen. Le Haut-Chancelier Sutler est une petite merde parfaitement méprisable (excusez-moi d'être franche), alors que le Chancelier Susan (son pendant comics) est un homme ferme, visiblement dérangé, extrêmement seul et en mal d'amour, mais terriblement volontaire et compétent. le film montre les fascistes comme des ordures, et V comme un justicier masqué, prêt à défendre la veuve et l'orphelin. Alors que c'est faux.
Alan Moore n'avait pas pour but de fustiger les ennemis du protagoniste : la plupart sont convaincu que leur cause est juste ; ils agissent pour ce qu'ils estiment être le mieux. V n'est pas, absolument PAS un héros. Si un innocent se met entre lui et son objectif, il le tuera sans remords. Parce que son combat est plus important que tout le reste. Ce qui s'affronte sous vos yeux sur ce papier glacé ou jauni, sur ces cases colorisées, entre ces lignes de dialogue, ce ne sont pas les méchants dirigeants assoiffés de pouvoir et un vengeur masqué avide de justice, mais deux idéologies dont les morales s'équivalent.

Lire le comics m'a fait voir les faiblesses du film. Un univers certes riche, mais inspiré d'ailleurs. Des personnages forts, mais pâlement copiés de plus puissants qu'eux. Des dialogues merveilleux, mais encore une fois fortement inspirés de l'oeuvre originale.
Cependant, il faut aussi que j'en reconnaisse les forces : une intrigue très bien ficelée, et très bien adaptée au cinéma. Un travail esthétique superbe, tant au niveau des décors, des couleurs, des plans, des découpages… Un jeu d'acteur, un casting exceptionnels !
Y a pas à dire, j'ai un attachement très fort, presque historique à cette oeuvre… V pour Vendetta restera encore mon film favori (ex æquo avec Prédestination).

Mais encore une fois, je vous engage à découvrir le comics : moins manichéen, des personnages plus riches et plus nombreux, des messages plus profonds, un univers encore plus noir... Bluffant !
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Une guerre nucléaire éclate dans les années 80, les plus grandes puissances mondiales sont rayées de la carte alors que l'Angleterre est épargnée par les bombes mais en subit tout de même de graves conséquences environnementales et économiques. Dans cette dystopie souvent comparée à 1984 de George Orwell, le parti fasciste Norsefire a saisi l'opportunité d'une population traumatisée pour s'emparer du pouvoir. le contrôle du parti sur le pays est total lorsqu'un anarchiste-terroriste, « V », se lance dans une vengeance meurtrière. Sur ce chemin, il rencontre Evey, jeune fille orpheline de 16 ans qu'il sauve d'un viol et d'une mort certaine.

À peine moins complexe que Watchmen, il demande tout autant d'attention, car non, une fois de plus, Alan Moore ne vous laisse pas de répit. Il faut dire que les dessins de David Lloyd n'aident pas vraiment non plus. Hyper contrasté, jouant à l'extrême sur les ombres ou les lumières, coloré de jaune-vert-bleu fades et presque pastels , il est de plus caractérisé par des personnages fort ressemblant, ce qui dans une histoire aussi riche (tant par le nombre de personnages que d'intrigues) pose vraiment un gros souci de compréhension. C'est d'ailleurs la principale raison pour que V for Vendetta n'obtienne pas la note maximale.

L'Angleterre se retrouve sous l'emprise d'un parti fasciste, le Norsefire qui, pour prétendre ramener l'ordre et purifier le pays, a persécuté les minorités pour asseoir son pouvoir et se débarrasser de ces ennemis. Minorités ethniques et religieuses ainsi les homosexuels et les opposants politiques sont envoyés dans des camps de concentration. Ils ont également pris le pouvoir sur l'église et les médias pour accroitre leur influence et soumettre le peuple ainsi que par l'utilisation la vidéo-surveillance. le Norsefire élimine également toute culture, ayant la main mise totale sur l'esprit de la population et refusant toute liberté, qu'elle soit intellectuelle ou politique.

D'autres thèmes chers à Moore ont une importance capitale, à savoir l'anarchisme et la recherche d'identité qu'il exprime par le personnage de V. Anarchiste et terroriste, V est doté d'un génie tactique puisqu'il met sur pied un plan qui non seulement va lui permettre de se venger, il a été l'un des prisonniers des camps, mais aussi de réduire à néant le pouvoir fasciste. Comme pour Watchmen, Moore utilise beaucoup la symbolique, V dit de lui-même qu'il est une idée, une idée symbolisée par le masque de Guy Fawkes, célèbre membre de la conspiration des poudres, et qu'il va, en détruisant les symboles du régime et de l'Angleterre, insufflé aux londoniens. Là où dans Watchmen remettait le statut de super-héros en question avec des personnages loin d'être sans reproches, ici, il joue sur l'ambiguïté de V. A-t-il raison ou tort? Est-ce un fou ou un génie? Moore nous fait nous interroger sur le personnage et ses méthodes. V est également un manipulateur qui ne va pas hésiter à utiliser de ses tours sur la jeune Evey. Au cours de son « voyage » initiatique, elle va vivre, souvent subir, tour à tour sécurité, abandon, peur et séquestration par des sévices qu'il a lui-même vécus afin qu'elle accepte sa propre liberté.

Difficile de parler du comic book sans évoquer le film de James McTeigue sorti en 2006. le film se détache, comme souvent pour les adaptations, de plusieurs différences au niveau du scénario mais aussi sur l'ambiguïté sur suscite le personnage masqué dans l'oeuvre d'Alan Moore mais beaucoup moins dans le film où le côté antihéros est bien moins prononcé.
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V For Vendetta est une des meilleures bande dessinée que j'ai eu la chance de lire. Une justicier masqué décide de se battre contre un régime fasciste en Angleterre. L'idée est simple mais efficace. S'ajoute à cela toue la vision de Alan Moore et on se retrouve avec un classique instantané.

Ce roman graphique est bien meilleur que la version cinématographique qui était déjà bonne. La grande différence se retrouve dans la profondeur des personnages et de l'histoire. C'est difficile de tout explorer dans un film.

Personnellement, j'ai trouvé cette BD bien meilleure que Watchmen, une autre des oeuvre de Moore. Je recommande cette BD à tous.
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Après Fahrenheit 451, je continue dans la série des dystopies avec V pour Vendetta mais cette fois dans le genre du graphic novel. On se retrouve plongé dans une Angleterre post apocalyptique, à Londres plus précisément. Nous sommes en 1997, l'Angleterre a survécu à la guerre mondiale, mais vit désormais sous le joug d'un parti fasciste, qui régente tout et exerce un contrôle absolu sur la population. L'Oeil et l'Oreille espionnent, le Nez enquête, la Bouche désinforme et la Main fait régner l'ordre et la terreur. Les messages de propagande qui résonnent aux oreilles des citoyens sont l'oeuvre de la Voix du Destin.

Mais cette persécution n'a que trop duré, en ce 5 novembre 1997, un mystérieux justicier se manifeste, sonnant la révolte (posant des bombes, sauvant les innocents et exerçant sa "vendetta"). On ne sait pas grand chose de ce personnage, si ce n'est qu'il se fait appeler V, a été interné dans le camp d'internement de Larkhill dans la cellule V et laisse derrière lui de magnifiques roses après avoir tué ses ennemis.

Il va prendre sous son aile la jeune Evey, la sauvant d'un viol et d'une exécution plus que certaine par les membres de la Main, lui transmettant sa culture et ses idéaux. V ne sera en paix qu'une fois ses vieux démons exorcisés...

Allan Moore a fait un boulot formidable, donnant de la profondeur à ses personnages, les références philosophiques et littéraires ne manquent pas et le scénario est bien huilé. J'ai eu un peu plus de mal en ce qui concerne les dessins de David Lloyd.

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Ah, cette saga anarchiste de Alan Moore ... La première lecture fut très retardée pour la simple raison que le graphisme me semblait atroce, et j'avoue qu'après plusieurs lectures il reste le principal problème de cette série. Il est lisible, bien qu'il m'ait fallu un temps d'adaptation à chaque lecture, mais contient de gros points noirs, notamment dans la reconnaissance des visages. Plusieurs fois je n'ai reconnu les personnages que quand un autre l'interpelait. C'est surtout le cas des personnages secondaires qui prennent de l'importance ensuite.

Mis à part ce petit détail, j'ai adoré tout le reste. La BD est parfaite, dans la trame, dans les idées, dans le développement, dans les personnages, l'histoire, tout est bien fait. Tout est parfait. J'ai aimé chaque discours, chaque dialogue, la justesse des propos et aussi des idées. Certes, je suis assez d'accord avec et certainement moins objectif que je ne le voudrais, mais il faut reconnaitre à Alan Moore l'incroyable prouesse dont il fait ici preuve, avec tout son talent habituel, construisant un monde complet, le faisant évoluer, jouant du caractère de chaque personnages, arrivant à retomber sur ses pieds mais également à développer son idée principale : l'anarchie.

D'ailleurs je ne peux que admirer la façon de mettre en scène cette anarchie, V jouant le rôle de Dieu omnipotent et omniprésent qui reconstruit un monde débarrassé de ses dirigeants. L'idéologie est très forte et confère une dimension supplémentaire à l'ensemble du récit. Sans compter toutes les tares humaines exposées, le point de vue sur l'homme est assez sombre.

Sans trop m'épancher de détails, la BD est selon moi excellent, extraordinaire, unique en son genre. Alan Moore à réussi son pari, et la BD reste un incontournable, bien au-delà de son adaptation cinématographique -qui reste pourtant bonne aussi-, et qui vaut largement qu'on s'y attarde. Pour moi, un incontournable de la BD.
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Ceci n'est pas un simple Comic Book.

V pour Vendetta est une véritable mise en garde contre le phénomène tyrannique ou dictatorial, un véritable plaidoyer pour la liberté des individus, pour l'affranchissement de chaque être.
La propagande, les mensonges d'Etat, la manipulation par la peur, la surveillance généralisée, la corruption des esprits, les dangers de l'IA, y sont dénoncés avec force, véhémence et maestria.

Le dessin, la colorimétrie, sont sublimes.
Le texte est puissant, saisissant.
Le rythme est intelligemment structuré.

V pour Vendetta illustre à merveille la citation de Jiddu Krishnamurti qui disait que ce n'est pas un signe de bonne santé mentale d'être bien adapté à une société malade.

L'ouvrage est un peu une allégorie du combat de David contre Goliath, où David serait un anarchiste combattif et où Goliath serait la machine étatique se pensant toute puissante. Mais le colosse a, peut-être, des pieds d'argile, n'attendant qu'une grosse secousse pour finalement s'effondrer sur lui-même.

J'ai trouvé V pour Vendetta d'une puissance insoupçonnée, d'un caractère irrévérencieux nécessaire, de sa toute première case jusqu'à son dénouement.


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Avec les nouvelles éditions du label Vertigo paru en premier lieu chez PANINI et à présent chez URBAN COMICS, l'oeuvre ici présentée peut paraître plus accessible au lecteur rebuté par les couleurs criardes imprimées sur papier glacée. Sur un ton mat, et un grain plus épais, l'histoire de V pour Vendetta ne perd pas de sa superbe bien au contraire et touche ainsi un public plus jeune.
Il est question ici d'une dictature, d'un monde sans justice et oppressif, parmi lequel vit un homme qui mûrit sa vengeance ; un anarchiste !
V prône la liberté d'expression, les arts, beau parleur à la rime facile, le personnage est charismatique, intriguant, iconique. On ne peut que rêver.
A lire et relire pour éventuellement desceller les différents niveaux de lecture et interprétations que le génie d'Alan Moore dresse tel un Léonard de Vinci avec sa Joconde.
Un roman, pardon un comics, qui tout comme WATCHMEN, est un MONUMENT.
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1997, la troisième guerre mondiale a eu lieu, des continents ont disparu. Au Royaume-Uni, c'est le Destin, un gouvernement totalitariste qui fait régner la terreur. Au milieu de cette société sans espoir, Evey est obligé de se prostituer pour survivre. Mais, alors qu'elle est prise au piège par la brigade de moeurs, un étrange personnage au masque de théâtre fait son apparition. Dans le sillage de cet être masqué répondant au nom énigmatique de V, la jeune femme va faire le douloureux apprentissage de la liberté... et de la vengeance.
Lien : http://k.bd.over-blog.com/ar..
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« Nicolas Sarkozy a complètement changé : il est encore pire qu'avant ». Cette phrase des Guignols fonctionne aussi avec le monde d'après. Comme on pouvait s'y attendre, le Covid n'a pas remis les pendules à l'heure chez nos politiques. Tchernobyl l'avait-il fait ? L'été se termine dans le déluge habituel de polémiques stériles, tandis que le climat et le social se dégradent au coeur d'une Europe qui croit de moins en moins à l'avenir et dont l'élite multiplie les discours réactionnaires. Et comme vous me connaissez, j'aime en rajouter une couche, plongeons-nous donc aujourd'hui gaiement dans un rétro-futur crasseux et ultraviolent !

La dystopie selon Alan Moore

1997. L'Angleterre se remet tout juste d'un hiver nucléaire. L'essentiel de l'Europe et l'Afrique sont rasés ; de l'Amérique il ne sera pas dit un mot. Alors que l'on combat encore les séparatistes en Écosse, le nouveau gouvernement ouvertement fasciste divertit par la télévision une population se noyant dans les derniers divertissements qui existent pour oublier l'Apocalypse. La nuit, pourtant, gambade sur les toits un mystérieux inconnu, échappé des camps de concentration. Pour l'heure le gouvernement n'a pas de quoi s'inquiéter. Ça ne va pas durer longtemps…
Avec son sens de la documentation habituel, Alan Moore nous dépeint ce à quoi ressemblerait le fascisme à l'heure de la société du spectacle. Si quoi qu'en diront certains de nombreux régimes nationalistes se sont fortement rapprochés de cette idéologie après la Seconde guerre mondiale et pourraient même être qualifiés comme tels, celui dépeint ici ressuscite carrément toutes les horreurs de son âge d'or à l'époque contemporaine et souligne à quel point celles-ci seraient encore compatibles avec notre mode de vie actuel. Totalitarisme et idéal contre-utopique (le rêve belliqueux du fascisme), voici qui nous fait basculer très ouvertement dans la dystopie ; et pas la gentille dystopie Young Adult où des héroïnes dévêtues filent des tatanes à des méchants surpuissants mais ne résistant pas à une horde d'adolescents ! le dessin réaliste et clinique de David Lloyd, ensemble d'aplats glacés sans contours, ne laisse guère d'espoir sur l'idée d'un Grand Soir qui arriverait en un claquement de doigts.
Mais pour autant, et c'est ce qui fait bien souvent qu'un récit est bon et particulièrement dans le cadre d'une dystopie, le méchant n'est pas juste méchant parce qu'il est méchant : si notre cher dictateur est d'extrême-droite, c'est quelqu'un qui a avant tout vécu l'effondrement et qui pour rebâtir ensuite une société a choisi la voie autoritaire (bon, et aussi de gazer n'importe quelle minorité ne lui plaisant pas). C'est étonnant de voir à quel point Alan Moore parvient à se plonger dans la psychologie de personnages ayant des avis politiques lui étant radicalement opposés sans pour autant sombrer dans la caricature : nous découvrons un homme dur mais sincère, intelligent, cohérent dans ses actes. Et que son propre pouvoir détruit de l'intérieur.
Parce que s'il est une chose que sait l'auteur britannique, c'est bien que tout le monde est à la fois victime et bourreau. Au sein du parti fasciste, il va également dépeindre un détective essayant juste de faire son travail mais incapable de refouler totalement son dégoût face au crime (et peut-être bien un zeste de mauvaise conscience), un couple tentant de se maintenir malgré un mari de plus en plus brutal et distant, ou encore un présentateur radio au passé louche collectionnant les poupées. Comme d'habitude chez Moore, je suis fasciné par un tel soin apporté aux personnages secondaires… Et le héros n'est pas en reste.

Ré-V-illez vous !

Rescapé d'expériences biologiques inhumaines, V possède une formidable intelligence qui lui permet d'accomplir ce à quoi il s'est destiné : détruire le fascisme et instaurer l'anarchisme. Son identité masquée lui permet d'endosser tour à tour deux grands archétypes du feuilleton : le justicier et le génie du Mal. En effet, avec son grand coeur le poussant à secourir les plus faibles, dont la jeune Evey qu'il recueille, son idéal démesuré de sauver l'ensemble d'un peuple et sa haine pour les bassesses humaines, Moore si critique de la notion de super-héros nous propose ici sa vision de ce que pourrait être un véritable justicier : quelqu'un ne se contentant pas simplement d'attraper les voleurs tout en laissant perdurer le système qui les a engendrés mais se livrant entièrement à une cause progressiste, quitte à changer le monde. L'ambiance nocturne et crue en fait même une sorte de Batman de gauche.
Mais cette dernière phrase indique que le ver est dans le fruit : car tout comme la plus grosse chauve-souris du manoir des Wayne, V est avant tout motivé par la vengeance, et se montre aussi pragmatique que les ennemis qu'il combat. Un génie du Mal, donc, qui oeuvrerait pour le Bien : difficile de savoir où s'arrête son désir de justice et où commence son sadisme. Au point que, Moore étant toujours aussi généreux en degrés de lecture qu'un Yannick Dahan en clashs de réalisateurs moyens, V incarne également une autre dichotomie : Dieu le Père et le diable. Tour à tour amical puis monstrueux, il est un maître dans l'art du crime doublé d'un érudit quasi-omnipotent s'amusant à distiller des indices au compte-gouttes sans que jamais personne ne parvienne à le contrecarrer.
Je vais encore me répandre en concerts de louange là-dessus ; mais qu'est-ce que c'est beau de voir un auteur à ce point préoccupé de ne pas nous prendre pour des cons ! Là où nous aurions pu avoir un simple pamphlet anar, Moore nous livre un héros fascinant et nuancé, dont les agissements questionnent notre éthique et notre vision du monde. Nous voulons la justice, mais jusqu'à quel point ? Faut-il y sacrifier l'ordre ? D'autres vies que la nôtre ? Notre propre vie ? Et si une bonne partie de l'oeuvre semble donner raison à notre démon masqué, l'auteur ne verse pas dans l'optimisme béat : comme nous le rappelle la fin, la possibilité de l'anarchie ne va pas sans celle de son annulation.

Quelques défauts tout de même…

Ceci dit, je suis moins emballé que par mes lectures précédentes d'Alan Moore : l'auteur le reconnaît lui-même, il s'agit d'une oeuvre de jeunesse, même si elle reste impressionnante de maîtrise et de cohérence, surtout sachant qu'il s'agit d'un feuilleton en grande partie improvisé sur plusieurs années. Quand j'aimais ses récits à héros multiples posant un modèle d'histoire basé sur le collectif (et d'ailleurs, là-dessus : hop), le seul héros ici est un individu solitaire n'ayant pour compagnie qu'une jeune disciple (qui tombe d'ailleurs amoureuse d'hommes deux fois plus vieux qu'elle). Allez, je vais faire mon coco chrétien, mais si le désir de vengeance insuffle aux personnages un sentiment de révolte bienvenu, en revanche le pardon ne pointe guère le bout de son nez dans cette histoire sanglante : malgré le parcours initiatique qu'il va suivre, le détective va quand même poursuivre sa traque jusqu'au bout, et seul un renoncement d'Evey (dans une scène discrète mais très belle) laisse apparaître la possibilité de ne pas régler ses différends par la violence.
Mais je suis exagérément dur car Alan Moore est exagérément doué, et sait s'entourer bien entendu de dessinateurs de talents. Je ne ferais sans doute pas ce genre de remarques si j'avais affaire à un auteur un peu moins extraordinaire. Car c'est bien la sensation d'être bluffé qui domine quand on sort la tête de ces 300 pages de BD : malgré la froideur étouffante de ce monde sans âme, on reste avec l'impression que tout est encore à inventer, aussi bien de nouvelles manières de faire société que de nouveaux types de récit.

Conclusion

Dépeignant une dystopie crédible et terriblement angoissante dirigée par des bureaucrates pourtant bien loin d'être une simple chair à canon, Alan Moore nous dévoile en plus un personnage fascinant d'intelligence et de complexité, la possibilité d'un héros surpuissant qui plutôt que de se servir du pouvoir préférerait vouer son existence à le détruire. le fait qu'il soit doublé d'un assassin méthodique lui inspirera sans doute quelques années après le personnage de Rorsach, sorte de version pervertie qui ne prônerait plus la liberté mais l'ordre.
Encore un coup d'éclat donc pour ce grand maître du comic, et il faut aussi savoir que son adaptation en film est peut-être la seule qui ne soit pas un désastre. Sachant qu'elle est scénarisée par les Waschowski, il n'est pas impossible que je veuille un jour en faire la chronique, parce qu'après tout, c'est pour ma culture…
Lien : https://cestpourmaculture.wo..
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Drôle d'objet que voilà !
Je comprends tout à fait que ce comic soit devenu culte !
Personnellement, j'en ressors chamboulée : qu'est-ce que je pense de V ? C'est un grand malade, je désapprouve ce qu'il fait. Pourtant a-t-il tort ? Y-a-t-il d'autres façons de faire ? Mais est-ce que c'est très loin de ce terrorisme que l'on condamne aujourd'hui ? Et puis tout de même, il va très loin avec Evey.
Sinon, l'organisation de la société est fascinante, le destin, le doigt, l'oreille... de très bonnes trouvailles. J'avoue que tout est très dense ; je pense que je suis passé à côté de certaines choses. Il faudrait lire et relire cette histoire pour être sûr d'en comprendre tous les tenants et les aboutissants.
Enfin, côté dessins, si je suis très admirative du personnage de V, vraiment charismatique, le reste des dessins me plait moyennement. Les couleurs sont particulières, le trait épais... Ce n'est pas trop mon truc.
En conclusion, je suis ravie d'avoir découvert ce monument, qui interroge et ne laisse pas indifférent !
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